Appel de Sophie Binet : « Ne bloquez pas le vote sur l’abrogation de la réforme des retraites »
La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, appelle les députés macronistes et LR à ne pas bloquer l’examen de la proposition de loi présentée par la France insoumise, ce jeudi, abrogeant la réforme des retraites de 2023.
L’Assemblée nationale a enfin l’occasion, ce jeudi, de se déterminer sur la réforme 2023 des retraites, un an et demi après son adoption forcée par 49.3. Une proposition de loi présentée dans le cadre de la niche parlementaire des insoumis arrive en effet en séance. Confortée par le rejet populaire toujours massif du recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, met tout le poids de sa confédération pour obtenir des députés du bloc central de ne pas empêcher ce vote.
Quelle est la portée de cette proposition de loi ?
C’est la première fois que l’on donne enfin la possibilité aux députés de se prononcer sur cette réforme. Il faut rappeler que cette loi a été adoptée par 49.3. Voilà pourquoi j’ai adressé une lettre, mardi, aux élus du bloc central, les députés d’Ensemble pour la République, de la Droite républicaine, des démocrates et d’Horizons et indépendants. Je les appelle solennellement à laisser le vote aller à son terme.
Je compte sur leur sens des responsabilités pour ne pas bloquer cette proposition de loi. Toute une panoplie d’arguments juridiques et réglementaires ont été déployés pour bloquer de précédents textes demandant l’abrogation de la réforme. Ce fut encore le cas lors des discussions sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2025.
Cette fois, il est question d’un millier d’amendements pour jouer la montre. J’appelle les parlementaires du bloc gouvernemental à ne pas faire obstruction et à permettre à l’Assemblée de pouvoir enfin se déterminer sur cette réforme des retraites.
Même si cette proposition était approuvée, ce jeudi, l’adoption définitive de l’abrogation n’est-elle pas hors de portée ?
Cette proposition de loi est importante parce que le parcours législatif est balisé en faveur de l’abrogation. Si le texte est voté ce jeudi, la même proposition est prête à être examinée au Sénat dans le cadre de la niche parlementaire du groupe de la Gauche démocrate et républicaine le 23 janvier prochain.
Elle reviendrait ensuite à l’Assemblée, via la niche parlementaire du groupe Écologiste et social. La balle serait alors dans le camp du gouvernement, qui aurait bien du mal politiquement à refuser la tenue d’une commission mixte paritaire sur le sujet, regroupant des représentants des deux chambres.
On sait depuis 2023 que les Français ne veulent pas de cette réforme des 64 ans les condamnant à travailler deux années supplémentaires. Avec un parcours politique complet, il sera compliqué pour le gouvernement de bloquer l’abrogation.
Voilà un an et demi que la réforme est promulguée. Est-ce encore un enjeu pour les travailleurs ?
Bien sûr. Les travailleurs que je rencontre vivent mal les effets négatifs de cette réforme. Les générations qui partent en ce moment à la retraite ressentent déjà le décalage progressif des deux années de travail supplémentaires. D’autant que la vague de plans sociaux que nous connaissons actuellement touche en premier lieu les travailleurs seniors.
Ces premiers visés par les 200 000 suppressions d’emplois seront les premières victimes de la nouvelle convention de l’assurance-chômage qui entrera en vigueur au 1er mai 2025. Celle-ci recule, en effet, de deux ans les bornes d’âge offrant aux travailleurs seniors de meilleures conditions d’indemnisation. Cette réforme des retraites à 64 ans a donc bel et bien des conséquences réelles et violentes pour les salariés.
L’abrogation ne déstabiliserait-elle pas les finances du pays ?
Cela fait deux ans que nous demandons en intersyndicale au gouvernement la tenue d’une conférence des financements du régime universel. Proposition laissée lettre morte. Nous avons répondu à cet argument financier le 21 octobre dernier, lors du colloque sur le financement du système des retraites organisé par la commission des Finances de l’Assemblée avec l’ensemble des syndicats, le patronat et le COR (Conseil d’orientation des retraites).
Les besoins de financement sont de l’ordre de 5 milliards d’euros en 2025 et de 12 milliards à horizon 2030. Comparés aux 60 milliards recherchés par Michel Barnier, ces montants ne sont pas insurmontables. Une diversité de mesures a été proposée autour de la table, présentant un mix indolore.
Il faut donc arrêter ce chantage à la dette et aux déficits. Je signale que la réforme des retraites de 2023 n’a pas empêché depuis la détérioration des déficits publics ni la dégradation de la note de la France auprès des marchés financiers. Ça démontre que la réforme des 64 ans n’est pas bonne.
Je rappelle aussi que les problèmes de financement ne sont pas liés aux dépenses, mais à des recettes insuffisantes. Nous disposons de nombreuses propositions pour résoudre cette situation.
Stéphane Guérard Interview publiée dans l'Humanité