Contribution de Denis Durand pour la conférence nationale du 14 décembre
Cessons d'occulter notre projet communiste, faisons-en une force pour le mouvement populaire
Nous avons connu une période d’« effacement » pendant laquelle les directions successives du PCF ont semblé agir comme si elles en étaient arrivées à la conclusion, après la chute de l’Union soviétique, qu’il n’est pas possible de changer radicalement la société.
Et pourtant, pendant ce temps-là, les contradictions de la civilisation capitaliste et libérale n’ont cessé s’exacerber et de révéler combien une révolution politique et culturelle est urgente pour libérer l’économie des logiques capitalistes, en changeant ainsi la façon dont l’humanité interagit avec sa niche écologique, et pour émanciper les relations entre les êtres humains de toutes les dominations qui vont de pair avec celle du capital.
En passant à côté de cette crise de civilisation, nous avons cessé d’apparaître comme une force porteuse de réponses au besoin de révolution qu’elle fait naître. Nos résultats électoraux sont restés obstinément mauvais malgré toutes les tactiques d’alliances successivement essayées, et la classe ouvrière – comme l’ensemble du salariat – a cessé de se reconnaître dans le PCF. Pour leur part, les militantes et les militants communistes ne s’y sont pas davantage retrouvés puisque la raison profonde de leur engagement reste pour l’essentiel la volonté d’agir pour changer profondément la société.
Finalement, au 38ème congrès, 80 % des communistes se sont rassemblés sur une orientation simple : la société a un urgent besoin d’une transformation révolutionnaire, communiste, et pour cela elle a besoin d’un Parti communiste. Depuis 2018, tout, ou presque, se passe comme si on avait retenu la deuxième partie de la phrase – « PCF is back » – et refusé d’entendre la première partie.
Par exemple, dans la bataille des retraites, notre communication s’est alignée sur celle de la gauche réformiste – simple retrait de la réforme Macron, donc retraite à 62 ans – et notre projet de retraite à 60 ans, avec prise en compte des années d’études, etc. a été passé sous silence. Nous n’étions pas obligés de le faire : la CGT, pour sa part, n’a jamais abandonné son cahier revendicatif et cela, loin de mettre en péril l’unité intersyndicale, a peut-être même contribué à la consolider.
Mais il est vrai que la retraite à 60 ans coûtera cher à la Sécurité sociale – au moins 100 milliards d’euros par an. Il faut donc beaucoup plus de cotisations, donc beaucoup plus de salaires, donc beaucoup plus d’emplois et de formation, donc de nouveaux pouvoirs des salariés pour faire prévaloir de nouveaux critères de gestion des entreprises contre les logiques capitalistes, donc des financements bancaires à l’appui de ces pouvoirs... C’est là une illustration de la cohérence de notre projet, en ce qu’il a à la fois de très concret et de radicalement révolutionnaire. Contrairement à ce qu’on a pu penser sur le moment, son occultation n’a pas du tout aidé à la mobilisation.
Nous avons eu plusieurs tests électoraux de la façon dont les orientations décidées aux 38ème et au 39ème congrès ont été mises en œuvre. À l’élection présidentielle de 2022, la première partie de la campagne a eu l’avantage d’installer Fabien Roussel dans le paysage politique, avec un programme présidentiel assez fortement inspiré des orientations du 38ème congrès. Mais il en aurait fallu beaucoup plus pour faire suffisamment percevoir dans l’électorat l’originalité de notre projet, et la force de renouvellement qu’elle apporte à la gauche. Aussi avons-nous été incapables de résister au « vote utile » en faveur de Mélenchon.
Le vrai test aurait dû être l’élection européenne, à la proportionnelle intégrale, sans la même pression au vote utile, moment privilégié, pour toutes les forces politiques, d’incarner et d’imprimer dans l’opinion les traits marquants de leur projet de société. Or, notre projet a été délibérément occulté de la campagne, au mépris des débats qui ont eu lieu dans nos instances de direction, conseil national et comité exécutif national.
Sur les questions sociales et économiques, il était impossible aux électrices et électeurs de faire la différence entre le discours de Léon Deffontaines et celui de Manon Aubry : pour l’essentiel, protectionnisme et taxation des « riches ». Et renoncement à mettre en cause le pouvoir du capital sur l’utilisation de l’argent, au niveau des entreprises comme au niveau national, et au niveau européen en faisant monter l’exigence d’une utilisation de la création monétaire de la BCE pour développer les services publics. Tout cela au nom du même motif : « ne parlons pas de changer l’Europe puisque ce n’est pas possible ». En somme, continuons à faire comme s’il n'était pas possible de changer la société.
Cette volonté d’impuissance contribue sans doute à expliquer pourquoi nous n’avons pas saisi l’occasion de la campagne électorale pour en faire un moment de mobilisation populaire pour l’emploi, les services publics et pour une autre utilisation de l’argent. Ce faisant, nous laissions le RN se servir de l’indigence des services publics pour capter l’électorat populaire.
Résultat, au début de la campagne, quand nous avons désigné Léon comme tête de liste, nous étions autour de 4 % dans les sondages et la FI à 6 %. À la fin, nous sommes à 2 % et la FI à 10. Les animateurs locaux du Parti ont déployé une énergie considérable et multiplié les initiatives pour tenter de mobiliser le corps militant. Mais notre communication officielle, axée sur des arguments réformistes, étatistes et souverainistes contraires à nos orientations de congrès, a surtout eu pour effet d’apporter des électeurs à Mélenchon. Il est bien sûr impossible de prouver qu’il en aurait été autrement si nous avions défendu le projet communiste mais ce qui est certain, c’est que dans la campagne officielle rien n’a été fait pour.
La constitution du Nouveau Front populaire au lendemain de ces élections européenne n’est pas venue des états-majors des partis réformistes, mais d’un ressaisissement de notre peuple face au péril fasciste. Elle a déjoué le scénario d’un accès de Bardella au gouvernement pour poursuivre par la violence la mise en œuvre du programme du capital que Macron ne parvenait plus à imposer face à la colère de la population. Les échanges utiles que nous avons pu avoir avec les différentes composantes du Nouveau Front populaire à propos de son programme et de son financement ont révélé que l’indigence de notre score électoral n’empêche pas nos idées en matière économique d’avoir du poids et de représenter une référence à gauche. L’avenir du pays va donc dépendre crucialement de notre capacité à mener ce débat, au grand jour devant le peuple, en mettant enfin en avant nos idées dans notre communication et dans l’expression de nos porte-parole.
Si nous continuons de faire comme si ces idées n’étaient qu’un décor pour une action politique réduite à la tactique électorale et parlementaire, nous aurons peut-être encore des élus grâce à des alliances à géométrie variable, comme c’est le cas des débris du Parti radical depuis des décennies. Quelques-uns de nos dirigeants seront peut-être admis à paraître dans les médias. Mais nous nous mettrons hors d’état de faire notre devoir face à l’effondrement de la civilisation que nous promet la montée des périls écologiques, économiques, financiers, politiques, et celle des conflits armés. Nous priverons le mouvement syndical de la perspective politique crédible dont il a un besoin vital pour remporter des victoires sociales face à l’exploitation du désespoir par le RN. Nous nous priverons du moyen de rassembler contre le capital les différentes composantes du salariat et d’aider les luttes sociales, écologiques, sociétales, internationales à dépasser les contradictions dont le capital se sert aujourd’hui pour entretenir les divisions entre elles.
Or, les échéances se présentent devant nous. La question de l’emploi et du chômage, avec leurs enjeux nouveaux, liés à la révolution technologique informationnelle en cours, nous saute à la figure avec les 200 plans de suppressions d’emplois révélés par la CGT. Le budget 2025 risque de précipiter la France dans la récession que l’Allemagne connaît déjà depuis deux ans. Déjà les faillites d’entreprises, tenues en suspens depuis la pandémie avec l’argent des banques et de la BCE, sont reparties à un rythme record. Tout cela dans un monde qui bascule entre la montée des BRICS et Trump.
Cela peut paraître paradoxal mais, devant la gravité de la crise écologique, économique, politique, morale, jamais il n’a été aussi nécessaire de déployer tout notre projet de transition socialiste vers une société communiste et de mettre sa cohérence à la disposition des luttes sociales, écologiques, féministes, antiracistes, internationalistes, culturelles… qui en ont un besoin criant pour l’emporter face au pouvoir du capital.
Nous n’avons pas à tout inventer : commençons par prendre au sérieux les orientations précises que nous avons adoptées à nos derniers congrès, et leur déclinaison concrète.
Par exemple, dans l’ordre économique, le dépassement du marché du travail avec la construction d’une sécurité d’emploi et de formation ; le dépassement du marché des biens et services avec de nouveaux critères de gestion et un développement inédit des services publics ; le dépassement du marché de l’argent avec une prise de pouvoir démocratique sur la création monétaire des banques et des banques centrales ; le dépassement du marché mondial avec une convergence de toutes les forces antiimpérialistes pour une mondialisation de coopération et de paix. Dans tous ces domaines, nous avons un but : la construction d’une civilisation radicalement différente de la civilisation capitaliste et libérale en crise. Nous avons un chemin : les mobilisations populaires mettant en cause le pouvoir du capital, jusqu’à créer les rapports de forces capables d’imposer des changements institutionnels, du local au mondial. Et nous proposons des modalités concrètes de ces changements, qui peuvent être l’enjeu de luttes immédiates.
Nous avons le choix. Nous ne sommes pas condamnés à basculer définitivement dans l’insignifiance. Nous avons au contraire les moyens d’être au rendez-vous des attentes de la société.
Donnons donc, dans cette conférence nationale, le signal d’une mobilisation du PCF autour du projet élaboré et adopté par les communistes, pour apporter à l’intervention populaire toute la force dont elle a besoin pour résister et pour construire une alternative à la hauteur des périls, mais aussi des potentiels d’émancipation qui se cherchent dans la crise de civilisation.
Denis Durand Membre du CN du PCF