Justice : inéligibilité requise contre Marine Le Pen et tous les prévenus
Pendant plus de huit heures de réquisitions, les procureurs ont méthodiquement démontré la réalité, selon eux, des emplois fictifs des assistants parlementaires des eurodéputés FN/RN entre 2004 et 2016.
Une peine de 5 ans de prison dont trois ans avec sursis et de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire a été requise contre Marine Le Pen. Une amende de 4,3 millions d’euros a par ailleurs été requise contre le parti.
Sur le banc des prévenus, Marine Le Pen encaisse les coups. À la fin de cette journée consacrée aux réquisitions du parquet dans ce procès des assistants parlementaires des eurodéputés FN/RN, il ne devait plus rester grand-chose de son stylo, sans cesse mâchouillé avec nervosité. La démonstration des procureurs, méthodique, très documentée et dense, pendant plus de huit heures, apparaît comme un supplice.
C’est peu avant 20 heures que le couperet a fini par tomber, avec des peines d’inéligibilité requises contre tous les prévenus. Marine Le Pen, poursuivie pour détournement de fonds et complicité de ce même délit (en raison de son rôle d’organisation possiblement central), est sans surprise la plus sévèrement servie : cinq ans de prison dont trois fermes, 300 000 d’amende et cinq ans d’inéligibilité ont été requis contre la patronne du Rassemblement national.
Trois ans de prison dont deux avec sursis, 200 000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire requise contre Bruno Gollnisch. 18 mois dont 12 avec sursis ainsi que 30 000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité ont été requis contre Louis Aliot, Nicolas Bay et le député RN Julien Odoul. Une amende de 4,3 millions d’euros a aussi été requise contre le Rassemblement national.
Une foule de preuves pour considérer que les fonds publics du Parlement européen ont été détournés à leur profit
Des peines lourdes qui n’ont étonné personne étant donné les charges mises en avant par les procureurs. Avant de démontrer dans l’après-midi en quoi, pour eux, chacun des contrats poursuivis s’apparente à un emploi fictif, Louise Neyton et Nicolas Barret ont démonté tous les axes de défense des prévenus (la mutualisation des assistants, le caractère politique de la poursuite, la connaissance par le Parlement européen des tâches des collaborateurs…). Puis apporté une foule de preuves suffisantes, estiment-ils, pour considérer que « le Front national a organisé un système permettant de détourner à leur profit les fonds publics du Parlement européen ».
Nicolas Barret a d’abord, point par point, établi l’absence de lien de subordination entre les députés et leurs assistants parlementaires dans les contrats poursuivis. « Qui décide des vacances du collaborateur ? Dans un mail, Thierry Légier notifie à son député Fernand Le Rachinel ses dates de congés, décidées par Jean-Marie Le Pen, qui se révèle être son employeur effectif », cite le procureur parmi une dizaine d’autres exemples concrets. Il s’est ensuite penché sur le contenu du travail effectué par les assistants parlementaires.
Servait-il bien à leurs députés ? À nouveau, les exemples sont nombreux : des notes destinées au parti sont transmises six mois plus tard (après une première plainte du Parlement européen) à la députée et des travaux, exclusivement destinés à la communication du parti… « Il y a parfois des zones de doute du fait qu’il n’y a pas de liste des tâches adossée à un contrat d’assistant parlementaire, concède Nicolas Barret. Mais ce flou a été entretenu par le FN dans le but de tout mélanger pour en tirer un profit maximal. »
Enfin, pour le procureur, l’absence de justificatifs de travail constitue une preuve en soi. Et l’argument selon lequel toutes les notes, revues de presse et tous les échanges de mails ont été perdus depuis 2016 ne tiendrait pas. « En avril 2015, Marine Le Pen demande aux députés de recueillir et rassembler des preuves. Or, on ne retrouve rien. Les mis en examen n’ont rien fourni, les enquêteurs n’ont rien trouvé. Tout simplement parce que ces preuves n’existent pas », assène-t-il.
Ce « faisceau d’indices », composé aussi de déclarations d’anciens eurodéputés, de l’absence de communication entre députés et collaborateurs est suffisant, selon Nicolas Barret, pour prouver que ces contrats ont bien servi à rémunérer des salariés du parti.
De la fraude au coup de tonnerre politique
Ce serait même, pour sa collègue Louise Neyton, un « système centralisé par la direction du parti dans son intérêt » qui aurait été mis en place entre 2004 et 2016, afin de « faire des économies ». En difficulté financière sur toute cette période, le RN et son trésorier Wallerand de Saint-Just auraient, selon elle, « comme préoccupation principale, à chaque embauche, de trouver des financements extérieurs. C’est dans ce contexte que l’enveloppe des assistants parlementaires va entrer en compte. Et puisque aucune vérification n’est faite par le Parlement européen, ces enveloppes vont apparaître comme une aubaine ».
Pour Louise Neyton, c’est ce qui explique, par exemple, que Thierry Légier, garde du corps personnel de Jean-Marie Le Pen, et Micheline Bruna, son assistante personnelle, soient payés avec l’enveloppe parlementaire de Fernand Le Rachinel. Des déclarations mais aussi plusieurs documents corroborent cette thèse. Sur les tableaux retrouvés dans l’ordinateur de Wallerand de Saint-Just, dans la liste des permanents du FN, une mention « payé autrement » accompagne les noms de ceux qui sont aussi assistants parlementaires. Et le trésorier indique à Marine Le Pen, dans un message précédant les européennes de 2014, que « 9 députés = 12 salariés ».
La représentante du parquet va même au-delà du Parlement européen dans son accusation : « Les enveloppes sont rythmées par les campagnes électorales, affirme-t-elle. Dès qu’un permanent peut être payé par des comptes de campagne, il n’est plus assistant parlementaire. C’est le cas de Yann Le Pen en 2011, qui passe sur la campagne présidentielle pour faire de la place à Florian Philippot et Louis Aliot, pour lesquels une enveloppe était recherchée depuis plusieurs mois. Puis elle revient en 2012 après les élections, sur une autre enveloppe. »
Pour le ministère public, c’est d’abord Jean-Marie Le Pen qui décide de tout, avant que sa fille ne prenne la main sur le « système » en 2012, en allant plus loin, selon Louise Neyton : « Les mouvements entre enveloppes, les transferts vont se multiplier. Les multiples mails démontrent qu’il s’agit d’une recherche d’optimisation décidée par Marine Le Pen. C’est dans ce cadre qu’intervient la réunion du 4 juin 2014. »
Ce jour-là, la prévenue aurait demandé à tous les députés de son parti de n’embaucher qu’un assistant parlementaire pour laisser le reste de l’enveloppe à la disposition du parti. Une version remise en cause avec vigueur par la défense. Mais selon la procureure, les éléments l’accréditant (témoignages, mails…) sont « nombreux et sans équivoque ».
C’est ce rôle-là, de donneuse d’ordre à la tête d’un système de fraude organisé et centralisé, qui explique que Marine Le Pen soit celle qui risque le plus. Jusqu’à la prison et l’inéligibilité, estiment les procureurs.
Le tribunal, qui entendra dans les deux prochaines semaines les plaidoiries de la défense avant la clôture du procès, a durant cinq semaines balayé les divers axes de défense exprimés. Dans leur verdict (qui ne devrait pas être rendu avant plusieurs semaines), les juges suivront-ils pour autant les réquisitions ? Si tel était le cas, le coup de tonnerre politique provoqué serait énorme.
Florent Le Du Article publié dans l'Humanité