La politique monétaire de la BCE au service du capital

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

 

Mémo économique N° 141 du 15 novembre de la CGT

 

1. Une hausse sans précédent des taux d’intérêt directeurs pour lutter contre l’inflation

 

La crise inflationniste débutée à l’été 2021 a été interprétée par les économistes libéraux comme provenant d’un excès de demande par rapport à l’offre qui ferait grimper les prix. Cela s’expliquerait, selon eux, par les plans de relance adoptés par les gouvernements européens à la suite de la pandémie, par la politique monétaire trop souple de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui aurait entrainé une trop grande quantité de monnaie en circulation dans l’économie ou encore par des augmentations de salaires trop importantes.

 

Pour lutter contre cette inflation, la BCE a donc fait le choix de relever brutalement ses taux d’intérêt directeurs. Ceux-ci sont passés de 0% début 2022 à un point haut historique compris entre 4 et 4,75% début 2024. Pour simplifier le raisonnement, les banques commerciales se refinancent en empruntant auprès de la Banque centrale au taux d’intérêt directeur. Si la Banque centrale relève ses taux d’intérêt, alors les banques commerciales prêteront aux entreprises et aux ménages à des taux qui seront également plus élevés pour pouvoir continuer à réaliser des profits sur leurs opérations bancaires1.

 

En relevant ses taux, la BCE pousse donc les banques commerciales à relever les leurs, l’objectif étant de réduire la demande de crédit des ménages et des entreprises afin de freiner la consommation et l’investissement et, in fine, la demande. Par conséquent, cela signifie que la Banque centrale compte lutter contre l’inflation en cassant la croissance économique et en faisant augmenter le chômage2. Par ailleurs, le but est aussi de faire pression à la baisse sur les salaires via l’armée de réserve que représentent les chômeur∙ses pour éviter la mise en place d’une prétendue boucle prix-salaires, c’est-à-dire de hausses de salaires qui alimenteraient l’inflation.


2. La politique monétaire de la BCE est inefficace et contreproductive

 

Dans un bulletin de recherche publié en mars 2024, des chercheurs de la Banque Centrale Européenne ont pourtant montré que la crise inflationniste est la conséquence de chocs d’offre et non de chocs de demande. En d’autres termes, la hausse de l’inflation en France et en Europe ne s’explique pas par une demande qui aurait été trop dynamique. Au contraire, elle s’explique par la désorganisation des chaines de valeur avec la reprise de l’activité économique à la suite de la levée des confinements, comme l’illustre par exemple l’augmentation des tarifs du fret maritime ou du coût des semi-conducteurs, et de la hausse des prix de l’énergie en lien avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

 

Ils notent en effet qu’une « […] part importante de la récente poussée inflationniste est due à des facteurs liés à l’offre, les prix du gaz et les goulets d’étranglement des chaînes d’approvisionnement mondiales jouant un rôle prépondérant ». De ce fait, la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne ne pouvait pas être efficace pour faire face à la montée de l’inflation. Étant donné que la hausse des taux intérêt devait permettre de freiner l’inflation en réduisant la demande, elle ne peut ici fonctionner puisqu’elle n’agit pas sur les causes réelles de l’inflation, qui se situent du côté de l’offre.

 

C’est ce qu’ont montré récemment d’autres économistes de la Banque Centrale Européenne, dans un nouveau bulletin de recherche publié en octobre 2024, en s’intéressant cette fois à l’efficacité de la politique monétaire de la BCE pour lutter contre l’inflation, en particulier au choix fait par l’institution monétaire de relever fortement ses taux d’intérêt directeurs. Et leurs résultats sont édifiants. Ils rappellent dans un premier temps que la hausse des prix des biens énergétiques importés entraîne des conséquences économiques négatives importantes, puisqu’elle implique un transfert de richesse massif entre l’économie domestique et le reste du monde.

 

Surtout, la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne a amplifié le choc récessif causé par la hausse des prix énergétiques à travers son effet sur la demande via la baisse de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises qu’elle induit. Une politique monétaire accommodante de la part de la BCE, qui aurait consisté à maintenir les taux d’intérêt constants face au choc inflationniste, aurait quant à elle permis d’atténuer ses effets récessifs.

 

Parlant de la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne, les auteurs écrivent en effet qu’une « réponse politique passive peut atténuer les conséquences économiques, alors qu’une réponse politique active les exacerbe par des effets négatifs sur la demande globale3 ». Ils en concluent que « le choix de la réponse de la politique monétaire peut modifier considérablement l’ampleur et la durée de ces effets. Même si l’énergie est principalement importée, les effets négatifs d’un choc de prix peuvent potentiellement être atténués. Cependant, plus la réponse politique est active et plus la hausse du taux d’intérêt réel est importante, plus les effets récessionnistes sont exacerbés »


Toutefois, la politique monétaire restrictive de la Banque Centrale Européenne a bien atteint son objectif et remplit sa fonction, à savoir de protéger le capital en préservant les profits des grandes entreprises et les revenus des ménages les plus fortunés. D’abord, dans ses perspectives économiques mondiales, le Fond Monétaire International (FMI) souligne que « même si l’inflation mondiale a atteint des niveaux sans précédent dans l’histoire récente, […] la croissance des salaires réels est restée contenue dans la plupart des économies et les boucles prix-salaires – accélérations simultanées des salaires monétaires et des prix – ne se sont pas produites conformément à la plupart des expériences historiques ». Autrement dit, la hausse des taux d’intérêt a permis, en freinant la demande et, in fine, la croissance économique et en augmentant le chômage, de faire pression à la baisse sur les salaires afin de protéger les profits des entreprises.

 

Ensuite, les économistes de la Banque Centrale Européenne montrent que la politique monétaire de l’institution tend à protéger les ménages aisés à travers la hausse des taux d’intérêt. Ceux-ci sont déjà moins impactés par une hausse des prix de l’énergie, les consommations énergétiques représentant une part plus faible de leurs dépenses. Surtout, ils bénéficient de la hausse des taux d’intérêt à travers l’épargne qu’ils détiennent, et qui leur permet de toucher des revenus du capital sous forme d’intérêts qui limitent voire compensent la perte des revenus du travail. En revanche, les ménages les plus modestes n’épargnent que peu voire pas du tout, et ne comptent essentiellement que sur leurs revenus du travail, de sorte qu’ils ne peuvent tirer profit de la hausse des taux d’intérêt par la BCE pour compenser la perte de pouvoir d’achat causée par la poussée inflationniste. De ce fait, les économistes de la Banque Centrale Européenne notent que « si les ménages aisés sont moins affectés par les prix de l’énergie et peuvent choisir d’épargner pour bénéficier de taux d’intérêts plus élevés, une réponse politique active limite davantage la consommation des ménages moins aisés en raison d’une baisse plus marquée des revenus du travail ».

 

À retenir :

 

➢ La Banque Centrale Européenne a fait le choix d’augmenter ses taux d’intérêt directeurs pour lutter contre l’inflation. Cette politique repose sur l’hypothèse que l’inflation serait la conséquence d’un excès de demande dans l’économie.


➢ Pourtant, des travaux récents d’économistes de la BCE démontrent que l’inflation française et européenne est le résultat de chocs d’offre en lien avec la désorganisation des chaînes de production à la suite de la pandémie et la hausse des prix de l’énergie avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie.


➢ La poussée inflationniste ne trouvant pas son origine dans un excès de demande, la politique monétaire restrictive de la Banque Centrale Européenne est donc inefficace. Pire, elle tend à renforcer la récession, à accroitre les pertes de pouvoir d’achat et à protéger les revenus des plus fortunés et les profits des entreprises.

 

➢ La CGT considère que l’argent de la Banque Centrale Européenne doit financer en priorité les investissements répondant à des critères précis en matière économique (création de valeur ajoutée dans les territoires), sociaux (emploi, salaires, formation) et écologiques (économies d’énergie et de ressources naturelles). Cela passe par la mise en place d’institutions au niveau européen avec une nouvelle sélectivité de la politique monétaire en faveur des investissements favorables à l’emploi, à la formation et à la recherche, et avec un financement par la BCE de dépenses publiques répondant à des critères économiques, sociaux et écologiques, pour libérer les économies européennes de leur dépendance envers les marchés financiers.

 

1 Si la Banque centrale prête aux banques commerciales à un taux de 2%, alors ces dernières prêteront à un taux supérieur à 2% aux entreprises et aux ménages afin de réaliser des profits. Si la Banque centrale passe son taux à 3%, alors les banques commerciales prêteront désormais à un taux supérieur à 3%. C’est pour cette raison que l’on parle de taux d’intérêt directeur : la Banque centrale peut diriger les taux d’intérêt dans l’économie.

 

2 Cet objectif a bien été atteint pour la France par la BCE, puisque l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE) estime que la hausse des taux d’intérêt a coûté 0,6 point de PIB en 2023 et 2024 à l’économie française et a entrainé une hausse du chômage depuis 2024.

 

3 Les auteurs considèrent ici qu’une « politique monétaire passive » consiste à maintenir les taux d’intérêt constants en cas de choc inflationniste, alors qu’une « politique monétaire active » consiste à augmenter les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation.

 

Montreuil, le 15 novembre 2024

Publié dans Economie, Europe

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