Pourquoi le retour de Trump menace l’économie mondiale par Alternatives Economiques
Les principaux projets de Donald Trump sont inquiétants pour les Etats-Unis et le reste du monde. D’autant que le futur Président dispose de plus de pouvoirs, et est mieux préparé que lors de son premier mandat.
Quatre ans après son départ chaotique de la Maison-Blanche, Donald Trump est devenu le 47e président des Etats-Unis. L’homme d’affaires, qui a réussi à mobiliser son électorat tout en grignotant des voix dans celui de sa concurrente démocrate Kamala Harris, s’installera début janvier, fort d’une victoire incontestable puisque contrairement à son premier mandat, il a emporté à la fois le vote des grands électeurs, et le vote populaire.
Malheureusement pour les Etats-Unis et (surtout ?) pour le reste du monde, son retour au pouvoir risque d’être particulièrement néfaste, entre mesures fiscales inégalitaires, politiques climaticides, guerre commerciale mondiale et déstabilisations géopolitiques.
Ce, d’autant que cette fois, Donald Trump devrait disposer des « pleins pouvoirs » : le Sénat lui est d’ores et déjà acquis, la Chambre des représentants pourrait suivre et de nombreux juges lui sont plus favorables qu’entre 2016 et 2020.
Dans ce contexte, Alternatives Economiques a passé en revue les cinq domaines où le retour de Donald Trump devrait être le plus sensible… et le plus inquiétant.
1- En économie, un triple risque financier
Si Donald Trump applique son programme économique, le déficit budgétaire augmentera… de près de 8 000 milliards de dollars sur les dix prochaines années ! C’est en tout cas l’estimation du Committee for a responsable federal budget, un think tank transpartisan. L’essentiel de ce creusement tient à des baisses d’impôts massives, pour plus de 10 000 milliards, en faveur des plus fortunés et des entreprises. Elles seraient légèrement compensées par une baisse de quelques dépenses et des recettes supplémentaires liées à la mise en place de tarifs douaniers. Résultat : la dette publique américaine passerait de 100 % du produit intérieur brut (PIB) aujourd’hui, à plus de 140 % en 2035.
Premier problème : une telle demande de financement devrait pousser le loyer de l’argent à la hausse dans la décennie qui vient. Le taux d’emprunt à 10 ans, aujourd’hui autour de 4,5 %, devrait diminuer à court terme du fait de la politique monétaire de la banque centrale engagée dans une phase de baisse des taux. Mais le besoin massif d’argent de Trump poussera plutôt, toutes choses égales par ailleurs, à une montée des coûts d’emprunt (et donc des taux d’intérêt) à moyen-long terme.
Ce problème interne aux Etats-Unis ne va pas s’arrêter à ses frontières. Car la dette américaine va constituer une pompe aspirante sans précédent de l’épargne mondiale. Au moment où le reste du monde est déjà endetté et doit investir massivement dans la transition énergétique, l’innovation, la santé et les retraites, sans oublier la défense face à une Amérique qui s’isole, la guerre pour l’épargne mondiale va faire rage. De quoi créer des tensions financières régulières.
Ces tensions pourront d’autant plus se transformer en crises bancaires que Donald Trump devrait engager une politique de déréglementation financière et de pressions politiques fortes sur la banque centrale. Même un Jamie Dimon, le patron de J.P. Morgan, qui a longtemps défendu l’idée qu’une bonne régulation fortifiait les bilans bancaires, appelle désormais à de moindres réglementations.
Nul doute que le Royaume-Uni en profitera pour aller dans le même sens afin que la City ne perde pas d’avantages compétitifs. De même, les banques du Vieux continent en profiteront pour réclamer moins de règles.
Deux scénarios sont désormais possibles.
- Dans le premier, Donald Trump est à même d’appliquer son programme. Les Etats-Unis se retrouvent alors dans la même situation qu’à la fin des années 1920 et qu’en 2007-2008, deux périodes marquées par une triple convergence : des inégalités fortes et croissantes, des banques peu régulées, et à la clé, une crise financière d’ampleur historique.
- Dans le second scénario, les Républicains conservateurs sur le plan budgétaire freinent les baisses d’impôt voulues par Donald Trump (par exemple à hauteur de 5 000 milliards de dollars, comme en 2017).
C’est le sentiment qui dominait chez les analystes de marchés après l’annonce de la victoire de Donald Trump. Il pourrait, selon l’adage américain, « aboyer plus fort qu’il ne mord ». Mais quand la première puissance économique mondiale mord ne serait-ce qu’un peu, elle peut quand même faire mal à tout le monde.
Christian Chavagneux
2 - La guerre commerciale aura bien lieu
Difficile de faire le reproche à Donald Trump de ne pas avoir été clair sur ses intentions. Il a promis une relance et une accentuation majeure de la guerre commerciale. Il souhaite porter les droits de douane à 10 % (contre 3 % actuellement) sur tous les produits venus de l’étranger. La Chine, elle, se verra imposer un traitement de défaveur avec un taux de 60 %.
Le rehaussement des droits de douane sur certains produits n’est pas nouveau, tant les tensions commerciales sont vives depuis des années. Mais l’accentuation du protectionnisme américain promise par Donald Trump est d’une autre ampleur : il faut remonter aux années 1920 pour trouver une telle augmentation de tarifs douaniers aux Etats-Unis.
Si un taux de 10 % peut sembler modeste, c’est en fait tout à fait considérable, sachant que le droit de douane moyen dans le monde s’établit à 3,9 % et qu’aux Etats-Unis, il est même légèrement inférieur (3 %). L’ampleur de la mesure est d’autant plus importante que tous les pays du monde et tous les produits seront touchés.
Si les fabricants étrangers et les distributeurs américains ne modifient pas leurs marges, à court terme, ces évolutions de tarifs devraient être payées en bout de chaîne par le consommateur américain. Mais les conséquences ne seront pas uniquement états-uniennes, car ce renforcement du protectionnisme de la part de la première puissance économique mondiale devrait bouleverser les flux et l’équilibre du commerce international.
En ciblant très spécifiquement la Chine, avec un taux de 60 %, les exportations de Pékin vers les Etats-Unis devraient mécaniquement chuter. Une récente étude du Cepii prévoit une réduction de 80 % des exportations chinoises vers Washington si Donald Trump fait ce qu’il a promis. Les capacités de production chinoises sont telles que ce que Pékin n’exporte plus aux Etats-Unis prendra probablement une autre direction. A commencer par l’Europe, qui pourrait voir déferler encore plus de Made in China sur ses étals.
Justin Delépine
3 - Social : une politique fiscale qui se moque des inégalités
Rebelote ! Donald Trump compte aussi de nouveau creuser les inégalités aux Etats-Unis. Son programme économique prévoit déréglementation et réductions d’impôts, ces mêmes politiques qui ont contribué à enrichir les plus fortunés et appauvrir les moins aisés à partir des années 1980.
Le Républicain va reconduire les réductions d’impôts qu’il avait fait passer en 2017 et qui arrivaient à échéance l’an prochain. Ces cadeaux fiscaux aux plus aisés et aux entreprises n’ont pas « ruisselé » sur la classe moyenne comme il le prétendait. Le coefficient de Gini, qui mesure le degré d’inégalité de revenus, a augmenté après la mise en place de ces baisses d’impôts, pour culminer à 0,494 en 20211, son plus haut niveau depuis 1967.
Selon les calculs du think thank Tax Foundation, cette politique fiscale, associée à l’augmentation des droits de douane qui renchérira les prix des biens importés, réduira le revenu après impôts des 40 % des Américains les plus pauvres d’ici 2034. Ainsi, les 20 % de ménages les plus pauvres verront ce revenu baisser de 0,6 %, et ce sera 0,4 % pour le deuxième quintile (les ménages compris entre les 20 % des Américains les moins riches et les 60 % les plus aisés).
Quant aux 20 % les plus riches, ils devraient voir leur revenu après impôts augmenter de 3,1 %. De quoi accentuer les inégalités déjà profondes qui existent dans le pays.
Juliette Le Chevallier
4 - Une bombe à retardement climatique
« One of the greatest scams of all time » (en français, « une des plus grandes arnaques de tous les temps »). Voilà comment Donald Trump considère le réchauffement global. A quel point faut-il donc s’inquiéter de sa victoire en matière climatique ? Sur le plan international, Donald Trump a annoncé qu’il ferait de nouveau sortir l’Amérique de l’accord de Paris sur le climat. C’est le coup de tonnerre de 2016 qui se répète, mais en pire, car l’urgence est telle que tout ce qui retarde les politiques de décarbonation est une nouvelle bombe climatique.
Dans l’immédiat, les négociations de la COP 29 qui s’ouvrent en Azerbaïdjan, déjà très mal parties, sont plus que jamais plombées. Leur principal enjeu est de faire progresser les financements des pays riches en faveur des pays en développement. Mais si le premier responsable mondial (en termes de cumul historique des émissions de gaz à effet de serre) claque la porte, il sera très difficile d’avancer sur un accord.
Sans financements additionnels conséquents, il est à craindre que les pays émergents et en développement n’acceptent pas de revoir leurs engagements climatiques de court terme à la hausse. Et ils le feront d’autant moins que les pays riches, à commencer par les Etats-Unis, ne feront pas davantage d’efforts pour réduire leurs émissions domestiques de gaz à effet de serre.
De même, l’Europe, dont la détermination climatique a singulièrement faibli sur fond de progression électorale des droites dures, pourrait être encore moins encline à tenir son cap si le concurrent américain fait défection. Le relèvement des engagements nationaux (et leur mise en œuvre), au Sud comme au Nord, est pourtant une condition indispensable pour aligner ceux-ci avec l’objectif vital de rester bien en dessous de 2 °C. Pour rappel, les politiques actuellement menées conduisent à un monde à + 3 °C de réchauffement global.
Sur le plan intérieur, le second mandat de Donald Trump annonce un impact climatique et environnemental beaucoup plus désastreux que le premier. Il est difficile de dire si le nouveau Président va détricoter – et dans quelles proportions – les subventions massives accordées aux industries vertes sous Joe Biden dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. En effet, elles favorisent le « made in America », ce qui ravit les patrons républicains de ce secteur. Cet héritage pourrait donc être préservé.
En revanche, Donald Trump va pouvoir beaucoup détricoter les normes environnementales beaucoup plus facilement que lors de son premier mandat. Et ainsi pousser la prospection et la production pétrogazière nationale, la construction automobile (thermique) et les industries polluantes, ou encore faciliter l’exploitation de centrales électriques à charbon et à gaz.
Au cours de ses quatre premières années d’exercice du pouvoir, il s’était employé à démanteler une centaine de réglementations environnementales, dont des normes limitant les émissions des véhicules et des centrales électriques. Mais ses équipes s’étaient heurtées à une fonction publique qui traînait des pieds et à des recours devant la justice fédérale, qui a rejeté nombre de ses réformes, illégales et mal ficelées. Et ce qui avait été supprimé sous Trump a pu aisément être rétabli et renforcé sous Biden.
Depuis, les hommes de Donald Trump ont appris de leurs erreurs de jeunesse. Ils vont faire le ménage en profondeur dans les services de l’Etat, en particulier dans la puissante Agence de protection de l’environnement (EPA) et dans les institutions de recherche. Ils veilleront à ce que les futures réformes soient juridiquement inattaquables et très difficiles à défaire a posteriori.
Donald Trump devrait y être aidé par un congrès désormais majoritairement républicain et par les nombreux juges qu’il avait nommés sous son premier mandat, dont trois à la Cour suprême, majoritairement conservatrice.
Antoine de Ravignan
5 - International : l’Ukraine fragilisée, Israël conforté
L’Ukraine serre les dents. Dans son message de félicitations adressé à Donald Trump, Zelensky a rappelé que son pays dépend « d’un soutien fort, continu et bipartisan » de la part des Etats-Unis. Or, celui-ci pourrait s’éroder, le camp trumpiste ayant critiqué à maintes reprises la politique de livraisons d’armes à l’Ukraine par Biden et ses équipes.
Le candidat Trump a promis de mettre fin à la guerre en moins de 24 heures, sans préciser comment il s’y prendrait. « Il y a beaucoup d’incertitudes sur ce dossier : pourrait-il trouver un accord avec Poutine ? Va-t-il suspendre les livraisons d’armes ? », s’interroge Adrien Schu, maître de conférences en science politique à l’Université de Bordeaux.
Néanmoins, le chercheur souligne qu’entre les Républicains modérés et les Démocrates, le Congrès comptera toujours une majorité transpartisane pour poursuivre le soutien à l’Ukraine. « Cette majorité sera-t-elle suffisante pour contraindre l’action présidentielle ? Pour l’instant, nous ne le savons pas », poursuit-il.
Sur le dossier israélo-palestinien, le milliardaire devrait poursuivre la politique de son prédécesseur, c’est-à-dire un soutien militaire et politique au gouvernement de Netanyahou. Ce dernier s’est réjoui sur X (ex-Twitter) : le retour de Trump à la Maison-Blanche « offre un nouveau départ pour l’Amérique et un réengagement puissant en faveur de la grande alliance entre Israël et les Etats-Unis ».
Bibi – surnom du Premier ministre israélien – sait que le prochain Président ne devrait plus dénoncer la « crise humanitaire » (formule utilisée par les démocrates) à Gaza et inciter verbalement à Israël à la retenue, comme l’a fait Biden. « Lors de son premier mandat, Donald Trump s’était entouré de Républicains traditionnels, issus de l’establishment. Ceux-ci n’étaient pas sur la même ligne que lui et ont agi comme des contre-pouvoirs internes. Mais il s’est séparé de ces personnes et la loyauté sera le principal critère pour former sa prochaine administration », ajoute Adrien Schu.
En somme, Trump aura les coudées franches pour décider seul de sa politique étrangère qui s’annonce encore moins atlantiste, moins multilatérale, et davantage basée sur le bilatéralisme et la compétition.
Eva Moysan