Romain Huret, historien : « Le second mandat de Donald Trump va transformer le pays en profondeur »

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Migration, fiscalité, droits des minorités, casse de l’État fédéral… cette mandature du candidat républicain sera beaucoup plus radicale, analyse Romain Huret, auteur de l’ouvrage États-Unis. Anatomie d’une démocratie. Son projet pour la société américaine est prêt, à la différence de 2016. Avec les pleins pouvoirs.

 

Quelle est votre analyse de cette victoire de Donald Trump ?

 

Cette fois, il n’a pas surpris tout le monde. Le trumpisme existe depuis longtemps. Il peut être difficile à appréhender, à comprendre. L’homme lui-même est erratique, compliqué, inconstant, mais il possède une base militante forte, structurée, qui s’enracine aussi dans une histoire nationale.

 

Comme à d’autres périodes de l’histoire des États-Unis, ce mouvement s’appuie sur une crise démocratique et sur une crise sociale forte. Ce contexte a favorisé cette rencontre entre un homme, un électorat et une base militante. Ils adhèrent à un nouveau projet de société afin de dépasser et de résoudre cette crise sociale et démocratique.

 

En 2025, le président Donald Trump sera-t-il différent du candidat élu en 2016 ?

 

Il est parfois difficile de suivre Donald Trump, avec ses frasques. Mais l’ancien président a défendu des éléments de manière récurrente depuis janvier. Il propose un véritable projet, plus épuré et plus radical qu’en 2016. Cette fois, il revient au pouvoir avec l’expérience acquise huit ans auparavant.

 

Lors de son premier mandat, il était un novice en politique et n’avait jamais exercé de fonction politique. Ce passage à la Maison-Blanche l’a marqué et il n’avait jamais caché sa frustration par rapport à ce qu’il appelait l’État profond : la fonction publique états-unienne, l’administration, qui aurait selon lui entravé ses volontés réformistes.

 

Comment qualifieriez-vous le trumpisme en 2024 ?

 

Il s’est enraciné dans la société états-unienne. Les élections ont confirmé le déplacement de l’électorat, qu’il n’est plus possible de limiter à l’homme, l’ouvrier, le citoyen blanc en colère, déclassé. Les gains de Donald Trump sont significatifs au-delà de la classe moyenne et de l’élite blanches, conservatrices.

 

Le candidat républicain a élargi sa base électorale par rapport à 2016. Dans beaucoup d’États clés, de comtés clés, les Hispaniques ont voté pour lui malgré les dérives de certains de ses partisans. Une partie de l’électorat afro-américain, notamment chez les plus jeunes, se serait reportée sur lui.

 

Comment définiriez-vous son projet pour ce second mandat ?

 

À partir de janvier, Donald Trump entend décliner quatre thèmes majeurs en termes de politique intérieure.

 

  • Le premier porte sur une réforme fiscale et économique de grande ampleur. Le président élu souhaite que les États-Unis reviennent aux droits de douane comme principale source de revenus pour l’État. Cette mesure permettra aussi l’application de choix protectionnistes. Ce tournant en matière de politique fiscale conduira à poursuivre la baisse des impôts sur le revenu tout en maintenant le budget de l’État. Son financement dépendrait des droits de douane, prélevés massivement sur les produits qui sont importés aux États-Unis.

 

  • Le deuxième axe majeur est la réforme de la politique migratoire états-unienne avec un plan de « déportation » massive. Il l’a clairement annoncé et de manière beaucoup plus précise qu’en 2016. À l’époque, sa politique antimigratoire restait assez floue dans les aspects les plus pratiques. Il y avait ce projet du mur à la frontière mexicaine, mais qui est resté un peu nébuleux. À partir de 2025, Donald Trump souhaite procéder à des expulsions massives qui reposeraient sur la mobilisation des forces de police et éventuellement des forces militaires. Les migrants illégaux seraient arrêtés, placés dans des camps et expulsés. Durant la campagne, avec son équipe, tout a été préparé et décrit très concrètement.

 

  • Pour le troisième point, il s’agit d’une réforme de l’État. Donald Trump n’a pas du tout apprécié son expérience à la tête de l’État de 2016 à 2020. Il a annoncé vouloir confier à Elon Musk une mission sur la réforme de l’État fédéral pour le rabougrir et le ramener à l’État des origines à la fin du XVIIIe siècle. C’est-à-dire un État avec des missions limitées et des périmètres d’action définis. Cette transformation en profondeur aura des conséquences très importantes en matière sociale et environnementale. Beaucoup de fonctionnaires de l’État travaillent dans les parcs fédéraux et des parcs naturels, par exemple.

 

  • Le quatrième axe, c’est le démantèlement du droit des minorités, déjà engagé au cours de son premier mandat. Cette réforme de la jurisprudence aux États-Unis va clairement s’accélérer et imposer une contre-révolution juridique. Avec son administration, ses militants, ses juristes, Donald Trump entend inverser toute la dynamique progressiste qui a permis, depuis les années 1960, d’étendre les droits des minorités raciales et sexuelles (mariage homosexuel, droits des LGBT, des transsexuels, etc.) avec les décisions de la Cour suprême et des tribunaux inférieurs. Les conservateurs souhaitent limiter ces droits et revenir sur toutes ces jurisprudences comme ils l’ont fait pour l’avortement.

 

Avec les pleins pouvoirs institutionnels qui se dessinent pour lui, Donald Trump aura-t-il les mains libres pour déployer son projet ?

 

Ces quatre axes majeurs sont pensés et articulés les uns avec les autres pour transformer en profondeur le pays. « Trump 2 » pourrait être beaucoup plus radical et beaucoup plus transformateur que « Trump 1 ». Et le milliardaire n’aura pas besoin de réformer la Constitution. Il va s’attaquer aux agences fédérales en les supprimant ou en limitant leur fonctionnement. La Constitution n’est pas très claire en ce qui concerne l’administration.

 

Au départ, les pères fondateurs n’avaient pas envisagé une administration aussi importante que celle mise en place dans les années 1930-1940. Il peut réformer massivement l’administration fédérale, comme l’a fait le président Milei en Argentine. Elon Musk, qui est un penseur libertarien, pourrait plaider pour la privatisation de fonctions qui sont jusqu’ici assurées par l’État fédéral.

 

À la différence de 2016, Donald Trump aura les pleins pouvoirs avec une mainmise sur le Sénat, la Chambre des représentants, la Cour suprême. L’autre élément prépondérant, c’est qu’il a remporté le vote populaire. Huit ans auparavant, sa légitimité avait été attaquée, car il avait été porté au pouvoir par les grands électeurs.

 

Quel a été l’impact des influenceurs, de la campagne sur les réseaux sociaux ?

 

Leur répercussion est indéniable. La campagne a montré un basculement des deux candidats vers des médias non traditionnels. Il n’y a pas eu de grands débats télévisés. Ce déplacement vers les réseaux sociaux a profité prioritairement à Donald Trump. Son équipe de campagne a été extrêmement efficace : elle est parvenue à saturer systématiquement les réseaux sociaux, le monde médiatique, avec des thématiques, des images, des propos dont le seul rôle était d’envahir l’espace.

 

Est-ce que ce projet trumpiste, cette campagne sont transposables aujourd’hui outre-Atlantique ?

 

Tous les ingrédients qui ont permis cette nouvelle victoire peuvent être utilisés ailleurs et je ne vois pas pourquoi la France échapperait à ce risque-là. Le projet de Donald Trump et des conservateurs aux États-Unis a beaucoup inspiré le Rassemblement national et d’autres partis d’extrême droite. Cette stratégie de terrain, de mobilisation de la sphère médiatique, de saturation de l’espace et d’outrance les intéresse et des liens existent entre ces courants conservateurs.

 

Romain Huret

Historien des États-Unis, président de l’EHESS

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