Pourquoi l’œuvre de Paul Boccara permet-elle de changer le monde ?

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Pourquoi l’œuvre de Paul Boccara permet-elle de changer le monde ?Pourquoi l’œuvre de Paul Boccara permet-elle de changer le monde ?

Un ouvrage inédit de Paul Boccara publié par Catherine Mills au Temps des cerises, 12 leçons d’économie et d’anthroponomie, et un livre collectif dirigé par Frédéric Boccara, Connaître et lutter avec Paul Boccara, aux éditions de l’Humanité, remettent la lumière sur les apports théoriques de l’intellectuel communiste.

 

Les deux économistes soulignent son actualité pour comprendre le capitalisme contemporain, qui s’inscrit comme un prolongement des recherches de Marx. Si Paul Boccara, disparu en 2017, démonte les dogmes néolibéraux, il secoue également les idées de la gauche. Ces deux ouvrages invitent à s’en emparer et à remettre notamment sur le métier sa proposition de « sécurité d’emploi et de formation ».

 

Quelle était votre intention avec la publication de ces deux livres ?

 

Catherine Mills Economiste

 

Cet ouvrage posthume est la retranscription d’un documentaire réalisé par Aude et Olivier Servais, qui réunit douze entretiens filmés au domicile de Paul Boccara. Il présente de manière vivante et pédagogique l’histoire de la pensée de cet économiste communiste, mettant en lumière ses travaux en économie et anthroponomie, toujours guidés par les besoins des luttes et une double exigence de construction théorique et de propositions alternatives pour avancer vers des constructions institutionnelles viables de transition révolutionnaire.

 

La première partie propose neuf leçons d’économie. Dans la première, Paul Boccara explique, dès 1961, que le Capital de Marx constitue un moment réduit d’un processus inachevé. Il approfondit les recherches sur la dialectique du capital et les réalités du capitalisme contemporain.

 

Dans la seconde, il développe ses théories sur la suraccumulation et la dévalorisation du capital, poursuivant des travaux menés tout au long de sa carrière au CNRS. Il dépasse Marx en forgeant sa propre théorie, en examinant les liens et les différences entre les courants théoriques de l’histoire économique et la pensée marxiste, et en élaborant la théorie du capitalisme monopoliste d’État (CME), à laquelle il ajoutera l’adjectif « social » pour dépasser l’ossification de la pensée soviétique et la conception étroite du mécanisme unique État-monopole.

 

Quels sont les apports théoriques de Paul Boccara ?

 

Cette théorie permet de comprendre la sortie de crise dans les pays capitalistes après guerre, notamment en France, avec la Sécurité sociale, les nationalisations et la planification. Il aborde aussi la crise du CME en s’appuyant sur les cycles longs, poursuivant l’apport de Kondratiev et annonçant dès 1967 une crise systémique. Il fonde en 1971 une première théorie de régulation systémique du capitalisme par le taux de profit, à laquelle il s’oppose radicalement.

 

Il propose également de nouveaux critères pour l’intervention des salariés dans la gestion des entreprises, issus de l’expérience de gouvernement de gauche en 1981, et œuvre à la promotion de l’autoformation des travailleurs pour transformer la société.

 

Face à la crise systémique, il prône des solutions visant à réduire les dépenses en capital et à maximiser la valeur ajoutée dans l’intérêt des travailleurs et des populations. Dans une autre leçon, il expose sa théorie de la révolution informationnelle, analysant les potentialités et contradictions des transformations technologiques dès 1983. Il avance aussi des propositions pour une nouvelle création monétaire, un crédit alternatif, une autre construction européenne, ainsi qu’une monnaie commune mondiale pour refonder les institutions internationales et développer des biens communs comme l’alimentation, la santé ou l’énergie.

 

Il propose un projet de société radicalement alternatif pour dépasser le capitalisme, abolir le chômage et réinventer les relations économiques et sociales. Enfin, il entend dépasser les marchés capitalistes dans tous leurs aspects, pour mener une transition socialiste réussie.

 

Ses travaux fondamentaux, publiés en deux volumes en 2013 et 2015, offrent un bilan des théories des crises cycliques, des crises systémiques et des transformations du système capitaliste. Ils intègrent également des analyses sur la crise écologique et climatique, ainsi que sur le libéralisme et les défis d’une nouvelle civilisation à l’échelle de l’humanité, à partir de ses recherches sur l’anthroponomie.

 

Frédéric Boccara  Paul Boccara commence son ouvrage en dénonçant les dogmes, qu’il estime nécessaires à abattre pour gagner une liberté nouvelle. Il souligne le besoin de théories et de propositions pour l’action, dans un monde marqué par la domination du capitalisme et son exacerbation.

 

Le livre, organisé en sept chapitres, s’appuie sur des textes de Boccara, incluant des interviews et des conférences, pour explorer des thématiques comme l’économie et l’anthroponomie, ce « continent » que Marx avait à peine abordé. Il met en lumière la domination des banques dans le nouveau capitalisme, soulignant qu’il est vain de se focaliser sur la question fiscale sans comprendre leur rôle.

 

Avec la crise financière de 2008, ce sujet est brièvement revenu sur le devant de la scène, mais a été vite oublié. Boccara craignait que son travail, comme dans l’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, ne tombe dans l’oubli. Il faut s’en emparer.

 

L’Humanité le pense aussi, puisque le livre commence sur un avant-propos signé de son directeur, Fabien Gay. C’est un signe politique important. Sur l’inachèvement de Marx, l’apport de Paul Boccara réside dans l’analyse du capitalisme de sortie de crise après 1945. Les Soviétiques parlaient encore de « crise permanente du capitalisme ».

 

Avec l’intervention de l’État, Paul Boccara propose la théorie du capitalisme monopoliste d’État, dont il démontre que la suraccumulation-dévalorisation du capital est au cœur. L’argent devient une avance pour le développer tandis que le capitalisme se régule par le taux de profit. Comparée à l’Ancien Régime, sa force est d’être décentralisé partout.

Il demeure cependant des éléments de centralisation avec les banques et les grands groupes. Pour lui, la révolution technologique actuelle, qu’il appelle « révolution informationnelle », n’est pas une énième révolution industrielle, mais un bouleversement majeur.

 

En quoi cette œuvre est-elle transformatrice ?

 

Frédéric Boccara Economiste

 

Paul Boccara s’attachait à démonter des dogmes fondamentaux, quatre en économie et trois en anthroponomie. En économie, il remet en question la vision du capital comme une valeur devant systématiquement générer du profit, proposant de considérer les machines et les ressources comme des outils au service du bien humain. Il critique aussi la rentabilité comme seul critère d’efficacité, lui préférant la création de valeur ajoutée.

 

Concernant la dette, il estime qu’il ne s’agit pas seulement de la rembourser, mais de comprendre que le développement des capacités humaines d’aujourd’hui garantit de rembourser demain. Enfin, il rejette l’idée que l’emploi soit un simple coût, affirmant que les salariés et le travail représentent un potentiel créatif majeur.

 

En anthroponomie, Paul Boccara envisage la régénération des sociétés et des personnes humaines, remettant en cause l’individualisme promu par le libéralisme. Il critique la fausse égalité des individus face aux monopoles et aux ressources inégalement réparties.

 

Enfin, il souligne l’importance des services publics, trop souvent absents des théories économiques, et propose de les penser comme un lien entre économie et vie humaine anthroponomique. Ses analyses ouvrent la voie à une réflexion globale alliant économie, régénération humaine et transformation sociétale.

 

Au-delà de la publication de ce livre, quelles seraient les initiatives à prendre pour que les gens, les militants se l’approprient ?

 

Catherine Mills Il faut connaître Paul Boccara. À partir de ces 12 leçons, il y a matière à faire des formations. Ce livre, c’est l’histoire de la pensée de Paul, de tout ce qu’il apporte au marxisme vivant. Notre ouvrage collectif prouve que nous avançons à partir de Marx et de Paul Boccara.

 

Mon espoir, c’est qu’à partir de chacune de ses leçons, nos camarades s’en empreignent. Il ne s’agit pas seulement d’immortaliser la pensée de l’économiste, mais d’avancer, de créer nous-mêmes. Des travaux considérables autour de la revue Économie et Politique restent encore méconnus.

 

Frédéric Boccara Paul a écrit sur l’écologie dans son ouvrage sur les théories de la suraccumulation-dévalorisation. Le défi écologique est fondamental si on ne le voit pas comme un objectif qui nous amène à tout abandonner, mais qui renforce la radicalité et la profondeur de ce qu’on fait.

 

Nous devons changer les modes de production, de consommation, notre culture, jusqu’aux technologies. Même dans le mouvement communiste, il peut exister la tentation de considérer la technologie comme bonne en soi. Nous sommes entrés dans l’anthropocène par le capitalisme.

 

Les humains ont désormais une influence sur la planète. Ce que propose Paul Boccara, en économisant à la fois sur les matières premières et sur le capital pour développer les capacités humaines, est très profondément écologiste. Il démontre également combien le système capitaliste récupère et brouille les idées. Lorsqu’il concède quelques aménagements, il en profite pour faire payer plus cher les produits de consommation et baisser le coût du travail. Ça ne marche pas. Quand on instaure une taxe carbone au nom de l’écologie, par exemple, les patrons augmentent les prix et font baisser les salaires. C’est mauvais socialement et c’est inefficace.

 

La question du pouvoir dans les entreprises est absente du débat sur la démocratie. Qu’apporte la pensée de Paul Boccara sur la démocratie dans les lieux de travail ?

 

Catherine Mills Les nouveaux critères de gestion qu’il propose pourraient permettre aux salariés de gérer leurs entreprises. Le pouvoir des entreprises, c’est le pouvoir des travailleurs avec de nouveaux critères. À la tête de l’association qu’il avait fondée, l’économiste a reçu un accueil formidable de tous les syndicats des entreprises dans lesquelles il exposait son projet. Cet élan est malheureusement vite retombé. Sous les gestions de Jospin comme de Hollande, on a abandonné cette réflexion à gauche. Il faut la reprendre, en liaison avec les syndicalistes et notamment la nouvelle direction de la CGT.

 

On nous promet une nouvelle cure d’austérité. Comment sortir de cette impasse ?

 

Frédéric Boccara Les avances de capitaux doivent être orientées selon d’autres critères. C’est ce que propose le programme du Nouveau Front populaire (NFP). Sauf que la critique de ses adversaires fait planer la menace de l’augmentation des déficits.

 

L’élargissement électoral du NFP reste donc difficile. Il faut prendre exemple sur le passé. En 1944-1945, le pays est reparti grâce à des dépenses massives, mais avec des changements structurels permettant de produire des résultats. C’est cette logique qu’il faut pousser.

 

Prendre l’argent des méchants riches sans toucher aux entreprises, ça ne marchera pas. Il faut ensuite mettre l’emploi et la formation parmi les premiers critères de ces nouvelles dépenses, jusqu’à changer les conditions de crédits aux entreprises. Plus on développe l’emploi et la formation dans le fret ferroviaire, par exemple, plus on mesure que ça permet de diminuer les émissions de CO2, plus on appuie financièrement.

 

L’historien des idées Ernest Labrousse avait rythmé l’histoire du mouvement ouvrier : le déclin du mouvement s’accompagnait de l’essor des idées nouvelles ; sur cette base, le mouvement prend un nouvel élan tandis que les idées nouvelles déclinent. Nous vivons le déclin du mouvement et, en même temps, l’envie d’idées nouvelles. Donc, emparons-nous de celles de Paul Boccara !

 

Si nous devions reprendre une de ses propositions, laquelle choisiriez-vous ?

 

Catherine Mills La sécurité d’emploi et de formation. C’est la plus importante. Elle ne doit pas rester dans notre petit cercle des successeurs et prendre une plus grande dimension. J’espère que l’on pourra travailler avec la CGT et élargir à d’autres organisations syndicales.

 

Frédéric Boccara La sécurité d’emploi et de formation est systémique. Elle ouvre des possibilités de transformation en France et dans le monde entier. C’est une autre régulation. Face aux difficultés, ce sont les humains que nous aidons à se développer.

 

On fait de la formation au lieu du chômage. C’est un projet pour un socialisme du XXIe siècle. Une autre mondialisation est aussi fondamentale. Je rejette la lubie de la « démondialisation ». Je milite pour une mondialisation de partage et de progrès, avec une monnaie commune mondiale.

 

Interview de Diego Chauvet Publié dans l'Humanité

Publié dans Economie, PCF

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article