Syrie : soulagement et lourdes inconnues... par Francis Wurtz

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Comment ne pas comprendre et partager le soulagement ressenti par la plupart des Syriens, libérés de l'oppression féroce d'un tyran ! Ils espèrent enfin venu le temps de la reconstruction et de la démocratisation d’une Syrie exsangue et trop longtemps asservie.
 
 
Le fait que la chute de la dynastie des Assad ait eu lieu, jusqu'ici, sans affrontements meurtriers entretient l'espoir d'une transition pacifique. L'engagement du leader de la coalition insurgée d'éviter toute vengeance et de respecter les minorités renforce encore l'impression que la promesse d'une « nouvelle ère » sera tenue. On ne peut que le souhaiter pour la population syrienne comme pour les autres peuples du Proche-Orient.
 
 
Pourtant, force est malheureusement de reconnaître que rien n'est moins sûr. D'abord, le chef islamiste du groupe rebelle HTS a beau avoir quitté la branche syrienne d’Al Qaida et adapter son discours à ses nouvelles ambitions, son lourd passé de djihadiste plaide pour une attitude très lucide et résolument vigilante à son égard. En outre, rien ne nous préserve du risque d'éclatement de la coalition hétéroclite qu'il dirige.
 
 
On ne peut s'empêcher, à cet égard, de repenser avec effroi aux tragédies afghane ou libyenne.
 
 
En Afghanistan, on se remémore deux moments-clés : d'abord, lorsqu'en 1992, les différentes factions de moudjahidines se sont déchirées après leur victoire, entraînant, quatre années durant, une terrible guerre civile; ensuite, quand en 2021, les talibans se sont publiquement engagés à protéger les droits humains, avant de les violer de la pire des manières !
 
 
Concernant la Libye, qui n'a en mémoire la rapidité avec laquelle l'euphorie suscitée par l'élimination de Kadhafi, en 2011, a laissé place à l'affrontement entre deux pouvoirs rivaux et au chaos qui s'ensuivit, provoquant des dizaines de milliers de victimes et transformant le pays en un véritable enfer pour les réfugiés originaires de 41 pays ! Sans parler de l’après-Sadam Hussein en Irak…
 
 
Certes, comparaison n'est pas raison : les leçons tirées de ces précédents désastreux peuvent aider à éviter les mêmes dérives fatales. Comme l'a noté avec beaucoup de diplomatie l'émissaire des Nations unies en Syrie, Geir Pedersen: les presque 14 ans de guerre civile ont été « un chapitre noir (qui) à laissé des cicatrices ». Aussi, ajouta-t-il, faut-il regarder vers l'avenir « avec des espoirs prudents d'ouverture (...), de paix, de réconciliation, de dignité et d'inclusion pour tous les Syriens »...
 
 
Il reste à surveiller l'attitude des Etats voisins, qu’il faut empêcher de jeter de l’huile sur le feu. C’est le cas de l’Iran, qui prône pour le moment le « dialogue »…C'est le cas d’Israël qui, en plus d’occuper le Golan syrien, vient, pour « sécuriser sa frontière », de pénétrer avec des chars en territoire syrien ! Et c’est le cas de la Turquie qui, « avec le changement de donne sur le terrain, apparaît comme l'acteur majeur du moment en Syrie », souligne un chercheur américain, spécialisé dans les affaires de la région (1).
 
 
Erdogan poursuit, en l'occurrence, un double objectif : favoriser toute action à même de dominer les Kurdes de Syrie -qui représentent, avec plus de deux millions de personnes, la principale minorité du pays- et profiter de la conjoncture favorable à ses ambitions hégémoniques pour renforcer le poids de la « puissance » turque dans la région.
 
 
On attend enfin de voir si la Russie, en conservant ses deux bases en Syrie, adoptera une position neutre. La vigilance va de pair avec notre solidarité à l’égard du peuple syrien.
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(1) Ömer Özkizilcik, chercheur associé à l'Atlantic Council à Ankara
 
NB : cette chronique, parue dans l’ « Humanité Magazine » du 12/12/2024 a été rédigée le 8/12

Publié dans Moyen Orient, International

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