Dette publique : « Il faut s’affranchir de la dépendance aux marchés » selon l’économiste Denis Durand

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

« N’oublions pas qu’entre 2008 et 2021 la BCE et les banques centrales nationales ont injecté 7 000 milliards d’euros dans la zone euro, notamment sous forme de rachats de titres de dette publique », rappelle Denis Durand. © Albert Facelly

« N’oublions pas qu’entre 2008 et 2021 la BCE et les banques centrales nationales ont injecté 7 000 milliards d’euros dans la zone euro, notamment sous forme de rachats de titres de dette publique », rappelle Denis Durand. © Albert Facelly

 

Que ferait un gouvernement de gauche de nos déficits publics ? L’économiste communiste Denis Durand trace les contours d’une politique d’endettement progressiste, qui permettrait de répondre aux besoins essentiels de la population sans couper dans les dépenses publiques ni faire d’économies sur l’avenir.

 

À quoi devrait ressembler une politique d’endettement « de gauche » ?

 

Plutôt que d’endettement, avec sa connotation culpabilisatrice, il vaut mieux parler d’avances de fonds pour réparer et développer nos services publics. C’est indispensable, il n’y a qu’à voir l’état de délabrement de nos hôpitaux, de la justice, de l’éducation nationale…

 

Pour réaliser le programme du Nouveau Front populaire, nous estimons nécessaire d’embaucher au moins 500 000 fonctionnaires supplémentaires en cinq ans, soit 21 milliards d’euros de dépenses publiques chaque année. On nous répondra que c’est énorme. Peut-on s’en passer ? Non. C’est un choix politique vital pour le pays et pour celles et ceux qui y vivent.

 

Au prix d’une hausse de notre endettement public ?

 

Dans un premier temps, les nouvelles dépenses se traduiront par une augmentation du déficit budgétaire. Bien sûr, on pourra dégager de nouvelles recettes en augmentant les impôts pesant notamment sur les grandes entreprises.

 

Mais, même si on confisquait tous les profits du CAC 40 – 150 milliards en 2023 –, cela ne suffirait pas à financer l’ensemble des mesures prévues dans notre programme : embauches et formation dans les services publics, augmentation des salaires, retraite à 60 ans, neutralité carbone à l’horizon 2050 Il faut donc que l’économie crée plus de richesses.

 

Aujourd’hui, l’État s’endette en émettant des obligations sur les marchés financiers, ce qui nous expose aux aléas des marchés. Si les détenteurs de portefeuilles considèrent un jour que la politique de l’État français ne leur convient plus, les taux d’intérêt exploseront. Peut-on imaginer qu’ils approuveraient une politique de développement des services publics avec des embauches de fonctionnaires ? Il nous faut donc nous affranchir de cette dépendance.

 

Comment faire ?

 

Le problème est d’une telle ampleur qu’il faut interpeller directement la Banque centrale européenne (BCE) pour qu’elle mette sa création monétaire au service du développement des services publics.

 

N’oublions pas qu’entre 2008 et 2021 la BCE et les banques centrales nationales ont injecté 7 000 milliards d’euros dans la zone euro, notamment sous forme de rachats de titres de dette publique. Mais cette inondation de liquidités est loin d’avoir suscité une création de richesses équivalente. Nous proposons de procéder de manière plus simple : cet argent doit financer des projets prioritaires de développement des services publics décidés démocratiquement dans chaque pays.

 

On nous rétorquera que l’article 123 du traité de Lisbonne interdit à la BCE de prêter aux États. C’est pourquoi nous proposons qu’elle ne prête pas directement au gouvernement mais, dans un premier temps, à un pôle public bancaire qui rassemblerait la Caisse des dépôts, Bpifrance, La Banque postale, et d’autres institutions financières publiques ou nationalisées. Ce serait la préfiguration d’un fonds de développement européen pour les services publics.

 

Comment s’assurer que l’endettement français ne devienne pas incontrôlable ?

 

Un financement rationnel de l’économie consiste à avancer de l’argent pour réaliser tout de suite des dépenses dont les effets positifs permettront progressivement de créer plus de richesses qu’il n’en faudra pour rembourser ces avances. À horizon de cinq ou six ans, la priorité donnée au développement de l’emploi et de la formation, dans les entreprises comme dans les services publics, augmenterait la valeur ajoutée produite dans notre pays, et donc le volume de rentrées fiscales, d’un montant bien supérieur au déficit initial.

 

En somme, nous voulons amorcer un cercle vertueux en créant des emplois de bonne qualité dans le secteur public et en entraînant les entreprises dans cette dynamique. 20 % de la main-d’œuvre en France n’a pas accès à de vrais emplois de qualité : aux 7 à 8 % des chômeurs, au sens du BIT, s’ajoute la même proportion de personnes coincées dans le halo du chômage, auxquelles il faut additionner les temps partiels contraints. Soit un total qui n’a jamais été inférieur à 5 millions de personnes depuis vingt ans. Or, si 20 % de la main-d’œuvre retrouve, demain, un emploi de qualité, cela augmentera d’autant la valeur ajoutée.

 

Cet effort dépendra à 80 % des entreprises, mais il faudra pousser ces dernières à abandonner leur obsession de la rentabilité, au profit d’une nouvelle efficacité fondée sur le développement de l’emploi et de la formation. Cela ne se fera pas du jour au lendemain et nous aurons besoin d’instaurer un rapport de force, par les luttes, par des incitations fiscales et par une nouvelle orientation des crédits bancaires. Cette voie difficile est la seule réaliste pour s’en sortir.

 

Denis Durand  Article publié dans l'Humanité

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