L'avenir des États-Unis : entretien avec le chercheur Romuald Sciora
Le deuxième grand chantier de l’administration Trump consiste à préparer une contre-révolution culturelle en adoptant des réformes sociétales ultraconservatrices. Ici, le 11 décembre 2024 à Palm Beach. © Joe Raedle/Getty Images/AFP
La nouvelle présidence Trump va accélérer un processus de polarisation, explique le chercheur Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’Iris.
Les États-Unis n’ont jamais été aussi divisés depuis la guerre de Sécession. Romuald Sciora1 (Essayiste et chercheur à l’Iris) analyse l’impact sur l’unité déjà écornée du pays qu’auront les politiques réactionnaires de Donald Trump à partir de ce lundi 20 janvier.
Quel Donald Trump s’apprête-t-il à prendre ses fonctions aujourd’hui ?
Romuald Sciora : Donald Trump s’est radicalisé à la fin de son premier mandat, et encore davantage au cours des quatre années passées en tant qu’opposant. Il incarne aujourd’hui une droite ultraréactionnaire, cryptofasciste, associée aux mouvements religieux les plus radicaux.
Son entourage est désormais bien plus structuré et influent qu’il ne l’était il y a huit ans. Il a autour de lui des think tanks comme l’Heritage Foundation, à l’origine du fameux Projet 2025, ainsi qu’une équipe professionnelle qui a pour but de refonder les États-Unis. La grande différence aujourd’hui est que Trump contrôle intégralement le Parti républicain. Cela lui permettra de mettre en œuvre ses projets. Dans deux ans, l’Amérique ressemblera sans doute davantage à la Hongrie de Viktor Orban qu’à celle de Kennedy ou d’Obama.
Que peut-on attendre de l’agenda trumpiste et de l’application du Projet 2025 ?
RS : Ce projet, concocté par l’Heritage Foundation en collaboration avec les proches de Donald Trump, est la boussole de cette administration, sa feuille de route. Son objectif est clair : recentraliser la plupart des pouvoirs à la Maison-Blanche. Cela signifie que de nombreuses prérogatives actuellement dévolues au Congrès seraient transférées à l’exécutif, une mesure que les élus semblent prêts à accepter.
La justice n’y échappe pas : le procureur général des États-Unis, équivalent du ministre de la Justice, perdrait sa semi-indépendance et le pouvoir judiciaire se trouverait entièrement placé sous l’autorité du président. De même, ce dernier prendrait les rênes de la plupart des agences fédérales. L’objectif global est donc de restructurer l’État fédéral en centralisant les pouvoirs autour du président.
Paradoxalement, il envisage de donner plus d’autonomie aux États sur les questions sociétales, tandis que les domaines régaliens resteraient sous son contrôle. Le deuxième grand chantier de l’administration consiste à préparer une contre-révolution culturelle en adoptant des réformes sociétales ultraconservatrices. Cela inclut l’invisibilisation des minorités et la restriction des droits de la communauté LGBT. Autres objectifs : celui d’abolir le mariage homosexuel et d’interdire l’avortement au niveau fédéral.
Pourrait-on assister à une montée des résistances de certains États fédérés face à l’agenda politique de Trump ?
RS : Non, il n’y en aura pas, sauf peut-être pour la Californie. Les discours s’infléchissent. Le maire démocrate de New York, Eric Adams, s’est par exemple rendu en Floride vendredi dernier pour s’attirer la grâce de Trump. Il fera sûrement des concessions sur la politique migratoire.
En ce qui concerne les questions sociétales, les droits des LGBT et des femmes, des protestations émergeront encore dans certains États, de groupes féministes notamment. Mais je ne pense pas qu’il y aura une forte résistance, sauf dans quelques rares États, notamment sur la côte Ouest.
La société américaine apparaît profondément divisée selon des lignes idéologiques, politiques et culturelles irréconciliables. Le journaliste Carl Bernstein parle même d’une éventuelle « guerre civile froide ». Partagez-vous cet avis ?
RS : L’État fédéral aux États-Unis a toujours été très fragile, mais aujourd’hui il est en déliquescence. C’est dans ce contexte que les volontés d’autonomie et de séparation se font les plus fortes. Parallèlement, une polarisation politique extrême s’installe, notamment autour des questions sociétales. Il n’y a plus de points communs entre les habitants de la Bible Belt (ceinture de la Bible, dans le Sud – NDLR) et ceux de Californie. Le credo unificateur américain fondé sur l’égalité, la liberté et la diversité religieuse n’existe plus.
Je pense que les États-Unis que nous connaissons aujourd’hui n’existeront plus d’ici à la seconde moitié de ce siècle, voire plus tôt. Un premier scénario pourrait être le retour à une confédération où un noyau dur d’État fédéral coexisterait avec des États plus autonomes, comme la Californie, l’Oregon, l’État de Washington, voire New York. Cependant, le scénario le plus probable, vu la tendance autoritaire des États conservateurs, serait un divorce pur et simple, avec la création de nouveaux États indépendants.
Je ne fais pas partie de ceux qui fantasment sur une guerre civile. Il me semble plus probable que nous assistions à un divorce à la tchécoslovaque, avec quelques violences sporadiques. On en voit déjà les prémices, comme avec ce qui s’est passé au Texas, où le gouverneur Greg Abbott a opposé la police de l’État aux forces fédérales à la frontière. Il est donc possible que de telles violences se multiplient, mais je ne crois pas à un affrontement militaire de grande ampleur.
- Auteur de l’Amérique éclatée, plongée au cœur d’une nation en déliquescence, Armand Colin, janvier 2025. ↩︎
Interview de Marie Penin publié dans l'Humanité