L'impérialisme américain cherche à restructurer les relations politiques au Liban après l'invasion israélienne
Le parlement libanais réuni le 9 janvier a élu Joseph Aoun président de la République. Ce scrutin intervenait sous d'intenses pressions de la part de la « quinquette » (France, États-Unis, Égypte, Arabie saoudite, Qatar) d'accord sur la candidature commune de Joseph Aoun le commandant en chef des forces armées. Elles ont mobilisé leurs influences pour peser sur la vie politique interne pour choisir, dans le dos du peuple libanais, une personnalité qui dirigera le Liban selon leurs intérêts géostratégiques.
Institutionnellement, la Constitution libanaise régit l’élection présidentielle au suffrage indirect secret par les 128 membres de la Chambre des députés. Cependant, ce vote ne peut avoir lieu que si les deux tiers des membres sont présents dans la salle : une condition qui rend le système sensible à toute tentative de blocage. Par ailleurs, la scène politique est profondément fragmentée autour du Hezbollah, empêchant l’émergence d’un consensus, tout en étant influencée par les acteurs internationaux qui imposent leur agenda politique dans les affaires internes du Liban.
Ainsi, les délégations présentes à Beyrouth sont déterminées à tirer profit du considérable affaiblissement des forces militaires et politiques du Hezbollah par Israël, du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah et de l'effondrement du régime syrien d'Assad aux mains de l'allié islamiste de Washington, Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Elles ont cherché à établir un gouvernement explicitement pro-américain et pro-israélien et à mettre fin à la longue influence de l'Iran via le Hezbollah et ses alliés politiques. Le nouveau président Joseph Aoun semble répondre à ces exigences défendues par Washington.
Et les pressions diplomatiques se sont intensifiées sur les députés pour les pousser à choisir Aoun. Depuis le début de la semaine, les émissaires américain, Amos Hochstein, saoudien, Yazid Al Farhane, et français, Jean-Yves Le Drian, ont eu des rencontres séparées avec des députés et des personnalités politiques libanaises. Ces derniers ont affirmé que Washington et Riyad soutenaient la candidature du commandant en chef. Il en est de même pour Paris.
Parmi les autres candidats figuraient Jihad Azour, ancien ministre des Finances, aujourd’hui directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international (FMI), et Elias Al Baysari, chef par intérim de l’agence de sécurité générale du Liban, qui s’est retiré le jour du vote.
L'affaiblissement du Hezbollah
Le Hezbollah a été formé dans les années 1980 en tant que «Résistance islamique» dédiée à la «lutte armée» contre Israël. Il a été créé au milieu de l'occupation israélienne du Liban durant la guerre civile de 1975-1990, qui a servi de guerre par procuration pour les puissances régionales et impérialistes rivales. Soutenu par la Syrie et l'Iran, il tire son soutien au Liban des masses chiites auxquelles il fournit des services sociaux vitaux. Le Hezbollah prônait le corporatisme, le paternalisme et l'obscurantisme religieux comme contrepoids à la lutte des classes. Avec ses alliés chiites et palestiniens, il constitue le plus grand bloc du système politique confessionnel fragmenté du Liban.
Ce petit pays, longtemps un pion des machinations plus larges des puissances impérialistes et régionales, est sans président depuis plus de deux ans, depuis la fin du mandat de Michel Aoun en octobre 2022 ; le gouvernement dirigé par Najib Mikati, l'homme le plus riche du Liban, n'a pas été en mesure d'imposer les «réformes économiques» exigées par l'impérialisme occidentale via le Fonds monétaire international et les banques internationales en échange d'une restructuration de la dette du pays, fortement rejetées par le peuple libanais.
C'est un contexte de faillite, d'inflation galopante et de pauvreté de masse causée par le pillage des richesses du pays par la poignée de milliardaires qui dirigent le pays depuis 1990 et la fin de la guerre civile.
L'envoyé de Biden, Amos Hochstein, vient à Beyrouth, aux côtés de représentants de l'Arabie saoudite, du Qatar et de l'Égypte. Cette décision fait suite aux récentes visites en Arabie saoudite du député des Forces libanaises Pierre Bou Assi et du commandant de l'armée libanaise, le général Joseph Aoun (sans lien de parenté avec l'ex-président), le candidat préféré de Washington.
Les Forces libanaises, l'ancienne milice chrétienne qui, au plus fort de la guerre civile dans les années 1980, contrôlait, avec le soutien d'Israël, une grande partie des territoires majoritairement chrétiens du pays, sont aujourd'hui un parti politique soutenu par l'Arabie saoudite. Joseph Aoun dirige les forces armées libanaises dans le sud du Liban, où il est chargé de désarmer le Hezbollah, selon les termes du cessez-le-feu imposé par Washington entre Israël et le Hezbollah. Le parti socialiste progressiste de Walid Jumblatt, leader druze, a récemment soutenu sa candidature.
Le Hezbollah, désormais dirigé par Na'im Qassem, soutient son allié Suleiman Frangieh, qui entretenait des relations étroites avec le président syrien Assad et l'Iran. Mais Nabih Berri, le président du parlement dont le parti est allié au Hezbollah, a indiqué que le Hezbollah était prêt à être plus «flexible».
Du côté du Hezbollah et de ses alliés, la candidature de Joseph Aoun a été considérée comme une volonté de leurs opposants de retranscrire leur défaite militaire en une défaite politique. Affaibli par de nombreuses pertes, et par ses échecs face à Israël, le Hezbollah a vu sa crédibilité s’effriter. Malgré cette fragilité, le Hezbollah a indiqué son opposition ferme envers Samir Geagea et n’a pas fermé pas la porte au chef de l’armée. Ce veto s’explique par la ligne politique du chef des Forces Libanaises, fortement opposé au Hezbollah qui aurait, selon lui, un « projet de destruction » pour le Liban.
Le Hezbollah avait auparavant soutenu un autre candidat, Sleiman Frangié, le chef d’un petit parti chrétien du nord du Liban qui a des liens étroits avec l’ancien président syrien Bachar Al Assad. Mais, le 8 janvier, Frangié a annoncé qu’il se retirait de la course et soutenait Aoun, ouvrant la voie au chef de l’armée.
Le mois dernier, Macron a effectué une visite d'État de trois jours à Riyad, la première d'un président français depuis 2006, au cours de laquelle il a demandé l'aide de l'Arabie saoudite pour la reconstruction du Liban. L'Arabie saoudite et le Qatar ont clairement indiqué qu'ils n'aideraient pas le Liban à se reconstruire si le Hezbollah restait la force dominante du pays, ce qui donnerait au président et au 1er ministre, quels qu'ils soient, un pouvoir important sur le Hezbollah et limiterait son influence politique.
Les Etats Unis omniprésents...
Les États-Unis construisent une nouvelle ambassade fortifiée de 1,2 milliard de dollars sur un site de 17 hectares près de Beyrouth dont le but déclaré est de contrer «l'Axe de la Résistance», c'est-à-dire l'Iran. Son ampleur est révélatrice des intérêts géopolitiques des États-Unis au Liban, avec son emplacement stratégique et ses nouvelles sources de gaz et de pétrole sous la mer Méditerranée orientale. Un différend frontalier maritime existait de longue date entre Israël et le Liban, il a été réglé au profit d'Israël et contre les intérêts libanais. Un consortium français, italien et qatari a commencé à forer en 2023, tandis qu'Israël a déjà commencé l'extraction.
Les États-Unis ont financé les forces de sécurité libanaises à hauteur de 3 milliards de dollars depuis 2006 dans le cadre de leur programme d'aide de 10 milliards de dollars au pays, selon une audition du Congrès en 2020, une somme qui correspond largement à celle de l'Iran.
En janvier 2023, l'administration Biden a annoncé qu'en plus de fournir du matériel militaire, elle paierait également la plupart des salaires de l'armée libanaise en dollars américains, pour un coût de 72 millions de dollars, à la suite de l'effondrement de la monnaie libanaise. Les États-Unis ont des troupes stationnées sur deux pistes d'atterrissage militaires libanaises non loin de Beyrouth où atterrissent les gros avions militaires de type C130.
Les enjeux de la guerre américano-israélienne contre le Hezbollah et le Liban
En octobre 2023, la guerre d'Israël contre le Hezbollah a commencé pendant la guerre génocidaire contre Gaza, en représailles pour son soutien aux Palestiniens. Israël a lancé des frappes aériennes presque quotidiennes contre les forces, bases et armements du Hezbollah, au Liban et en Syrie où il avait joué un rôle clé, avec l'Iran et la Russie, pour soutenir le régime Assad, désormais effondré.
Son objectif politique était d'éliminer, pour le compte de l'impérialisme américain, le Hezbollah en tant que force militaire et politique dans les deux pays, dans le cadre de préparatifs plus larges de Washington pour une guerre contre l'Iran, composante essentielle de sa lutte existentielle contre la Russie et la Chine.
Dans le même temps, les États-Unis et le Royaume-Uni prenaient pour cible la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) et les milices soutenues par l'Iran en Irak, en Syrie et au Yémen, ciblant leurs centres d'opérations et de renseignement, leurs installations de stockage de roquettes, missiles, de drones, et leurs «installations logistiques et chaînes d'approvisionnement en munitions». Le Pentagone a justifié ces attaques en affirmant qu'il y avait eu plus de 250 attaques contre ses bases en Syrie et en Irak depuis octobre 2023, ce qui indique qu'il y a beaucoup plus d'avant-postes militaires américains dans les régions éloignées des deux pays que ce qui est officiellement reconnu. Censées avoir été établies dans le cadre de la guerre contre ISIS, ces bases ciblent désormais l'Iran et les groupes qu’il soutient.
En février 2024, Biden a ordonné des bombardements aériens sur des groupes soutenus par l'Iran en Irak et en Syrie, ainsi que sur des combattants houthis au Yémen, qui ont lancé des attaques contre des navires américains et britanniques en solidarité avec la population de Gaza. Ces actions montrent clairement que les opérations américano-israéliennes au Moyen-Orient ne sont rien moins qu'une guerre visant à éliminer les alliés de l'Iran, à l'encercler et à provoquer des actions de représailles contre les forces américaines qui pourraient être utilisées comme prétexte pour une guerre totale contre Téhéran.
En septembre 2024, Israël a détruit les systèmes de communication du Hezbollah, faisant exploser des centaines de téléavertisseurs et de talkies-walkies utilisés par ses agents et en blessant des milliers, avant de lancer une invasion terrestre dévastatrice de deux mois au Liban. Les forces de défense israéliennes (FDI) ont assassiné les dirigeants de premier et de second rang du Hezbollah, dont Hassan Nasrallah et le commandant en chef Ali Karaki, lors d'une attaque aérienne sur Beyrouth, en violation flagrante de plusieurs lois internationales sur la guerre, notamment l'interdiction des assassinats et des bombardements aveugles de zones civiles.
Elles ont également tué Ibrahim Aqil, un autre haut responsable du Hezbollah, le même mois, et le successeur et cousin de Nasrallah, Hashem Safieddine, en octobre. Les FDI ont violemment bombardé les installations financières, administratives et médiatiques du Hezbollah et une grande partie de son armement et de ses stocks de missiles au Liban et en Syrie, notamment à Damas et à al-Bukamal, près de la frontière irakienne, à Qusair et dans les campagnes de Homs et de Hama.
L'annexion du Sud Liban par Israël aura t-elle lieu?
L'invasion terrestre du Sud-Liban par Israël, en octobre, a provoqué des destructions massives. Elle a forcé plus de 1,2 million de personnes, dont 400 000 enfants, sur les 6 millions d'habitants du Liban, à fuir leurs foyers. Elle a fait environ 4 000 morts, pour la plupart des civils, et plus de 16 000 blessés, selon le ministère de la Santé.
Près de 250 000 habitations ont été entièrement ou partiellement détruites, 20 000 bâtiments publics endommagés et des centaines de petites et moyennes entreprises fermées. Selon la Commission économique et sociale des Nations unies pour l'Asie occidentale (CESAO), cette dévastation comprend la destruction de 13 hôpitaux et de 130 ambulances, ainsi que la fermeture de 100 centres de soins de santé primaires, ce qui a privé de vastes pans de la population d'accès aux soins essentiels. De plus, les abris surpeuplés (908 des 1095 abris sont à pleine capacité) exacerbent le risque de maladies infectieuses et aggravent les besoins en soins.
Le coût de la reconstruction est estimé à 13 milliards de dollars. Cela dépasse de loin celui de la dernière guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006. Et ce n'est pas le chiffre final, car Israël a poursuivi ses frappes aériennes sur le Liban au mépris du cessez-le-feu de 60 jours et du retrait israélien imposé par Washington fin novembre. Beyrouth affirme qu'il y a eu 300 violations de la trêve.
Les termes du cessez-le-feu, opportunément programmés pour finir avec l'investiture de Donald Trump fin janvier, constituaient une défaite dévastatrice pour le Hezbollah et préparaient le terrain pour que l'allié islamiste de Washington, Hayat Tahrir al- Cham (HTC), puisse s'emparer de Damas. L'accord, qui prévoit que le Hezbollah abandonne ses positions fortifiées dans le sud du Liban et retire ses forces au nord du fleuve Litani, comprenait une lettre des États-Unis accordant à Israël le droit «d'entreprendre une action militaire» si «le Hezbollah semble préparer une attaque». Tel Aviv et Washington ont ainsi le feu vert pour reprendre les hostilités dès qu'ils le jugeront opportun.
Le quotidien israélien Ha'aretz a cité des sources militaires selon lesquelles l'armée israélienne a l'intention de rester dans le sud du Liban après la période de 60 jours «si l'armée libanaise n'est pas en mesure de remplir ses obligations, incluses dans l'accord, d'étendre son contrôle sur tout le sud». Le cessez-le-feu a servi à libérer Israël des attaques à sa frontière nord alors qu'il continue de mener sa guerre d'anéantissement contre les Palestiniens de Gaza et d'occuper le territoire syrien, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni poursuivent leurs opérations contre des cibles soutenues par l'Iran au Yémen, en Irak et en Syrie.
Le président Joseph Aoun, qui doit nommer un premier ministre, a promis : « Nous ne miserons plus sur l’étranger pour nous affronter les uns les autres, mais sur le potentiel du Liban. » Pas sûr que les parrains de la reconstruction l’entendent de cette oreille.
La banqueroute des régimes nationalistes du Moyen-Orient
En 2006, après la guerre de deux mois menée par Israël contre le Hezbollah et le Liban, le Corps des gardiens de la révolution iranienne s'est empressé d'aider à la reconstruction. Mais aujourd'hui, l'économie iranienne est en grande difficulté en raison des sanctions américaines et de la perte de son allié à Damas, Téhéran ne pourra pas financer la reconstruction. La perte du financement a paralysé la capacité du Hezbollah à financer ses opérations, y compris ses activités de protection sociale, et à maintenir son influence politique. Selon certaines informations, les habitants de Dahiyeh, où plus de 400 bâtiments ont été détruits et 1 500 endommagés, sont frustrés par les retards de paiement des indemnités par le Hezbollah, malgré la promesse faite par le chef du Hezbollah, Na'im Qassem, de verser 77 millions de dollars aux familles chiites touchées par la guerre avec Israël.
Les personnes qui ont fui leur maison ont commencé à rentrer mais dans les zones les plus touchées, les bulldozers déblayent toujours les décombres et les familles cherchent leurs proches disparus sous les décombres. L'électricité, l'eau, la réception des téléphones portables et l'internet ne sont pas disponibles. Nombreux sont ceux qui n'ont pas pu atteindre leurs villages dans le sud en raison des restrictions imposées par l'armée israélienne, plus de 70 d'entre eux étant toujours interdits d'accès. Une quarantaine de villages proches de la frontière israélienne ont été détruits par la politique israélienne de la terre brûlée.
La réponse des régimes du Moyen-Orient à l'assaut contre le Liban, tout comme le génocide de Gaza, a démontré une fois de plus la banqueroute des régimes nationalistes arabes. Alors que certains, comme l'Égypte et l'Arabie saoudite, sont des alliés clés des États-Unis qui orchestrent un nouveau découpage du Moyen-Orient, d'autres, comme l'Iran, cherchent désespérément à parvenir à une sorte d'accord négocié assurant leur avenir, y compris contre les luttes de leurs propres populations.
Ils montrent que la lutte contre l'impérialisme, les guerres et la pauvreté passe par le rejet de toutes les formes de nationalisme qui divisent les peuples de la région. Des manifestations de masse ont eu lieu à plusieurs reprises au Liban – lors du Printemps arabe de 2011, en 2015 et en 2019-2020 – contre l'élite politique discréditée et dysfonctionnelle qui n'a pas su s'attaquer à la pauvreté et aux difficultés croissantes.
Mais leurs revendications, comme celles des travailleurs qui se sont révoltés ailleurs, ne seront satisfaites qu'avec la lutte tenace et quotidienne menée par la classe ouvrière qui doit impérativement construire son unité et son organisation politique avec pour objectif de substituer au capitalisme une politique alternative fondée sur la paix, la souveraineté, la démocratie, la laïcité, le progrès social, le développement de services publics pour gérer les biens communs et des coopérations avec les autres peuples de la planète et en rejetant toute forme de domination économique, financière, économique et politique.
Sources : l'Orient le jour - Courrier international - l'Humanité