La situation des Kurdes en Syrie
Discriminés depuis plus de 60 ans, après la chute du parti Baas, c’est désormais la Turquie que craignent les Kurdes syriens. Bien qu'ils soient installés depuis des décennies dans la même zone, et sous l’autorité des Forces démocratiques syriennes, les Kurdes sont constamment visés. Car Erdogan ne cède pas : il redoute à tout prix la création d’un Kurdistan autonome.
Entre 4 et 5 millions de Kurdes vivent actuellement en Syrie. Néanmoins, alors qu'ils sont installés dans cette même zone depuis des décennies, les Kurdes craignent le pire après la chute de Bachar Al-Assad. Car en effet, ils sont constamment visés par la Turquie.
«On vit comme une population de second degré, ou même de troisième degré. Tout est contre nous : les décisions générales, les décisions politiques, les fonctionnements publics…», se souvient Ramman, étudiant kurde syrien en architecture et spécialiste de la reconstruction post-conflit. Ce jeune homme est arrivé en France il y a 6 ans, sous le statut de réfugié.
Là où le reste de la Syrie s’est libéré des griffes du régime, au nord-est, la situation n’a pas bougé, ou presque. Car dans les territoires kurdes de la Syrie, ce sont les Forces démocratiques syriennes qui sont au contrôle depuis 2011, dans la vague du Printemps arabe : «Les Kurdes ont pris leur destin en mains en forgeant des organisations militaires et politiques pour protéger leur population. En s’engageant dans la guerre contre Daesh et contre les terroristes au nord-est du pays, ils se sont rendus indispensables à la communauté internationale qui n’avait pas de troupe au sol», explique à CNEWS Adel Bakawan, sociologue, directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (CFRI) et membre de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo).
Alors depuis, cette force kurde, «qui s’appelle Forces démocratiques syriennes (FDS) et non pas Force démocratique kurde car elle gère 20% de la Syrie, donc territoires kurdes mais aussi chrétiens, yézidis, etc» a assis son autorité sur une grande partie du nord-est de la Syrie, une partie de la province de Deir Ezzor à l'est, la région autour de la ville de Raqqa et le territoire autour du barrage de Tichrine sur l'Euphrate, avec l’appui de la communauté internationale.
Mais FDS a perdu récemment les villes de Manbij et Tal Rifaat au nord d’Alep face au pro-turcs. Ainsi, 100.000 Kurdes ont alors fui la zone.
Une Turquie très embêtée
Mais la Turquie voit rouge. Car pour le président turc Erdogan, qui associe FDS au PKK, un parti de gauche radicale kurde présent notamment en Turquie, il y a un risque majeur : «La Turquie estime que c’est une menace pour sa sécurité nationale. Que la branche syrienne du PKK dirige le nord-est de la Syrie, ce n'est pas acceptable. Pour moi, ce n’est pas vrai, il n’y a pas de menace, mais ce qui est important c’est que la Turquie le pense», décrit Adel Bakawan.
Pour Erdogan, le PKK est un parti terroriste, contre qui il est en guerre depuis 1982. Et les Etats-Unis qui financent la «branche syrienne du PKK» sont un vrai problème pour lui. «Si la Turquie n’a pas envahi cette zone, c’est parce que les Etats-Unis sont présents dans la zone militairement, diplomatiquement et financièrement. Les deux pays sont divisés sur la question kurde, et s’opposent en Syrie, mais font tous deux partie de l’OTAN». De ce fait, la Turquie se retrouve bloquée.
D’autre part, l’émergence d’un Kurdistan indépendant en Syrie pourrait donner de l’espoir et des idées aux Kurdes turcs. C'est par exemple le cas en Irak, où il y a déjà une entité autonome : «Et ça fonctionne bien !», ajoute le spécialiste de l’Irak.
Alors, il s’agit de faire pression sur place sur les civils. Notamment dans les zones sous administration de groupes affiliées à la Turquie, comme l’Armée nationale syrienne et les factions proturques. «Aujourd’hui encore, il est demandé aux Kurdes de payer 3.000 ou 4.000 dollars pour rentrer dans leurs territoires, chez eux. Et il y a énormément de prisonniers kurdes dont on ne parle pas», témoigne Ramman.
Pour un autre militant syrien kurde ayant toujours sa famille dans la région et qui a souhaité gardé l’anonymat, «la situation est pire aujourd’hui, notamment à Afrin».
Cependant aujourd’hui autorisés à se déplacer, les Kurdes fuient, vers Alep et Damas : «Entre les arrestations arbitraires, les noms des rues et des ronds points renommés avec des noms turcs, les postes à responsabilité uniquement occupés par des Turcs, et les taxes à payer uniquement pour les Kurdes, ils fuient car ils ne peuvent plus vivre», conclut le militant, notant que «les gens ont la possibilité de partir, mais en laissant toute leur vie».
Discriminés par la Turquie, mais aussi par leur propre pays
Au pouvoir pendant 61 ans, le parti Baas a voulu réduire à néant la communauté kurde : «Sous Assad, les prénoms kurdes n’étaient pas acceptés. Je suis né à Alep et mon nom sur les papiers est Mustafa car Ramman avait été refusé quand nous avions fait nos papiers à Raqqa. Alors la famille de mon oncle a choisi de donner des prénoms arabes par peur de la répression», raconte l’étudiant en architecture.
Car le parti Baas est un parti nationaliste, mais nationaliste arabe. Et la Syrie prend le nom de «République arabe syrienne» à son arrivée au pouvoir en 1961. À l'inverse, le pays a toujours été un carrefour culturel et commercial, donc multi-ethnique.
Toute l’identité kurde était niée : «Environ 300 000 Kurdes ont été privés de leur nationalité syrienne. Ils ne pouvaient plus se marier, ni étudier, ni voyager, ni avoir des documents officiels, ni acheter des maisons, tout ce qui nécessitait un passage à l'état civil était devenu impossible», relate le militant kurde syrien qui a souhaité garder l’anonymat.