Le chaos en Corée du Sud atteint de nouveaux sommets
Visé par un mandat d’arrêt, Yoon Suk Yeol a échappé à une arrestation par le Bureau d’enquête sur la corruption des hautes personnalités (CIO), qui enquête sur sa tentative d’imposer la loi martiale à la Corée du Sud, le 3 décembre dernier. Enfermé dans sa résidence à Séoul, le président déchu a profité du soutien de plusieurs centaines de soldats, de ses partisans et de son service de sécurité pour empêcher les autorités de pénétrer dans sa résidence.
Sa tentative d’imposer la loi martiale, le 3 décembre 2024, a été retoquée par le Parlement, lui comme son successeur – par intérim -, Han Duck-soo, ont été destitués, mais Yoon Suk Yeol persiste à fuir la justice sud-coréenne. Les enquêteurs ont tenté, vendredi 3 décembre, d’arrêter le président suspendu depuis que l’Assemblée nationale a voté en faveur de sa destitution, samedi 14 décembre, retranché dans sa résidence de Séoul.
Problème, sa garde rapprochée a fait barrage, empêchant l’opération menée par la justice. Environ vingt enquêteurs du Bureau d’enquête sur la corruption des hautes personnalités (CIO), assistés de quatre-vingts policiers se sont ainsi rendus sur place. Les forces de sécurité du président avaient, en prévision, bloqué le chemin d’accès à l’aide d’une dizaine de minibus et d’autres véhicules garés sur la route.
« Forcer le passage n’était pas possible »
Les enquêteurs ont tout de même réussi à entrer dans la propriété en empruntant un sentier détourné à flanc de colline, avant d’être finalement bloqués par environ 200 soldats et agents du service de sécurité présidentiel, qui ont formé une muraille humaine en se tenant par les bras pour les empêcher de passer.
Pendant près de six heures, des procureurs et des agents du CIO – qui centralise l’enquête pour « rébellion » ouverte contre Yoon Suk Yeol – sont restés à l’intérieur de la résidence présidentielle, sur les hauteurs du quartier chic de Hannam. Ils ont fini par en sortir vers 13 h 30 (heure française), sans Yoon Suk Yeol.
« Il y a eu des altercations physiques mineures et majeures » entre les deux camps, a expliqué un membre du CIO, en précisant qu’aucun membre de son équipe n’avait aperçu Yoon Suk Yeol au cours du raid. « Forcer le passage n’était pas possible de façon réaliste, car le nombre de personnes rassemblées sur place était nettement supérieur à celui de notre équipe, a-t-il alerté. En raison de sérieuses craintes pour la sécurité, l’exécution a été suspendue. »
Un mandat d’arrêt jugé « illégal et invalide »
Visé par un mandat d’arrêt, Yoon Suk Yeol résiste et refuse de laisser la justice faire son travail. Jeudi 1er janvier, pour le troisième jour consécutif, le président destitué a échappé à son arrestation, promettant de « se battre jusqu’à la fin » contre les autorités qui cherchent à l’interroger sur sa tentative ratée d’imposer la loi martiale.
Le Bureau d’enquête sur la corruption des hautes personnalités (CIO), qui centralise les investigations sur le coup de force du 3 décembre, a jusqu’au 6 janvier prochain pour exécuter le mandat d’arrêt délivré par un tribunal de Séoul contre Yoon Suk Yeol – aussi visé par une enquête pour « rébellion », un crime passible de la peine capitale. En cause : le président déchu a ignoré trois convocations consécutives pour être interrogé.
Yoon Suk Yeol n’a ainsi pas le droit de quitter la Corée du Sud tant que l’enquête se poursuit. C’est pourquoi l’ancien procureur s’est retranché dans sa résidence officielle, à Séoul. Son équipe juridique a intenté un recours contre le mandat d’arrêt, soutenant qu’il est « illégal et invalide ». Le chef du CIO, Oh Dong-woon, a averti que quiconque tenterait d’empêcher son arrestation pourrait lui-même faire l’objet de poursuites.
Un tribunal a par ailleurs délivré des mandats de perquisition pour la résidence officielle de Yoon Suk Yeol. Mais le service de sécurité présidentiel – dont le nombre de membres présents sur place n’est pas connu – a, jusqu’à présent, empêché les enquêteurs d’y pénétrer, invoquant une loi interdisant les perquisitions dans les lieux contenant des secrets d’État sans l’accord de la personne responsable.
Officiellement, la ligne officielle du service de sécurité présidentiel se doit d’obéir aux décisions de justice. De précédents cas montrent pourtant que ce dernier peut entraver une enquête judiciaire. Par exemple en 2000 et en 2004, lorsque les autorités sud-coréennes ont échoué à arrêter des élus, entravées par une foule de partisans ayant empêché la police de s’emparer des suspects, et ce, pendant les sept jours durant lesquels les mandats d’arrêt étaient valides.
Un message de défiance à l’encontre de la justice et de l’Assemblée nationale
Des partisans du président déchu semblent ainsi avoir adopté la même tactique, alors qu’un grand nombre d’entre eux manifestent quasiment en permanence près de sa résidence, s’invectivant mutuellement par-dessus les policiers qui les séparent.
L’ancien procureur vedette, âgé de 64 ans, n’a, de son côté, manifesté aucune contrition depuis sa destitution. Au contraire, il est même allé jusqu’à envoyer un message de défiance à l’encontre de la justice et de l’Assemblée nationale à sa propre base : « La République de Corée est actuellement en danger en raison des forces internes et externes qui menacent sa souveraineté, et des activités des éléments antiétatiques », a-t-il écrit dans une lettre distribuée à ses partisans qui campent près de son domicile.
« Je jure de me battre à vos côtés jusqu’à la fin pour protéger cette nation », a-t-il ainsi lancé. Selon ses dires, le président déchu suivrait ces manifestations avec attention, en direct sur YouTube. Un message « délirant », a dénoncé Jo Seoung-lae, le porte-parole du Parti démocrate, principale force d’opposition à l’Assemblée nationale, pour qui Yoon Suk Yeol – soutenu par les mouvements les plus conservateurs du pays, notamment l’extrême droite liée à la mouvance protestante évangélique – continue d’inciter à la violence.
En fuyant une arrestation, l’homme politique connu pour ses positions conservatrices – libérales, antiféministes, virulentes envers la Corée du Nord – espère interférer sur la prochaine décision de la Cour constitutionnelle, qui doit valider ou invalider sa destitution d’ici la mi-juin.
De plus, il reste, en attendant, le président du pays sur le papier. La situation, bloquée, ne cesse ainsi de plonger le pays dans la crise.
Une crise aggravée vendredi 27 décembre, quand le premier ministre Han Duck-soo, qui assurait l’intérim de la présidence, a été à son tour destitué par le Parlement.
Les pouvoirs présidentiels sont désormais entre les mains du ministre des Finances, Choi Sang-mok, qui a promis de faire tout son possible pour mettre fin au chaos politique.
Tom Demars-Granja Article publié dans l'Humanité