Le coût vertigineux pour supprimer les « polluants éternels » présents en Europe

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

La pollution par les PFAS est toujours un problème à Dordrecht (Pays-Bas), où le producteur de téflon DuPont, aujourd'hui Chemours, pollue gravement les eaux souterraines. © Robin Utrecht/ABACAPRESS.COM

La pollution par les PFAS est toujours un problème à Dordrecht (Pays-Bas), où le producteur de téflon DuPont, aujourd'hui Chemours, pollue gravement les eaux souterraines. © Robin Utrecht/ABACAPRESS.COM

 

Une enquête, réalisée par 46 journalistes rassemblés au sein du Forever lobbying project, dont certains du « Monde » et de France Télévisions, estime qu'il faudrait jusqu'à 100 milliards d'euros par an, pendant deux décennies, pour débarrasser l'Europe des Pfas. Ces « polluants éternels », présents dans de nombreux secteurs, ont notamment des effets cancérigènes.

 

Plus de 14 000 documents dédiés aux substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), qui ont été étudiés par 46 journalistes dispersés à travers 16 pays, du Monde (France) à l’Espresso (Italie), en passant par The Black sea (Turquie) ou le Guardian (Royaume-Uni). Soit une enquête réalisée à l’échelle d’un continent, l’Europe, dont les conclusions dévoilent le pire : nettoyer les eaux et sols européens de ces « polluants éternels » coûterait entre 95 milliards d’euros sur vingt ans, dans les conditions les plus favorables, et 2 000 milliards d’euros, pour une projection plus réaliste.

 

« Cette estimation, déjà impressionnante, n’inclut ni l’impact des PFAS sur nos systèmes de santé, ni une myriade d’externalités négatives trop difficiles à quantifier », annonce le Monde.

 

Pendant plus d’un an, ce consortium de médias, accompagné du Corporate Europe observatory (un observatoire des lobbies européens) et de plusieurs chercheurs universitaires (Gary Fooks, Ali Ling et Hans Peter Arp), s’est ainsi attelé à déterminer comment nettoyer « au moins 23 000 sites pollués » à travers l’Europe.

 

Des centaines, voire des milliers d’années

 

Antiadhésives, déperlantes et antitaches, les Pfas sont présents dans nombre de secteurs, de l’automobile au textile, en passant par les ustensiles de cuisine, le prêt-à-porter, les produits pharmaceutiques ou les pesticides. Problème : les Pfas sont quasi indestructibles – ils peuvent résister durant des centaines, voire des milliers d’années. De plus, ils s’accumulent dans l’air, le sol, les rivières, et contaminent jusqu’au corps humain. Des traces de ce « polluant éternel » ont été retrouvées à l’échelle mondiale, jusque dans la pluie qui s’est abattue sur le Tibet « pendant la saison des moussons ».

 

Et ce, alors que le plateau tibétain « est l’une des plus grandes régions isolées du monde, avec ses basses températures et son environnement vierge, et est appelé le troisième pôle », derrière l’Arctique et l’Antarctique, rappelle une étude publiée par la revue Chimiosphère, en 2021. Or, en cas d’exposition sur une longue période, ils peuvent avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers, d’après de premières études.

 

« Il est préférable de nettoyer ou de confiner les sols au plus vite, avant que les Pfas ne se répandent dans toutes les ressources en eau », alerte Hans Peter Arp, coordinateur du projet de recherche européen ZeroPM.

 

La ville d’Utrecht, aux Pays-Bas, en est un triste exemple. Des Pfas ont été disséminés dans le sol près d’une ancienne caserne, puis ont contaminé une nappe phréatique. « Les autorités vont consacrer dix ans et 22 millions d’euros à la dépollution des sols et des eaux souterraines pour éviter que le panache de polluants n’atteigne les puits d’eau potable », calculent les auteurs de l’enquête.

 

La moitié du budget annuel de l’Union européenne

 

Pour chiffrer les coûts du nettoyage, les médias regroupés au sein du Forever lobbying project se sont appuyés sur « les rares informations scientifiques et économiques disponibles » ainsi que sur « des données locales collectées auprès de pionniers de la dépollution ».

 

La fourchette basse – 4,8 milliards d’euros par an – correspond à « un scénario irréaliste » avec des hypothèses « ultra-optimistes ». Il faudrait, pour y parvenir, empêcher toute nouvelle pollution aux Pfas « dès demain », enclencher une dépollution limitée aux sites prioritaires et aux polluants aujourd’hui réglementés – ignorant de nouvelles substances utilisées depuis le début des années 2000. « Chacun des scénarios de notre évaluation est fondé sur des séries de choix conservateurs, ce qui permet d’affirmer que les coûts sont très certainement sous-estimés », détaille l’enquête.

 

Si la pollution se poursuit et si l’on procédait à un nettoyage poussé, « la facture grimperait à 2 000 milliards d’euros sur vingt ans ». Soit 100 milliards d’euros par an, estime le Forever lobbying project… ce qui représente la moitié du budget annuel de l’Union européenne.

 

Et encore, ce budget ne pourrait être effectif que lorsque les Pfas feront l’objet « d’une restriction généralisée, à partir de laquelle leurs concentrations commenceraient à baisser si nous les traitons activement », annonce Hans Peter Arp.

 

La décontamination pose, quant à elle, « un immense défi technologique et logistique ». Certaines techniques avancées de filtration d’eau sont ainsi très gourmandes en eau et en énergie. Les incinérateurs conventionnels, eux, ne sont aujourd’hui pas assez puissants et ne permettent pas de détruire les Pfas présents dans les ordures ménagères. Au vu des montants colossaux nécessaires, « restreindre les émissions de Pfas pour arrêter de faire grimper l’addition s’impose », conclut le Monde.

 

Encore faut-il que ces estimations puissent être réalisables. Car, comme le rappelle l’enquête du Forever lobbying project, la moindre initiative est menacée « par une intense campagne de lobbying et de désinformation orchestrée par… les pollueurs ». Des pollueurs qui n’ont jusqu’ici presque rien payé pour compenser la destruction de l’environnement en cours.

 

Tom Demars-Granja  Article publié dans l'Humanité

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