Dans le camp occidental, le capitalisme entre en collision avec lui-même. Les dégâts en Europe risquent d’être considérables sans une énergique intervention des travailleuses et travailleurs et des peuples. Des conseils d’administration des grandes entreprises à base européenne aux chancelleries, jusqu’à la grande presse, on s’alarme de plus en plus – et à raison – de la situation en Europe, à la veille de l’arrivée à la Maison-Blanche du duo Trump-Musk et des 11 milliardaires qui composeront la nouvelle Administration américaine.
Dans ce cadre, le rejet populaire massif et sans appel d’Emmanuel Macron et la chute du chancelier allemand Olaf Scholz – pourtant à la tête d’une coalition de compromis – ne cessent d’inquiéter les dignitaires du grand capital européen.
Le grand capital européen en ébullition
Il y a quelques mois déjà, les rapports de deux anciens présidents du Conseil italien (dont l’un a été président de la Banque centrale européenne, BCE) MM. Draghi et Letta n’hésitaient pas à considérer que l’Union européenne était entrée dans une « longue agonie ». Voici que le pâle ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères M. Benjamin Haddad proclame dans le Figaro du 11 janvier que « l’Europe risque un effacement pur et simple ».
Le gouverneur de la Banque de France alerte sur « le spectre de la récession en Europe ». Dans le journal La Tribune dimanche, Enrico Letta et Thierry Chopin, professeur notamment au collège d’Europe (Bruges), sonnent à nouveau l’alarme : « Il est temps de réveiller l’Europe », proclament-ils d’un ton angoissé. On peut lire dans une note de l’institut Thomas-Moore : « À ce moment précis de notre histoire commune, l’insolent dynamisme américain lève le voile sur le visage usé de l’Europe : impasse économique, dépendance énergétique, incurie diplomatique, insuffisance militaire, retard technologique, impuissance financière et pesanteur administrative. »
Cet implacable réquisitoire, venant d’un institut qui est tout l’opposé d’une officine communiste, est le constat d’échec cuisant d’une construction européenne ultralibérale, atlantiste et militariste.
L’aveu d’échec d’une construction européenne sous domination libérale
C’est d’ailleurs ce modèle de construction européenne et l’application de ses traités codifiant le capitalisme financier et mondialisé qui sont les causes fondamentales des rejets populaires définitifs de Macron et de Scholz. En détruisant les services publics, en laminant les systèmes de sécurité sociale, en compressant sans cesse les salaires des travailleurs mis en concurrence pour les exploiter plus, en attisant la compétition entre entreprises, collectivités locales et services publics, le projet européen n’a cessé de perdre du crédit, et l’Union européenne de s’affaiblir.
En s’alignant en permanence sur l’impérium nord-américain au lieu d’inventer un nouveau modèle de développement humain durable, au lieu de promouvoir des coopérations « à géométrie choisie » entre États pour innover dans l’industrie et dans l’agroécologie, au lieu d’investir dans un grand projet commun numérique public et autonome, au lieu de pousser à la paix et à un système de sécurité commune sur tout le continent, au lieu de développer des coopérations originales, notamment avec les pays du Sud, les dirigeants européens au service de leurs grandes entreprises se sont placés dans la roue des États-Unis, et s’en sont rendu dépendants.
Or aujourd’hui, le nouveau capital nord-américain qui prend directement en charge la gestion des États-Unis s’apprête à impulser une nouvelle phase du capitalisme mondial. Ceci modifiera la nature même de l’impérium et de ses stratégies impérialistes.
Trump, Musk et leurs 11 milliardaires veulent remodeler l’Occident selon une logique impériale au sein de laquelle les États-Unis organiseraient de nouvelles relations en Europe avec des dirigeants nationaux alignés, affaiblis, en démembrant l’UE et en empêchant tout autre projet de construction européenne. Leurs offensives, pour installer des gouvernements d’extrême droite, répondent à cet objectif.
Ces pressions de Trump et Musk vont vraisemblablement servir aux dirigeants européens à faire accepter de nouvelles régressions sociales, au nom de la souveraineté financière et de la nécessité de développement du militarisme. S’inscrire dans un tel schéma pour construire d’hypothétiques « unions nationales » pour sauver « le capitalisme européen » et pour sauver l’Europe libérale, incarnée par Emmanuel Macron et Olaf Scholz en molle opposition avec le capitalisme états-unien, est une mortifère impasse pour tous les travailleurs européens qui devront accepter davantage d’exploitation et pour tous les citoyens européens qui seront encore davantage privés de leurs services publics et de leur protection sociale, au nom d’un prétendu intérêt supérieur.
Dans un tel contexte, la question fondamentale posée au monde du travail et de la création, aux retraités, à la jeunesse, n’est pas tant de s’inscrire dans les simagrées de « compromis » ou de tenter au nom d’on ne sait quelle « stabilité politique » de sauver le soldat Macron, ni encore de faire vivre sous tente à oxygène des gouvernements nommés par lui, mais de construire avec toutes les forces sociales, syndicales, culturelles, politiques du Nouveau Front populaire (NFP) un irrésistible mouvement pour la transformation sociale, écologique et démocratique en France, tout en recherchant un cadre d’union progressiste à l’échelle du continent pour le développement humain, la paix et la démocratie.
Se serrer les coudes face à Trump, c’est agir pour une profonde transformation de la construction européenne à partir des luttes et des aspirations populaires, et non pas suivre les rodomontades de façade des dirigeants européens.
L’atlantisme se paiera cher
Ce sont eux qui portent une lourde responsabilité dans l’affaiblissement du continent européen. Si l’Allemagne voit s’aggraver ses difficultés, c’est bien parce qu’elle a répondu aux injonctions américaines des sanctions contre la Russie. Sanctions qui ont permis aux dirigeants américains de rendre l’Europe dépendante de ses approvisionnements en pétrole et en gaz au prix décidé par les majors du pétrole des États-Unis, renchérissant le coût de production dans l’industrie, notamment dans la production automobile. « Je veux que les sociétés de voitures allemandes deviennent des sociétés de voitures américaines », a martelé Trump durant sa campagne électorale.
À force d’austérité, l’UE a réduit son marché intérieur. Elle l’a compensé en développant une économie tournée vers l’exportation pour tenter de maintenir sa croissance. On se vante dans les milieux économiques d’un excédent commercial européen de 200 milliards de dollars avec les États-Unis en 2024. Le protectionnisme annoncé par le nouveau président nord-américain peut donc la mettre à genoux. Celui-ci vient de l’expliquer clairement : l’Europe « doit combler son énorme déficit avec les États-Unis en achetant à grande échelle notre pétrole et notre gaz. Sinon, ce seront des droits de douane partout !!! », a prévenu Trump après sa venue à Paris.
Loin de résister à ces pressions, Christine Lagarde s’est soumise d’avance à ces injonctions, dès le mois de novembre 2024, en conseillant aux Européens dans les colonnes du Financial Times d’acheter davantage états-unien, soi-disant pour « éviter une guerre commerciale » et une « réduction mondiale du PIB ». La présidente de la BCE demande donc d’acheter du gaz liquéfié et des armes aux États-Unis pour conforter leurs magnats capitalistes.
De fait, certains milieux d’affaires en Europe ainsi que des groupes d’économistes appellent à courber l’échine pour, disent-ils, éviter une guerre commerciale. Cet esprit de capitulation est déjà à l’œuvre quand 80 % des dépenses militaires, soit 140 milliards d’euros dépensés par l’UE pour aider l’Ukraine, ont profité à des fournisseurs nord-américains, turcs et sud-coréens, quand la spéculation internationale permet que 300 milliards d’euros traversent chaque année l’Atlantique pour renflouer les portefeuilles des sociétés états-uniennes qui, par la suite, viennent racheter nos sociétés, donc avec l’épargne des Européens.
Alors que plusieurs pays européens ont acheté l’avion de combat américain F 35 au lieu de l’avion européen, les bavardages continus contre Elon Musk cachent l’installation d’une usine de batterie Tesla en Allemagne, ou le choix de François Bayrou d’écarter le groupe de télécommunication Orange au profit du système de connexion à haut débit généré par le satellite SpaceX, propriété du même Musk.
Alors que dans les institutions européennes on parle tant et plus d’un système de défense européenne, la présidente d’extrême droite du Conseil italien s’apprête à faire un chèque de 1,5 milliard d’euros à SpaceX pour son système de communication crypté, afin d’équiper l’armée et le gouvernement italiens. Bref, le dominé est complice de son supplice !
Faute d’une construction européenne pour et par les peuples européens et à cause de la politique droitière des démocrates nord-américains, la voie au nouvel impérialisme qu’esquisse le gouvernement ultra-réactionnaire et libertarien de Washington est amplement dégagée.
Impérialisme 2.0
Les commentaires de trop nombreux observateurs et de commentateurs qualifiant Trump de « fou » ou de « clown » ont occulté un véritable projet politique au service des forces dominantes aux États-Unis.
Il convient de mesurer l’ampleur et la gravité de la bascule que représentent les velléités des projets de prise de possession du canal de Panama et du Groenland. Il s’agit ici de pousser encore plus loin un chambardement en profondeur de la géopolitique mondiale, tout autant que la négation de toute règle de droit international, déjà très malmenée.
Pour les intérêts du capitalisme nord-américain, cherchant à contrôler les ressources naturelles du Groenland et les voies de communication commerciale du canal de Panama, les États-Unis se déclarent prêts à intervenir par la force, y compris militairement. Les milieux d’affaires états-uniens considèrent que leur pays doit gérer directement le Groenland pour en tirer les minerais rares indispensables au développement du « techno-féodalisme » des géants du numérique et pour freiner le développement de la Chine.
Le drame de la fonte de la calotte glaciaire, dû au réchauffement climatique est pour Trump une opportunité pour ouvrir de nouvelles routes pour le grand commerce favorable à ses firmes.
Avec la domination du dollar, l’extraterritorialité du droit nord-américain, le modèle économique, en gestation depuis déjà quelques années et que Trump veut accélérer, consiste à rendre dépendante une grande partie du monde utilisatrice de leurs technologies civiles et militaires.
Aujourd’hui, il veut rendre les pays de l’UE totalement dépendants des intérêts du capital US en accaparant des « territoires » et « des proies », là où il le juge nécessaire.
La carte du nouvel Empire nord-américain, dessinée par des centres de réflexion qui alimentent Trump, va jusqu’à intégrer l’Islande, la Sicile, le port de Brême, les Philippines. C’est dire le niveau projeté de ces guerres de conquête !