Bientôt dans Paris, un club privé réservé «aux Européens», au service du racisme et de la xénophobie
La députée apparentée RN Anne Sicard, le maire de Salbris (Loir-et-Cher) Alexandre Avril, l'avocat Aymeric de Lamotte et le présidente du collectif Nemesis, Alice Cordier. (Alain Jocard. Geoffroy Van Der Hasselt. Vincent Isore/AFP. DR. IP3)
Selon les informations de «Libération», l’une des structures les plus ultras de la nébuleuse d’extrême droite, l’Institut Iliade, cherche à créer un espace de ségrégation en plein cœur de la capitale. Un dîner de levée de fonds s’est déroulé en novembre 2024.
Ce 23 novembre 2024, les sous-sols du club du Musée de la chasse et de la nature, un hôtel particulier situé dans le IIIe arrondissement de Paris, propriété de la Fondation François-Sommer pour la chasse et la nature (une richissime institution privée) abritent une curieuse réunion. Quelque 200 personnes assises autour de tables rondes – dont une jeune femme venue avec son chien – ont accepté de régler les 150 euros du dîner. Ambiance parano à souhait, succession de discours évoquant ce monde où «la censure est de plus en plus forte» et dans lequel «on a besoin de lieux pour se retrouver entre nous, Européens», relate à Libération l’un des convives…
«L’idée qui prédomine parmi ces gens, continue ce dernier sous le sceau de l’anonymat, c’est de créer des espaces physiques leur évitant, disent-ils, d’être traqués par la gauche, le pouvoir, le système, tout cela amalgamé.» Ça glousse sous les voûtes de la salle Mongelas, lorsqu’une intervenante, Alice Cordier, justifie son propos avec une sympathique remarque : «On est bien entre nous, même si on est tout près du Marais… Donc je vous fais pas un dessin.» Cette dernière préside le Collectif Némésis, un groupe de femmes identitaires radicales autoproclamées féministes, aussi proches du RN que du parti Reconquête ! d’Eric Zemmour, comme de groupuscules néonazis.
«La beauté et l’intelligence de nos traditions»
L’organisateur de la soirée n’est autre que l’Institut Iliade pour la longue mémoire européenne, un cercle identitaire inspiré par Dominique Venner, cet ancien de l’OAS qui s’est suicidé en 2013 dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. L’Institut a été fondé l’année suivante par quatre figures dont certaines naviguent depuis des lustres à l’extrême droite : Jean-Yves Le Gallou, un énarque issu du giscardisme avant de dériver vers des rivages extrêmes, tel le mouvement racialiste Grece, Philippe Conrad, Bernard Lugan et Fabrice Lesade, son actuel président.
L’objectif de ce dîner de gala, à lire la brochure qui a été distribuée ce soir-là, récupérée par Libération ? Créer un nouveau lieu, le cercle Europa, présenté comme un «endroit vital», un «espace de liberté et d’intelligence au cœur de Paris».
Le lieu est censé ouvrir en mai 2025 dans un local de 220 mètres carrés, loué dans Paris et doté d’une entrée sur cour – discrétion oblige probablement. Le budget du lancement et de fonctionnement de la première année d’existence est de 200 000 euros, avant que les cotisations des adhérents viennent abonder les ressources financières de ce club privé. L’autonomie financière est envisagée pour 2026, mais avec un seul emploi salarié.
Cet espace «de liberté» devrait néanmoins ressembler à un lieu d’apartheid, puisqu’il est inscrit dans la brochure que le site constitue un «lieu de rencontres pour les Européens», c’est-à-dire les blancs, si l’on suit le raisonnement. Questionné sur la phrase figurant dans son propre document et résumant le projet («Club privé du cercle : un lieu de rencontres pour les Européens au cœur de la capitale», peut-on lire dans l’extrait ci-contre), l’Iliade n’a pas répondu.
En dépit de cette discrimination organique annoncée, le lieu compte néanmoins s’ouvrir au «grand public», mais pas à n’importe qui non plus : il sera destiné «à notre famille élargie», est-il écrit. Dans le document de l’Institut, figurent aussi les noms de la société de production audiovisuelle et des marchands de champagne et de vin corse qui semblent avoir sponsorisé les agapes et, visiblement, ne sont pas embarrassés par la ségrégation éventuelle.
Le but est de pouvoir accueillir divers événements, se «retrouver et se ressourcer» dans un «endroit sécurisé» : l’absence à ce jour d’un tel lieu, constate Iliade, «représente un obstacle au développement de nos idées», puisque «la seule possibilité, pour les esprits non conformes», est de se réunir «en territoire hostile, onéreux, toujours au risque de voir l’événement menacé, voire annulé». Le club sera doté d’une boutique de livres et de produits «haut de gamme», d’une salle de conférences, d’un salon de travail et d’un bar, où devraient régner, selon ses concepteurs, «la beauté et l’intelligence de nos traditions» : tout un programme, avant tout destiné à diffuser encore plus l’idéologie ségrégationniste…
«Artisans du wokisme»
Selon nos informations, une brochette de figures connues de la nébuleuse extrémiste a répondu présent lors de ce «dîner de gala» pour faire face à cette menace identifiée par ses organisateurs : «l’affaiblissement civilisationnel», dû aux «artisans du wokisme» qui n’ont «cessé de déconstruire tout ce qui fait la grandeur et la fierté de notre pays». En tête, une élue de la République : Anne Sicard, députée RN, qui fut la cheffe de cabinet de Marion Maréchal lors des dernières élections européennes de 2024. Elle a ensuite rejoint les troupes de Marine Le Pen et a été élue dans le Val-d’Oise lors des élections législatives de juillet 2024 – elle siège avec les apparentés RN, et non pas dans le groupe parlementaire du Rassemblement national. Sicard a été depuis sa création l’une des principales cadres de l’Iliade, mais elle assure, depuis son élection, être sortie de l’organigramme. A Libé, elle a assuré tout d’abord ne pas avoir le temps de répondre à nos «informations fantaisistes». Confrontée ensuite à l’extrait de la fameuse brochure, elle n’a pas répondu.
L’une des figures montantes de la galaxie incarnée par Eric Ciotti autour du rapprochement de la droite et du Rassemblement national, le maire de Salbris (Loir-et-Cher), Alexandre Avril, avait également répondu présent le 23 novembre. Ce jeune conseiller régional et président de la communauté de communes de la Sologne des Rivières, est un ancien auditeur de l’Institut Iliade. Il a été brièvement pressenti par Marine Le Pen pour occuper un éventuel ministère entre les deux tours des législatives, quand flottait encore dans l’air la possibilité qu’Emmanuel Macron nomme Jordan Bardella à Matignon. En juin, il s’inquiétait dans les médias de la libération possible de «20 % des détenus» si jamais le Nouveau Front populaire gagnait les élections législatives. Qualifié de «jeune espoir» de cette frange identitaire, il passe son temps sur les plateaux de CNews.
Ségrégation raciale
Un autre convive, ce soir-là, est un invité régulier de Sud Radio : Aymeric de Lamotte, avocat à Bruxelles et directeur général adjoint de l’Institut Thomas-More, un think tank conservateur. Lui aussi plaide pour l’alliance droite-extrême droite. L’un des directeurs de l’Iliade, Romain Petitjean, est évidemment dans la salle. Au micro d’une webtélé d’extrême droite, il martelait déjà l’idée fantasmée par tous les convives du 23 novembre : «L’Europe idéale, c’est une Europe européenne sans cette immigration extra-européenne qui finalement en change la filiation ethnoculturelle.»
Sorte de boutique idéologique au service des diverses familles de l’extrême droite, l’Institut Iliade propose donc, avec ce projet, de passer de la théorie à l’action. Une première, semble-t-il. Financé par des dons et la vente de livres et de goodies, il entend contribuer au «réveil des Européens», accompagner, annonce son site internet, «tous ceux qui refusent le Grand Effacement, matrice du Grand Remplacement», et se veut centre de formation et de «transmission du patrimoine européen» auprès des jeunes, allant de «l’histoire des idées» à la «géopolitique» sans oublier, bien évidemment, les «idées non conformes». En réalité, une école d’ultras destinée à diffuser les thèses ultras.
Sollicité par Libération pour un article sur l’Iliade publié en septembre 2024, le politologue Stéphane François, spécialiste des ultras (il est l’auteur notamment de la Nouvelle Droite et le nazisme, éd. Le bord de l’eau), analysait ainsi l’idéologie de l’Institut : «Ce sont des gens qui défendent l’identité blanche cachée derrière l’identité européenne. Derrière la défense de l’identité blanche, il y a la défense de la race blanche. Les membres d’Iliade se cachent toujours derrière une position ethno-différentialiste [doctrine qui postule l’irréductible différence des civilisations, ndlr] mais l’aspect ethnique est juste derrière.»
Cycles de formation (déjà 700 auditeurs formés, revendique l’Institut), organisation d’un colloque annuel, publication de livres, l’Iliade se targue d’offrir «des cartouches intellectuelles aux plus jeunes», dans lesquelles la ségrégation raciale semble figurer en bonne place. Alice Cordier, Alexandre Avril et Aymeric de Lamotte n’ont pas répondu aux sollicitations de Libération.
Laurent Léger Article publié dans Lbération
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