Caisses automatiques : un four ! par Maryse Dumas
Un four, c’est ainsi que dans l’ancien monde, celui d’avant le numérique, on aurait pu qualifier l’échec stratégique des enseignes de la grande distribution. Et ce n’est pas si fréquent ! Elles nous ont plutôt habitués, non seulement à anticiper l’évolution de nos modes de vie, mais à les influencer, voire à les conduire.
On apprend qu’elles devraient renoncer à l’une de leurs trouvailles récentes destinée à économiser toujours plus sur l’emploi : les caisses automatiques ou caisses en libre-service, ces caisses où le client fait gratuitement le travail rémunéré des agents de caisse.
Au bout d’une vingtaine d’années d’expérimentation et alors qu’on nous annonçait la disparition quasi totale des caisses tenues par une personne, ce sont les caisses automatiques qui devraient disparaître.
Première raison, elles n’ont pas attiré les foules. À peine plus de 10 % des clients y ont recours, trop faible pour atteindre le seuil de rentabilité. C’est que cela coûte de l’argent de produire des machines censées remplacer l’être humain ! Les coûts se déplacent plus qu’ils ne disparaissent, car il faut du travail humain pour concevoir les machines, les produire, les acheminer, les installer, les entretenir.
Sans compter que les clients n’arrivent pas à se passer de présence humaine. Il leur faut toujours une personne pour les aider à manipuler la machine, les sortir des difficultés, nombreuses, qui surgissent quand on veut soi-même remplacer le travail de quelqu’un dont c’est le métier. Par-dessus le marché, les clients se sentent encouragés à voler. Voler une machine, ce n’est pas tout à fait un vol n’est-ce pas ? Le pourcentage de vols double en cas de caisse automatique.
La grande distribution va donc faire machine arrière, et il n’y aura pas grand monde pour le regretter. Environ 15 000 emplois auront malgré tout été supprimés par leur arrivée, il n’est pas certain que les grandes enseignes les rétablissent spontanément, d’autant qu’on est dans une phase de suppressions massives d’emplois, voire de fermeture de certains magasins. Mais, là encore, ces mastodontes ont de la ressource pour faire supporter les coûts par d’autres. L‘externalisation est le moyen pour elles d’échapper à leurs obligations sociales. Les magasins sont mis en gérance. Ni vu ni connu, ce n’est plus Carrefour, Leclerc, Auchan ou d’autres qui licencient mais tel ou tel magasin de telle ou telle ville qui n’est pas bien géré.
Derrière tout cela, des milliers de personnes en souffrance : du risque de perdre leur emploi pour les unes, ou de le garder dans des conditions dégradées pour les autres. Car les droits sociaux ne sont pas les mêmes selon qu’on travaille dans un grand groupe ou un magasin de « proximité » de taille moyenne. Les conditions de travail sont loin de s’améliorer, de même que les salaires. Côté actionnaires, en revanche, tout va bien merci.
Et nous, consommateurs ? Pour la plupart, nous sommes nous-mêmes salariés ou retraités, ou travaillant pour gagner nos vies quel qu’en soit le statut. Nos intérêts ont tout à voir avec ceux des employés de la grande distribution plutôt qu’avec ceux des actionnaires, et pourtant… Et pourtant, nous ne parvenons pas à nous organiser comme une force solidaire et collective capable de damer le pion à ces géants financiers qui influent sur nos vies quotidiennes.
À l’heure de l’intelligence artificielle, il est pourtant plus que temps que nous fassions entendre notre détermination à mettre l’humain et le social au centre de tout.
Chronique de Maryse Dumas publiée dans l'Humanité