Retour sur la journée de grève historique des travailleurs du jeu vidéo

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Les 550 employés du secteur du jeu vidéo rassemblés à Bastille, contre 300 attendus par les organisateurs au départ, ont manifesté pour des changements drastiques dans l’industrie, notamment concernant leurs conditions de travail. © Jeremy Paoloni/ABACAPRESS.COM

Les 550 employés du secteur du jeu vidéo rassemblés à Bastille, contre 300 attendus par les organisateurs au départ, ont manifesté pour des changements drastiques dans l’industrie, notamment concernant leurs conditions de travail. © Jeremy Paoloni/ABACAPRESS.COM

 

Les salariés de l’industrie du jeu vidéo étaient appelés à faire grève au niveau national pour la première fois en France, ce jeudi 13 février. Rassemblés à la place de la Bastille à Paris, 550 d’entre eux ont alerté sur les problèmes que rencontre leur secteur.

 

C’est une journée historique pour la lutte dans la première industrie culturelle de France. Le secteur du jeu vidéo, qui génère 6 milliards d’euros par an selon le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir, a connu sa première grève nationale ce jeudi 13 février. Les 550 employés du secteur rassemblés à Bastille, contre 300 attendus par les organisateurs au départ, ont manifesté pour des changements drastiques dans l’industrie, notamment concernant leurs conditions de travail.

 

Le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV), fort d’un millier d’adhérents sur les 10 000 salariés dans les entreprises françaises, a lancé l’appel à cette mobilisation générale. Parmi les drapeaux multicolores du syndicat, on retrouve par-ci par-là des étendards de la CGT ou de Solidaires Informatique, ce dernier comptant une centaine de syndiqués selon le bureau de l’organisation. Malgré le froid, les développeurs, testeurs et game designers, parfois masqués, n’ont pas hésité à exprimer leurs craintes concernant leur métier.

 

« Ils sous-payent les jeunes qui ne savent pas encore négocier »

 

Gaëlle, game artist avec trois ans d’expérience, explique l’action par « la situation très précaire dans laquelle se trouve l’industrie. On n’est jamais à l’abri de licenciements ». Malgré la relative sécurité de l’emploi en France, la jeune salariée d’un studio parisien rappelle que « 500 personnes de Unity ont été licenciées du jour au lendemain aux États-Unis. Ça envoie une image assez négative ». Une crainte que partage Ceilidh (1). Sous son foulard couvrant son visage, cet ancien du studio Blizzard, parti à la suite des deux PSE (plan de licenciements) après dix ans dans l’entreprise, est venu apporter son soutien « aux camarades dans une industrie extrêmement rentable mais qui licencie à tour de bras ».

 

Les craintes de licenciement sont même en progression à cause de l’intelligence artificielle. Pour Max, développeur chez Quantic Dream, accompagné de trois autres collègues, « on va remplacer beaucoup de postes par l’IA. Mais les problèmes qui sont censés être résolus avec l’IA, ce n’est pas aux avantages des employés, c’est à l’avantage du patronat ». Gaëlle le rejoint sur ce point, avec l’injonction qui se profile : « Soit s’adapter et changer de poste pour faire uniquement de l’IA, soit juste perdre notre emploi au profit de quelqu’un qui sait faire de l’IA ». Elle demande que « l’utilisation de cette technologie soit un peu plus réglementée et qu’on n’ait pas ou peu à l’utiliser pour protéger les emplois ».

 

Car en plus de la perte d’emploi, les travailleurs alertent sur « le risque d’homogénéisation des jeux à cause de l’IA », selon Max. « On ne va pas faire des économies sur la culture, juste pour avoir des jeux de piètre qualité alors qu’on a des talents reconnus qui demandent à être recrutés ».

 

Des recrutements permis notamment par l’abondance de juniors sur le marché de l’emploi. Comme l’explique Marie de Quantic Dream, aux côtés de Max, « l’industrie mise beaucoup sur le côté passion. On dit souvent aux jeunes tout juste sortis d’école ” tu as de la chance d’arriver dans le jeu vidéo, c’est ta passion, donc tu acceptes le salaire qu’on te donne et il n’y aura rien d’autre ”. Et ils les sous-payent parce que ces jeunes collègues ne savent pas négocier leurs niveaux de salaire ».

 

« Moins tu dors plus tu es fort »

 

Les rémunérations de premier contrat, avec des moyennes entre 30 000 et 40 000 euros par an après 5 ans d’études, sont « insuffisantes au vu des horaires que l’on fait », ajoute avec conviction Marie. « On fait 40 heures par semaine mais on gagne un salaire sur la base des 35 heures. On a très peu de chances d’augmentation ou de renégociations salariales, donc la seule façon d’avoir un meilleur salaire, c’est de quitter la boîte. » Un problème que soulève Pierre-Étienne Marx, élu du STJV à Ubisoft Paris lors de sa prise de parole. Dans une ambiance de fumigènes, il évoque « la non-application des grilles de salaires qu’on nous promet et qui sont la plupart du temps au détriment des travailleurs ».

 

La revendication la plus mise en avant est l’amélioration des conditions de travail. Ceilidh cite notamment « le crunch, c’est-à-dire des heures supplémentaires non payées, tout simplement plus ou moins imposées ». Un problème récurrent dans l’industrie et avec des conséquences notables sur les travailleurs, comme le révèle l’étude publiée en 2016 par Open Source Mental Health, 51 % des employés du secteur technologique souffrent de problèmes de santé mentale.

 

« Ce sont des choses qui sont inculquées dès l’école, confirme Ceilidh. C’est très toxique. Le fameux ”moins tu dors, plus tu es fort ” fait qu’on a des gens qui sont en burn-out très tôt ». Marie, de Quantic Dream, évoque la « peur que ça arrive de plus en plus. On se retrouve à se presser pour des choses qui sont soudainement urgentes. Même si elles ne le sont pas dans les faits, on nous dit qu’il faut le faire maintenant ».

 

La communication avec la direction est justement un point important pour les manifestants du STJV. « Les travailleurs et les travailleuses doivent avoir voix au chapitre pour vérifier que la gestion économique de l’entreprise est saine, déclare Pierre-Étienne Marx. Vérifier qu’il n’y a pas de détournement de coût, qu’il sera bien possible de finir les productions en cours ». Pour l’élu syndical chez Ubisoft, « les patrons ne savent pas quoi faire, parce qu’ils ont l’habitude de décider tout seuls. Ils ne comprennent pas trop quand ça coince et que les gens disent non. Ils sont un peu dans la perplexité ».

 

Mettre en cause le Crédit d’impôt du jeu vidéo

 

Clémence, game artist chez Quantic Dream avec Marie et Max, renchérit, citant notamment « un questionnaire dans l’entreprise pour savoir comment les gens se portent et comment les gens se sentent par rapport aux projets. Globalement, les gens sont très fiers de travailler sur les projets, ils sont très contents de leurs relations avec leurs collègues. Mais ils n’ont aucune confiance dans la direction. On a des gens passionnés et motivés mais les patrons ne veulent pas les écouter ».

 

Avec les 550 salariés de l’industrie rassemblés à Paris pour exprimer ces multiples revendications, cette journée historique est « une façon de taper du poing sur la table », selon Ceilidh du STJV. Les représentants syndicaux appellent le gouvernement à conditionner les aides à l’industrie du jeu vidéo, comme le Crédit d’impôt du jeu vidéo, en mettant en avant le bien-être des employés.

 

Organisée au niveau national, avec une marche à Lyon regroupant « une centaine de personnes » selon Pierre-Étienne Marx, mais aussi à Annecy, Angoulême et Bordeaux, cette journée d’actions est la première à cette échelle dans le secteur. 

 

Les organisateurs, avec l’appui de travailleurs de studios étrangers comme Ubisoft Barcelone ou Milan, n’excluent pas « de recommencer après cette démonstration de force s’il n’y a pas de réponse en face » de la part des éditeurs et des entreprises.

 

Khalil Auguste Ndiaye  Article publié dans l'Humanité

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