Retraites : pourquoi la capitalisation n’est pas une solution ?

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Retraites : pourquoi la capitalisation n’est pas une solution ?

 

Le Medef veut profiter du "conclave" sur les retraites pour pousser à la capitalisation. Plusieurs pistes peuvent être explorées, mais aucune n’est aussi protectrice, solidaire et redistributive que le système par répartition.

 

François Bayrou a promis qu’il n’y aurait aucun sujet tabou lors de la conférence sur les retraites qui réunit les partenaires sociaux. Voilà qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd ! Si les organisations syndicales comptent faire pression pour revenir sur l’âge légal de départ, le Medef entend ouvrir le débat sur la retraite par capitalisation, le rêve de toujours du capital.

 

Avant de détailler les changements que cela induirait, un rappel concernant la situation actuelle s’impose. Depuis 1946, la France, comme beaucoup d’autres pays, a opté pour un système de retraites par répartition, jugé plus sûr et solidaire après la guerre.

 

Concrètement, les cotisations des actifs financent les pensions des retraités d’aujourd’hui. Ces cotisations, dont les individus ne choisissent pas le montant, leur ouvrent également des droits pour leur retraite future, qui sera donc financée par la génération suivante. C’est le principe de solidarité.

 

Les pensions sont constituées d’une retraite de base, versée par la Sécurité sociale et d’une retraite complémentaire, gérée par l’Agirc-Arrco, dont le montant dépend du nombre de points récoltés pendant notre vie professionnelle.

 

La retraite par capitalisation existe déjà...

 

A côté de ces deux piliers obligatoires, les particuliers ont la possibilité de placer des économies sur des comptes destinés à les faire fructifier et à leur constituer une retraite supplémentaire. Et cela, en échange d’avantages fiscaux.

 

La retraite par capitalisation existe donc d’ores et déjà en France, mais elle n’est pas obligatoire et ne rencontre pas beaucoup de succès. Selon l'INSEE seuls 16,6 % des ménages détenaient un produit d’épargne retraite en 2021. La raison est assez simple : les taux de remplacement, soit le pourcentage de l’ancien revenu perçu une fois à la retraite, restant relativement élevés avec le système actuel (le taux de remplacement médian des salariés de la génération 1950 est de 74,7 % tous secteurs confondus), les futurs retraités ne ressentent pas vraiment la nécessité de compléter leur pension avec des produits financiers qui ne sont jamais sûrs sur une longue durée pouvant aller jusqu'à 40 ans, si on commence à travailler à 20 ans avec la capitalisation jusqu'au départ en retraite (60 ans).

 

Le patron des patrons reconnaît que le système par capitalisation a très peu de chance de déboucher sur un accord avec les syndicats très hostiles à cette idée, et encore moins au Parlement si un projet de loi est porté par la gauche, mais il compte tout de même pousser quelques pions en ce sens. « De notre côté, rien n’est complètement arrêté pour l’heure, dit le Medef, où l’on se réjouit de voir les « tabous » tomber. Le sujet va être posé lors des discussions, dans la mesure où la question du déficit du système par répartition est d’actualité. ». Une affirmation peu évidente, si on se réfère aux chiffres du COR*.

 

Plusieurs idées seraient défendues par Patrick Martin pour tenter d'ouvrir quelques brèches, à défaut d’obtenir un grand soir de la capitalisation.

 

Option 1 : remplacer le système par répartition

 

Sans suspense, « s’il est question de substituer le système par répartition par de la capitalisation, c’est tout bonnement idiot. Ou en tout cas impossible, souligne Florence Legros, économiste et directrice générale de l’ICN Business School. Si je vous dis qu’à partir de maintenant, vous faites une retraite par capitalisation, vous allez mettre votre argent sur un compte à votre nom. En revanche, votre grand-mère qui est à la retraite, elle, n’a plus rien ! »

 

Pendant la période de transition d’un système à l’autre, se poserait en effet ce que Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po, appelle le « problème du double paiement ». C’est-à-dire que les actifs devraient payer deux fois : une fois pour les retraités actuels, et une fois pour eux dans le futur. Impossible, donc.

 

Dans les pays qui ont accompli ce changement radical, les expériences n’ont jamais été indolores, elles ont été terribles : « Après la chute de l’Union soviétique, la Pologne, où tout était nationalisé pendant la guerre froide, a vendu ses biens publics. Elle s’est servi de l’argent des privatisations pour financer les retraites, mais elle a dû renoncer à la somme des revenus attendus », reprend Florence Legros, qui invoque un autre exemple : « Le Chili a également émis des obligations d’Etat, lors de sa transition d’un système à l’autre. Finalement, ça n’a pas changé grand-chose par rapport à la répartition puisque ce sont les générations futures qui ont dû rembourser la dette publique créée par les pensions. »

 

Option 2 : ajouter un pilier « capitalisation » obligatoire

 

Une autre piste viserait à rendre obligatoire un pilier « capitalisation », à côté de celui de la retraite de base et de la complémentaire. Certains pays, à l’image de la Suède l'ont fait. Là aussi, la faisabilité interroge, notamment concernant le financement. « S’agirait-il de créer de nouvelles cotisations obligatoires, en plus du système actuel ? questionne Patrick Aubert, économiste à l’Institut des politiques publiques (IPP). Cela signifierait que l’on accepterait d’augmenter le taux de prélèvement des cotisations obligatoires. »

 

Or, pour le capital, il est hors de question d’augmenter les cotisations. Y compris pour  contribuer à financer le système des retraites et conserver un âge légal de départ à 62 ans. On voit mal, les représentants du capital venir défendre « une augmentation des cotisations pour de la capitalisation, cela créerait une sorte d’incohérence », poursuit le chercheur de l’IPP.

 

Serait-il alors question de substituer une partie des cotisations existantes pour de la capitalisation ? Dans ce cas, le retour du « problème du double paiement », évoqué plus haut, compliquerait l’équation. Car il faudrait quand même payer les pensions des retraités actuels.

 

« Substituer des cotisations voudrait donc dire diminuer les ressources actuelles du régime par répartition [dont on déplore déjà le déficit, ndlr] et baisser le revenu des retraités, indique Patrick Aubert. C’est mathématique : si on enlève 20 % à 25 % des ressources actuelles pour de la capitalisation, ça veut dire qu’il faut baisser de 20 à 25 % le niveau moyen de pensions des retraités actuels. » Ce scénario semble hautement improbable à ce jour, tant toucher aux revenus des retraités est politiquement explosif.

 

Option 3 : inciter davantage

 

La dernière option que pourrait défendre le Medef viserait à encourager davantage les individus à « capitaliser », avec des incitations fiscales. Cela signifie que des personnes acceptent que des fonds de pension gèrent leur capital, avec les risques de marché afférents. « En Australie, lors de la crise de 2008, les retraités ont vu fondre leur capital retraite. Et un certain nombre d’entre eux ont dû reculer l’âge de départ à la retraite, parce qu’ils n’avaient plus assez », rappelle Elvire Guillaud, maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

 

« Les entreprises pourraient inciter à l’épargne, répond Florence Legros. Mais à long terme. » D’après les travaux statistiques qu’elle a menés, la probabilité de perdre son capital serait nulle… au bout de 26 ans de détention. « A partir de là, vous êtes sûr de gagner. »

 

Il existe enfin des moyens détournés de pousser les salariés, notamment les cadres, à mettre leur argent ailleurs. En 2019, c’était l’une des propositions du programme d’Emmanuel Macron avec sa « retraite à points ». Il s’agissait de limiter les cotisations des hauts salaires à trois fois le plafond de la Sécurité sociale (soit 123 408 euros par an en 2020), au lieu de huit plafonds de la Sécu (soit 329 088 euros à l’époque). Cela occasionné une perte de recettes du côté des entrées et des pensions moins importantes à verser à la sortie. Mais du point de vue des plus hauts revenus concernés, dès lors que leur niveau de retraites aurait chuté, ils se seraient tournés vers la capitalisation. En gros c'est une arnaque !

 

Encore faut-il avoir de l’argent à placer. « Ce sont les plus riches et/ou ceux qui travaillent dans les "grandes et bonnes" entreprises, c’est-à-dire celles qui mettent en place un tel dispositif pour leurs salariés, qui mettent de l’argent de côté », souligne Bruno Palier. Ce qui existe déjà en France illustre ce caractère inégalitaire. La loi Pacte de 2019 avait notamment pour ambition d’encourager les travailleuses et travailleurs à l’épargne retraite. Or la Cour des comptes, dans un rapport, constate « une diffusion limitée dans la population et concentrée sur des bénéficiaires aisés et âgés ». Pas étonnant, pour Elvire Guillaud : « Quand on est jeune, on a rarement les moyens d’épargner pour sa retraite. Ou alors, on épargne, mais pour autre chose. »

 

Autre exemple en Allemagne. Dans les années 1990-2000, le gouvernement a limité les cotisations des retraites de base et incité, avec des allégements fiscaux, les salariés à faire de la capitalisation pour garantir le même taux de remplacement. Sauf que cela a accentué les inégalités. « On se retrouve face à une "dualisation de la protection sociale", c’est-à-dire que les taux de remplacement baissent avec la protection sociale de base, et cette baisse n’est compensée que pour ceux qui étaient déjà gagnants : les plus riches, qui décident d’épargner et ceux qui sont dans les "bonnes boîtes" », avertit Bruno Palier.

 

Renforcer la solidarité

 

En somme, cette troisième option conduirait chez les retraités aux mêmes inégalités que chez les actifs. Or le système par répartition a cet avantage d’intégrer dans son calcul des mécanismes de solidarité qui permettent d’égaliser les retraites – rattrapage des congés maternité, des périodes de chômage, des petites retraites –, rappelle Elvire Guillaud :
 

« L’objectif, à l’approche des vieux jours est de non seulement pouvoir vivre de sa retraite, mais de bénéficier en plus d’un niveau de vie relativement comparable. Ce qui n’est pas du tout possible avec la capitalisation, car les marchés ne sont pas égalisateurs. » C'est un système fondée sur l'individualisme

 

Aujourd’hui, la France peut se targuer d’avoir un niveau d’inégalité parmi les retraités bien plus faible que le niveau d’inégalité parmi les salariés. Demain, permettre aux plus aisés de s’enrichir dessinerait un autre choix de société.

 

Maintenir et renforcer un système juste et efficace

 

Au final, rien ne vaut le système par répartition avec la solidarité intergénérationnelle. En ce sens, les inventeurs d'un tel système aussi juste et efficace, ont fait preuve d'une grande modernité qui ne se dément de nos jours. Alors pourquoi en changer ? C'est le rêve du capital !

 

Certes, il peut y avoir y avoir un besoin de financement pour faire face au vieillissement (29% des personnes auront plus de 65 ans) et à la baisse de la natalité. C'est cette question qu'il faut mettre à plat comme le réclament les communistes mais aussi la CGT. 

 

Le COR* dans son dernier rapport (juin 2024) évalue le besoin de financement en 2070 (dans 45 ans), à 0,8% du PIB mais en prenant en compte le fait que ce besoin reculerait entre 2050 et 2070 en % du PIB. Pour repères : le PIB de la France s'élevait à 2 608 milliards en Standard de Pouvoir d'Achat (Eurostat) en 2023, il est évalué à 7431 milliards en 2070 soit une progression de plus du double alors que la population passerait de 68 à 70 millions. 

 

Le besoin de financement du système de retraite serait d'ici 2050 de l'ordre de 50 milliards en prenant en compte le retour de l'âge de départ à 60 ans, la réévaluation des pensions, et un taux de remplacement du salaire qui progresserait et cesserait de baisser.

 

Il y a quelques leviers à actionner pour faire face à ce besoin social et financier, et pour pérenniser le système :

 

1) Appliquer la cotisation sociale sur tous les revenus provenant des entreprises (intéressement-primes etc.) et inciter à une forte revalorisation des salaires dans le secteur public comme le secteur privé.

 

2) Avoir une nouvelle politique de l'emploi et de la formation pour répondre aux besoins du pays. Tout emploi créé permet à un salarié, de devenir cotisant et donc de générer  des recettes nouvelles. Il y a en France 5 600 000 privés d'emploi, il y a donc de la marge !

 

3) Faire contribuer les entreprises et notamment leurs revenus financiers. Elles pourraient verser 10% de leurs revenus financiers qui s'élèvent en France à un total de 500 milliards. Cela rapporterait 50 milliards.

 

4) Mettre en place la modulation de la cotisation. La cotisation sociale serait fixe pour toutes les entreprises, mais elle serait augmentée selon des critères à définir qui prendraient en compte les créations d'emplois, le nombre de salariés formés, les revalorisations salariales. Moins une entreprise fait cela plus la cotisation sociale payée par l'entreprise augmenterait. C'est donc une incitation à une gestion qui développe les capacités humaines et les qualifications.

 

5) L'arrêt immédiat des exonérations qui coute à l'Etat 80 milliards au minimum et que l'Etat ne reverse pas intégralement à la Sécurité Sociale.

 

C'est donc une toute autre logique qu'il faut mettre en oeuvre et qui prend sa place parmi les éléments nécessaires au débat démocratique et à l'élévation du rapport des forces.

 

Sources : Alternatives Economiques - Economie Politique - le rapport du COR

Raport du COR

Reraite par capitalisation

 

*Extrait de la synthèse du rapport du COR

"Dans ce scénario, le solde du système de retraite, excédentaire en 2023 (+ 0,1 % du PIB), serait de nouveau en déficit dès 2024 (-0,2 % du PIB) sous l’effet, comptablement, des revalorisations des pensions, notamment celle du 1er novembre 2023 à l’Agirc-Arrco (4,9 %) et celle du 1er janvier 2024 pour les régimes de base (+5,3 %). Il resterait déficitaire sur l’ensemble de la période de projection et le besoin de financement représenterait 0,8 % du PIB en 2070. Même si les dépenses reculent (13,4 % du PIB en 2023, 13,2 % en 2070), les ressources diminuent plus encore (13,5 % du PIB en 2023, 12,4 % en 2070)."

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