Intervention de Frédéric Boccara au CN du 15 mars 2025

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

 

Avant d’intervenir dans l’ordre du jour, je veux dire quelques mots sur ce que sont devenues ces réunions du CN et sur leur fonctionnement.

 

Nos réunions ont été réduites à une seule journée. Seulement 6 heures de réunion, alors que les camarades viennent de toute la France, parfois de bien loin ! C’est un gâchis. D’autant que les camarades sont bien obligés d’arriver la veille. Nous pourrions notamment avoir au moins une séance de plus. Car le temps de nos échanges est bien insuffisant pour ne pas être réduits à être une chambre d’enregistrement.

 

Plus généralement, de nombreux membres du CN ont manifesté, durant la préparation de la conférence nationale, la nécessité d’un travail sur le fonctionnement du CN pour qu’il soit, en pratique, effectivement la direction nationale du parti. Rien n’est organisé jusqu’ici en ce sens. Nous aurons, je pense, à en reparler. D’ores et déjà, j’alerte sérieusement aujourd’hui.

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Intervention dans le débat sur la situation internationale :

 

  1. Donner du sens

 

Il nous faut d’abord avoir le souci de donner du sens à ce qui est en train de se produire. On observe une montée des tensions de nature guerrière, avec en outre un peu de dramatisation par E. Macron. Mais derrière tout cela, il faut bien voir et faire ressortir les tensions économiques de nature impérialiste, liées au capitalisme et à sa crise.

 

Le capitalisme US est en crise. Il se sent menacé, dans sa rentabilité qu’il faut à tout prix assurer. Il se sent menacé aussi dans son appui sur sa base nationale sociale et politique aux Etats Unis, car les délocalisations des multinationales mettent en grande difficulté le peuple et le monde du travail aux Etats Unis. Mais c’est aussi l’impérialisme US qui se sent menacé jusque dans son cœur qui est le dollar et ses pouvoirs exorbitants, avec la montée des BRICS et leur volonté de mettre en cause le dollar pour une monnaie alternative.

 

Il y a donc un mouvement assez clair de Trump pour laisser aux pays de l’UE une grande partie de l’effort de guerre et même la responsabilité de la guerre et se concentrer sur la guerre économique. 

 

C’est cela qu’il faut faire ressortir, avec deux aspects. La guerre commerciale, bien sûr, mais surtout la guerre financière sur les capitaux. Il assèche les capitaux du monde pour qu’ils viennent soutenir le dollar et conforter l’économie US. Heureusement que la déclaration actuelle, ainsi que le rapport de Fabien, reprend cette formule que j’ai proposée et qui n’était pas présente dans la version discutée au CEN car, initialement, nous étions mal partis. 

 

Mais il faut en voir toute l’importance. La guerre commerciale est un levier pour cette attraction des capitaux (investissez aux US pour y produire, si vous ne voulez pas être taxés sur vos exportations) ainsi qu’un chantage, envers notamment les pays de l’UE, pour qu’ils entrent dans une négociation sur le soutien du dollar.

 

Le plus important pour Trump et pour le grand capital à base US, son écosystème, c’est la Chine et le dollar.

 

Il veut donc avoir les mains libre et se concentrer sur la rivalité avec Chine, bien que ce soit plus compliqué qu’il n’y paraît en raison des interdépendances (notamment la présence des multinationales US en Chine même, avec de grosses activités productives ; la détention d’une part importante de la dette publique US par la Banque centrale de Chine). Cette question du dollar est fondamentale, presque existentielle pour le capitalisme US, elle est au cœur de son système de taux de profit et de dévalorisation pour maintenir celui-ci. 

 

C’est bien plus important, en réalité que les terres rares ou le pétrole, même si c’est lié. Car d’une part, si le dollar dévisse, alors le danger est très grave pour l’hégémonie US, et pour le capital, d’autre part, s’ils sauvent le dollar, alors ils ont un levier majeur pour prendre le contrôle des terres rares, ou agir sur le pétrole de l’arctique, et bien plus, financer les technologies, leurs déficits jumeaux (dette publique et déficit commercial), et leurs dépenses militaires.

 

  1. Le chantage au soutien du dollar et au financement des dépenses militaires US

 

Stéphen Miran, le président nommé par Trump du Conseil d’analyse économique des Etats Unis s’est exprimé en termes très clairs, voire crus. Il somme les grands pays capitalistes européens de « collaborer » pour (1) organiser la baisse du cours du dollar afin de favoriser les exports US (2) soutenir malgré tout le dollar et l’attraction de la place US en y apportant leurs capitaux par la prise de Bons du trésor US de maturité 100 ans ou perpétuels, afin, dit-il explicitement, de partager le fardeaux des dépenses militaires, c’est-à-dire de financer les dépenses d’armement ― et technologiques ― des US et de leurs Gafam.

 

  1. Quelle réponse ?

 

Alors, faut-il entrer dans une surenchère guerrière et dans le surarmement ? Non. Et il faut être clairs là-dessus, même si cela ne sera pas forcément simple, d’autant plus qu’il y a des éléments de dramatisation exagérée. La réponse se situe à trois niveaux :

 

  • Transformer nos dépenses militaires en des dépenses de véritable défense et non de projection à l’extérieur, pour permettre véritablement la sécurité collective, sans angélisme ni surenchère

 

  • Développer les dépenses sociales de façon importante ― capacités humaines et emploi ― en priorité

 

  • Œuvrer à un nouvel ordre économique (et politique) international.

 

Remarque importante, donner la priorité aux dépenses humaines et sociales est une question proprement politique. C’est tout autre chose que de répéter en rond « industrie et services publics », tendance que j’observe malheureusement dans nos interventions médiatiques. Ce sur quoi il faut éclairer, c’est que pour une nouvelle industrialisation et pour développer les services publics, la clé est de donner la priorité aux capacités humaines et à l’emploi. 

 

D’où les raisons pour lesquelles le système résiste : il veut la priorité au capital ! On fait percevoir alors la bataille à mener et l’enjeu. Il faut certes un emploi bien « équipé », mais ne parler que « d’investissement » est suiviste ― il faut un tout autre type d’investissement ― et passe à côté de l’enjeu de classe qui rejoint l’intérêt général ― priorité aux dépenses humaines et sociales.
 

  1. La montée de la question financière et la bataille politique à mener

 

La bataille sur le financement est en train de changer. Pour le discours dominant, la priorité étant données aux armes, il ne fait plus débat qu’il faut des avances pour financer les dépenses militaires supplémentaires ! Madame Von der Leyen veut même créer un « Fonds européen » de 800 milliards d’euros ! Et le nouveau chancelier allemand, Merz, veut créer un Fonds allemand de 500 Md€, financé lui aussi par des avances. Et, habilement, l’Allemagne propose de le consacrer à des dépenses d’infrastructure (renvoyant aux services publics), couvrant un éventail plus large que les dépenses militaires.

 

Soit dit en passant, la commission économique avait repéré cette inflexion allemande très tôt, et nous serions tout autrement armés si Léon Deffontaines et le staff de campagne avait porté dans la campagne européenne la question d’un Fonds européen pour les services publics, de façon conquérante et unitaire, en cherchant le débat constructif avec la gauche et en Europe, au lieu de caresser les idées souverainistes et d’amadouer certains petits partenaires.

 

Est-ce à dire qu’à présent nos idées seraient en passe d’être adoptées ? Que nenni ! certes on reconnaît ― et c’est fondamental ― qu’il faut des avances de financement, donc une dette accrue, plutôt que de mettre en avant la réduction préalable de la dette et des dépenses. Mais les différences majeures qui existent sont majeures. 

 

Pour nous :

 

  • Il ne s’agirait pas de financer avant tout les armes et un effort de guerre

 

  • Nous voulons faire appel à la création monétaire de la BCE à bas taux. Nous ne voulons pas faire appel au marché financier. Car ce serait faire appel aux capitaux existants, et donc renforcer la rivalité de concurrence entre les pays, avec une surenchère à la hausse sur les taux d’intérêt confiscatoires et un assèchement mondial creusant les tensions dans le monde entier.

 

  • Surtout, il s’agit de donner la priorité aux dépenses d’emploi, de formation et de protection sociale, aussi bien dans les dépenses publics que dans l’appui à l’investissement : s’il développe l’emploi, les salaires et les qualifications

 

  • La France pourrait tout de suite se lancer dans la création d’un tel Fonds, financé par le pôle public bancaire existant, et mener la bataille de pression sur la BCE, y compris de façon conjointe avec d’autres pays.

 

La question politique prioritaire de l’emploi et de la formation, comme question politique et comme projet de société, c’est ce que devait initialement porter notre campagne. Il s’agit de la campagne décidée ici en CN. Mais elle est en train de dévier vers une campagne « industrie et services publics », ce qui, sans totalement la vider de contenu, évince une grande part de la charge politique qu’elle devrait ― et devait ― avoir. Ce qui ne nous aide pas politiquement, constitue une erreur et ne tient pas compte des décisions du CN. Et d’ailleurs les communistes et les sections ont beaucoup de mal à se saisir d’une telle « campagne ».

 

C’est d’une part une question révolutionnaire, car elle oblige à renverser les priorités actuelles de tout notre système économique, politique et culturel, qui donne la priorité aux équipements, aux dépenses matérielles et au capital… jusqu’à nommer « investissement » des dépenses certes d’avenir mais humaines ― confusionnisme politique néfaste.

 

C’est d’autre part une grande question d’efficacité sociale et écologique au sein même de l’industrie et des services publics.

 

Enfin, il faut bien voir que prioriser les dépenses d’armement contre le social et l’emploi, comme ils veulent le faire, mène à une très grave impasse : les dépenses militaires sont improductives, donc leur accroissement est inflationniste. Sauf si elles « produisent », c’est-à-dire si elles sont utilisées pour des guerres de gains de marchés et de conquêtes économiques ! C’est donc très dangereux. Et c’est une raison de plus pour donner la priorité aux dépenses humaines et sociales.

 

Mais il faut pour cela rompre avec l’austérité et augmenter tout de suite les dépenses, par création monétaire. Les recettes suivront si ces dépenses sont bien orientées. D’où, l’importance de l’initiative prise par la revue Economie & Politique, co-organisée avec le PGE, d’une rencontre « contre l’austérité, pour des alternatives » le 29 mars à la Bourse du Travail de Paris, appelée avec des économistes liés aux quatre grandes composantes de la gauche et du NFP. Nous avons certes des différences théoriques voire politiques mais ils partagent cette optique. Elle sera l’occasion d’un dialogue entre économistes et mouvement social.

 

  1. Economie de guerre

 

Mais nos dirigeants sont en train de théoriser la mise en place de l’économie de guerre, avec tout ce qu’elle implique de réorganisation, tout ce qu’elle permet de mise au pas social et politique, y compris le maintien au pouvoir « coûte que coûte » d’E. Macron, tout ce qu’elle implique de justification du financement public et donc de dévalorisation du capital pour soutenir le taux de profit. Mais aussi tout ce qu’elle entraîne de guerre économique renforcée pour s’accaparer les capitaux et les financements, donc toute l’hypertension et les dangers qu’elle nourrit.

 

Cette situation est utilisée par les dirigeants pour convaincre de la nécessité d’un « saut » fédéraliste de l’Union européenne. Alors qu’il s’agit au contraire de développer les coopérations pour une culture de paix, qui favorise le vivant : les capacités humaines, l’emploi et l’écologie, et d’être un pont avec les peuples du Sud global, au lieu des pratiques néocoloniales et sous-impérialistes.

 

Concernant l’Ukraine et la Russie, sans faire aucune concession avec Poutine, ce dirigeant qui fait couple avec les oligarques et une restauration capitaliste, nous devons contester que l’on désigne la Russie comme une menace militaire pour la France. Nous devons aussi insister sur l’auto-détermination nécessaire des peuples dans le Donbass.

 

  1. Nouvel ordre économique mondial

 

Le grand enjeu c’est le sud dit « global », où vit à présent la majorité de l’humanité. Donc un nouvel ordre du monde, à la fois économique et politique.

 

Les tensions fondamentales sont d’abord sur les ressources, les biens communs (dont l’eau, les terres rares, …), les souffrances des peuples mais aussi les tensions sur les financements. Par exemple, chaque Cop fait ressortir l’énorme besoin de financement de la transition écologique au sud, qui est à la fois une question sud/nord, mais aussi une question de classe (capital versus les êtres humains et le vivant) dans laquelle les multinationales se déresponsabilisent totalement et attendent de la générosité internationale.

 

Le défi fondamental que nous devons expliquer c’est des financements communs pour la pauvreté, les inégalités ; le climat ; les services publics ; une industrialisation porteuse d’emploi, de progrès social et écologique ; les biens communs. Ils doivent être

 

  • Massifs

  • non pas à côté des multinationales (lesquelles sont majoritairement « occidentales »), pensant « compenser » ce qu’elles font, ni à leur place mais réorientant leur activité, la transformant

  • Non monopolisés par le Nord et affectés de façon importante au Sud.

 

Pour cela un autre ordre du monde est indispensable.

 

Il faut créer une monnaie commune alternative mondiale alternative au dollar dont l’émission par création monétaire commune (à partir des DTS transformés) financerait le développement des services publics, la lutte contre le changement climatique, une nouvelle industrialisation mettant l’emploi et l’écologie en son cœur.

 

Il faut dans le même temps une réforme du FMI, de l’OMC et de l’ONU. L’OMC, qui semble-t-il n’a même pas été saisie par des plaintes contre l’imposition des droits de douane par Trump, montre qu’elle arrive au bout du rouleau. Elle doit être transformée en organisation de maîtrise du commerce et des investissements internationaux pour le développement des biens communs et de l’emploi, ainsi que de partage des technologies (c’est elle qui a la responsabilité des droits de marchandisation des technologies, brevets, etc.).

 

C’est dit dans nos textes de congrès. Cela a été inséré dans le projet de déclaration, suite à notre débat en CEN. Mais ce n’est pas dit par nos intervenants nationaux dans les médias. Ce décalage est un problème politique grandissant pourtant pointé par la conférence nationale !

 

En conclusion, je demande des amendements dans la résolution :

 

  • Qu’il soit inséré l’idée que les dépenses sociales et écologiques sont prioritaires

  • Que le titre devienne « Agir pour la paix et un nouvel ordre du monde », car c’est cela notre boussole et c’est cela qui donne un rôle à l’intervention populaire, raison d’être du PCF. La question de la « voix indépendante de la France » ne peut pas être le titre, donc notre boussole : quelle voix ? Et en plus, elle nous place en délégation de pouvoir vis-à-vis de Macron.

  • Que l’on insiste sur la rivalité sur les capitaux et le défi posé par les BRICS

  • Que l’on renforce l’importance des défis communs à relever, et pas seulement la paix en soi (inégalités, emploi, climat, services publics, industrialisation nouvelle)

  • Que l’on conteste l’idée que la Russie est une menace militaire pour la France

  • D’introduire le rôle du comportement expansionniste de l’OTAN

  • Que l’on modifie ce qui est dit sur l’industrie de défense en insérant d’une part l’exigence de technologies duales, civil/militaire, et de donner une priorité à l’emploi-formation et à la recherche, tout en maintenant l’idée de réorientation de ces dépenses en contenu et de pôle public.

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