Taper sur l’Algérie, c’est se faire du mal à nous-mêmes. Par Ian Brossat

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Le sénateur communiste Ian Brossat dénonce l’instrumentalisation des rapports entre la France et l’Algérie par la droite qui demande une révision des accords de 1968 avec l’Algérie.

 

Humanité : Le débat politique est en partie accaparé par la renégociation des accords franco-algériens de 1968. Qu’est-ce que cela dit de la droite ?

 

Ian Brossat : Elle organise depuis des mois une offensive concertée visant à multiplier les tensions avec l’Algérie. Bruno Retailleau multiplie les déclarations incendiaires. Zemmour parle de la colonisation de l’Algérie comme d’une bénédiction. L’ancienne tête de liste « Les Républicains » aux élections européennes, François-Xavier Bellamy, dit que l’Algérie a du sang sur les mains. Le fils de Nicolas Sarkozy appelle à brûler l’ambassade d’Algérie en France. Cette offensive vise à saturer le débat médiatique autour des questions de l’immigration, en instrumentalisant les divergences qui existent entre nos États pour réveiller de vieilles haines.

 

H : Vous êtes élu d’une zone populaire. Comment les habitants vivent-ils se débat ?

 

IB : Je suis élu du 18e arrondissement de Paris, élu de Barbès, élu de la Goutte d’or, où vivent beaucoup de citoyens d’origine algérienne ou d’Algériens résidant depuis longtemps en France. Ils vivent la situation avec désarroi et colère. 10 à 12 % de la population française entretient des liens avec l’Algérie. Les propos de la droite sont mauvais pour notre cohésion nationale. Tout cela vise non seulement à faire de l’Algérie un bouc émissaire. Mais vu le nombre de Français qui entretiennent un lien fort avec l’Algérie, taper sur l’Algérie, c’est se faire mal à nous-mêmes.

 

H : Jean-Michel Aphatie a quitté RTL après avoir été sanctionné pour avoir rappelé les crimes commis par la France lors de la colonisation de l’Algérie. Une partie de la droite a-t-elle du mal à regarder le passé national ?

 

IB : Il y a une volonté de réécrire l’histoire en expliquant que la colonisation aurait été source de richesse pour l’Algérie. C’est ce que dit Éric Zemmour et ce que disait Bruno Retailleau avant même d’être ministre de l’Intérieur. Il y a une volonté de gommer la réalité sur ce qu’ont été la colonisation et la guerre d’Algérie. En témoigne la sanction dont a été victime Jean-Michel Aphatie. En témoigne la déprogrammation d’un documentaire sur France 5 relatif à l’usage d’armes chimiques par la France pendant la guerre d’Algérie. Tout cela traduit une volonté d’effacer cette part sombre de l’histoire française.

 

H : La droite se saisit de faits divers impliquant des personnes sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Est-ce une manière de ne pas faire face à son propre bilan en matière de sécurité ?

 

IB : Que nous ayons des divergences avec l’Algérie, que nous devions discuter avec l’Algérie du retour d’un certain nombre de ressortissants algériens qui font l’objet d’OQTF et sont signalés comme dangereux, est légitime. Se pose la question de la libération par l’Algérie de l’écrivain Boualem Sansal. Mais il faut discuter d’État souverain à État souverain de manière respectueuse. Je constate que l’instrumentalisation des relations franco-algériennes ne mène à rien, et ils le savent : elle n’a pas permis d’expulsions supplémentaires.

 

Cette escalade sert à entretenir des haines. Pour l’avoir côtoyé au Sénat, le ministre de l’Intérieur défend une vision cohérente. Bruno Retailleau est animé par l’idée que le monde est traversé par une guerre de civilisation. Tout dossier dont il s’empare vise à alimenter cela. Il ne cherche pas à régler un problème, à trouver des solutions à un certain nombre de questions concrètes qui se posent comme obtenir la libération de Boualem Sansal ou un règlement des OQTF.

 

H : Derrière les accords de 1968, il y a aussi des facilités de visa, au demeurant fortement réduites ces dernières années. Est-ce que c’est une erreur de réduire la possibilité pour des personnes étrangères de venir travailler en France ?

 

IB : Contrairement à ce que le gouvernement assène matin, midi et soir, les accords de 1968 n’ont pas été signés pour faciliter l’entrée des Algériens sur le territoire français. Ils ont au contraire été conçus pour limiter l’immigration algérienne. Dans certains domaines, ils sont plus favorables aux Algériens. Dans d’autres non. Ils ne bénéficient pas des passeports talents, contrairement aux Marocains. C’est une erreur de remettre en cause ces accords, de s’en saisir pour régler des comptes avec l’Algérie. Ceux qui pâtiront de la rupture de ces accords sont des gens qui n’ont rien demandé à personne.

 

H : L’ordre du jour actuel du Sénat est phagocyté par la question de l’immigration…

 

IB : Il est lunaire. Nous débattons de la limitation des prestations sociales pour les étrangers en situation régulière et sur le prolongement de la durée de maintien en centre de rétention administrative. Cela arrive un peu plus d’un an après le vote d’une énième loi sur l’immigration. L’immigration fonctionne pour la droite comme d’une ardoise magique visant à effacer tous les autres débats, à faire en sorte que la question sociale disparaisse totalement des radars. Ils savent que sur le terrain social ils sont à la ramasse. L’Algérie est l’un des ingrédients de cette stratégie.

 

H : Comment soutenir les démocrates algériens ?

 

IB : D’abord en parlant d’eux, en évoquant leur sort. Ce n’est pas leur rendre service que d’utiliser leur cause à des fins xénophobes.

 

H : D’autres questions jouent-elles dans le durcissement des relations entre Paris et Alger ?

 

IB : Au départ de la multiplication des tensions, il y a le choix du président de la République de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental contre le droit international et les résolutions de l’ONU. Cette décision, suivie de la visite de la ministre de la Culture au Sahara occidental, a contribué à dégrader nos relations avec l’Algérie.

 

Gaël De Santis Interview publié dans l'Humanité

 

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