Trump et le dollar par Yves Dimicoli
Anticipant puis saluant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le dollar a redoublé de force en 2024. Or, les Etats-Unis, perclus de déficits et de dettes considérables, voient l’hégémonie de leur monnaie contestée (BRICS). Cette hausse ne saurait donc durer indéfiniment. Le retournement pourrait être brutal. Trump voudrait obliger le monde entier à « négocier » pour assumer le fardeau d’une dévaluation « concertée » du dollar, tout en le consolidant comme monnaie mondiale de fait[1].
L’indice DXY, qui mesure la valeur du dollar américain par rapport à un panier de six autres devises, a progressé de près de 7 % (6,98 %) entre le 2 janvier 2024 et le 9 janvier 2025, malgré trois baisses des taux d’intérêt de la Réserve fédérale (FED).
Il y a là de quoi s’interroger quand on sait qu’en décembre dernier, Jerome Powell, président du Conseil des gouverneurs de la FED, s’était déclaré « plus prudent concernant d’éventuelles futures baisses de taux », considérant que l’inflation restait « relativement élevée par rapport à notre objectif de long terme de 2 % ». Cela aurait dû freiner le hausse du dollar.
Il est vrai que le cadre macro-économique de Trump s’annonce inflationniste : baisses d’impôts et assouplissements budgétaires, tarifs douaniers, politique migratoire très restrictive… Cela semble déjà être anticipé par les marchés avec une tension perceptible sur les taux d’intérêt nominaux à long terme des Etats-Unis[2]. La FED envisage, désormais, une baisse de 50 points de base de ses taux en 2025, moitié moins qu’en septembre dernier.
Face au risque de retournement du dollar…
Mais la croissance économique des Etats-Unis reste nettement plus forte qu’ailleurs dans le monde occidental et le taux de chômage bien moindre.
Aussi, avec un taux directeur de la FED demeurant élevé[3], le rapport entre taux de croissance réel (défalcation faite de l’inflation) et taux d’intérêt réel n’a cessé d’y être plus favorable qu’ailleurs. L’attraction des capitaux, de Wall Street et des actifs en dollars redouble. De plus, la montée des tensions géopolitiques mondiales soutient le billet vert comme « valeur refuge ».
Cependant, le déficit commercial du pays est devenu colossal, s’élevant, en 2024, à 918,4 milliards de dollars, en hausse de plus de 17 % par rapport à 2023 (+133 milliards de dollars) [4]. Le déficit public se creuse démesurément malgré la croissance du PIB et le « plein emploi »[5]. Ces « déficits jumeaux » font s’enfler ensemble dette publique et dette extérieure financées par émissions de nouveaux dollars.
Il y a de quoi douter de la durabilité de ces tendances, surtout si les taux d’intérêt devaient être remontés avec l’inflation. D’où le risque d’un effondrement du dollar dont l’ampleur et la portée systémique pourraient être plus importantes que celui des années 1977-79[6] qui inquiéta tant Washington eu égard au « privilège exorbitant » que procure le dollar comme monnaie de réserve mondiale de fait.
En effet, son taux de change effectif réel (TCER), qui en mesure la valeur par rapport à un large panier de monnaies ajustée des différentiels d’inflation, a vivement augmenté depuis 2011.
Taux de change effectif réel (large) du dollar et cours euro/dollar

Source : Eco Week, 25/01/2025, economic-research.bnpparibas.com.
Il tend à se rapprocher du niveau qui amena les Etats-Unis à exiger de leurs partenaires du G-5[7] qu’ils signent, en septembre 1985, les accords dits « du Plaza »[8] pour une action concertée sur les marchés de taux et de changes visant à faire baisser le dollar contre le Yen et le Deutsche Mark. Cela eu l’effet escompté et fit reculer le déficit commercial. Estimant que le dollar avait assez baissé, Washington, pour le faire remonter, fit accepter par ses partenaires du G78 (sauf l’Italie qui refusa de signer) les accords dits du Louvre, en février 1987. Huit mois plus tard éclata le premier grand krach boursier depuis celui de 1929…
…forcer à un accord mondial pour consolider son statut
Donald Trump se dit déterminé à faire baisser le déficit commercial des Etats-Unis en usant de la menace protectionniste[9]. Dans une vidéo transmise au Forum de Davos le 23 janvier, il déclare : « Mon message à toutes les entreprises du monde est très simple : venez fabriquer vos produits en Amérique et nous vous offrirons des impôts parmi les plus bas de tous les pays du monde (…) Mais si vous ne fabriquez pas vos produits en Amérique, ce qui est votre prérogative, alors, très simplement, vous devez payer un tarif ».
Parmi les pays membres de l’OCDE, c’est le Canada et le Mexique qui ont été visés par une première salve de hausses tarifaires (25 %). Mais l’Europe est aussi en ligne de mire. Le 1er février, Donald Trump assène : « Est-ce que je vais imposer des droits de douane à l’Union européenne ? Vous voulez la vraie réponse ou la réponse diplomatique ? Absolument ! (…) nous avons un énorme déficit avec l’UE. Nous ferons donc quelque chose de très substantiel avec l’UE.»9.
Dans l’immédiat, le chantage protectionniste viserait à arracher, à chaque partenaire des Etats-Unis, des concessions unilatérales pour avancer vers un accord multilatéral de baisse du dollar sauvegardant la confiance des marchés. Celui que Trump a nommé au poste de président du Council of Economic advisers, conseil économique de la Maison Blanche, Stephen Miran, l’exprime crûment dans un récent article[10] :
« Il est plus facile d’imaginer qu’après une série de tarifs punitifs, des partenaires comme l’Europe et la Chine deviennent plus réceptifs à une sorte d’accord monétaire en échange d’une réduction des droits de douane ». Car, souligne-t-il, « le paradoxe d’être une monnaie de réserve est qu’elle conduit à des déficits jumeaux [public et commercial] permanents qui à leur tour conduisent au fil du temps à une accumulation insoutenable de dette publique et extérieure qui finit par saper la sécurité et le statut de monnaie de réserve d’une si grande économie ».
La contradiction serait donc devenue intenable entre, d’un côté, le besoin impérieux de faire baisser le taux de change du dollar pour booster les exportations et diminuer le déficit commercial et, de l’autre, la nécessité d’en consolider le statut de monnaie de réserve mondiale dominante.
Trump, qui plaide ardemment pour que le dollar baisse, a déclaré, le 30 novembre dernier, sur sa plateforme de media sociaux Truth Social que les BRICS doivent « promettre de ne pas créer une nouvelle monnaie commune ou de soutenir toute autre monnaie pour rivaliser avec le dollar américain », menaçant d’imposer des tarifs de 100 % à tout pays qui contesterait le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar[11].
Pour Stephen Miran, il est irrécusable car il faut comprendre « la question du statut de réserve comme étant étroitement liée à la sécurité nationale. L’Amérique fournit un bouclier de défense mondial aux démocraties libérales et, en échange, l’Amérique reçoit les avantages du statut de réserve [mais aussi] les fardeaux » [12]. Ces derniers seraient devenus trop lourds par rapport aux avantages procurés, affirme-t-il.
Faire payer les contribuables des pays étrangers
Il faudra donc imposer aux partenaires des Etats-Unis d’assumer « une part accrue du fardeau du financement de la sécurité mondiale, et les moyens de financement se feraient par le biais d’un dollar plus faible, d’une réaffectation de la demande globale vers les États-Unis et d’une réallocation du risque de taux d’intérêt des contribuables américains vers les contribuables étrangers »[13].
L’opération parait d’autant moins évidente qu’aujourd’hui, tant par le canal des taux d’intérêt que par celui des termes de l’échange, le billet vert est appelé à se réévaluer.
Par ailleurs, la hausse des droits de douane ferait augmenter les prix des produits importés outre-Atlantique, pénalisant l’emploi chez les importateurs, réduisant le pouvoir d’achat des consommateurs[14] et amenuisant les débouchés des fournisseurs des étrangers. De plus, la dette américaine détenue par les créanciers non-résidents serait dévalorisée avec ce qui serait de fait un défaut de paiement des Etats-Unis.
Stephen Miran examine alors quatre scénarios :
1 – Peser de façon telle sur la FED qu’elle finisse par accepter « volontairement » d’assouplir sa politique monétaire malgré les tensions inflationnistes. Mais Scott Bessent, le nouveau secrétaire au Trésor, a déclaré qu’il n’est pas question de toucher à « l’indépendance » de la FED.
2 – Recourir à l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA)[15] pour inciter les détenteurs officiels étrangers de bons du Trésor US à en diminuer les acquisitions en leur imposant des « frais d’utilisation […] par exemple en retenant une partie des paiements d’intérêt sur ces avoirs ».
3 – Faire acheter des devises étrangères par le Fonds de stabilisation des changes (ESF)[16] du Trésor des Etats-Unis.
4 – Ouvrir la voie à un large accord international sur les taux de changes associant négociations commerciales, réorientation des politiques monétaires et enjeux de défense-sécurité : la zone euro et la Chine, aux côtés des Etats-Unis, s’engageraient dans des ajustements politiques coordonnés afin d’affaiblir le dollar. En appui, la FED, la BCE et la BPC[17] ajusteraient les rapports croisés de taux d’intérêt, tandis que les institutions officielles non américaines impliquées vendraient des dollars afin d’élever le taux de change de leurs monnaies nationales et, pourquoi pas, achèteraient des obligations du Trésor US « centenaires » voire « perpétuelles », véritables obligations de guerre.
Pour Stephen Miran, c’est cette dernière option qu’il faut retenir, ce qui exige, dans l’immédiat, de crédibiliser les voies et moyens pour y parvenir : une stratégie de négociation fondée sur les rapports de force, Washington usant du « bâton des droits de douane » et de « la carotte du parapluie de défense », avec le risque, pour les plus réticents, d’en perdre le bénéfice.
Est-ce dans ce but que Donald Trump a décidé unilatéralement d’une hausse des tarifs visant le Canada et le Mexique, malgré l’existence d’un accord de libre-échange[18], avec l’objectif affiché de les faire s’engager à renforcer les contrôles aux frontières des flux migratoires et du trafic de drogue ? Ottawa et Mexico, après avoir protesté, se sont cependant engagés en ce sens, ce qui fit suspendre pour un mois les relèvements tarifaires décrétés par la Maison Blanche.
Son porte-parole n’a pas hésité à déclarer que « le Canada se met à genoux, comme le Mexique » ! Un peu excessif sans doute, mais Trump a pu ainsi démontrer aux yeux des occidentaux, dans un jeu de rôles grandeur nature, comment va fonctionner sa stratégie de négociation.
Car cette opération visait aussi à effaroucher les Européens, surtout l’Allemagne dont la croissance, déjà mise à mal par le ralentissement de l’économie chinoise, est très dépendante des exportations vers les USA. Mais la France est exposée aussi, « l’Oncle Sam » étant son quatrième débouché à l’international.
Europe : un levier pour plus d’austérité et fédéralisme
Prenant les devants, la présidente de la BCE, la Française Christine Lagarde, avait déclaré dès le 5 novembre 2024 qu’il faut « acheter américain », plaidant pour une « stratégie du carnet de chèques » avec Washington afin d’éviter « un processus de représailles où personne n’est vraiment gagnant »[19].
La présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen a déclaré, elle, le 21 janvier dernier : « notre première priorité sera de nous engager rapidement, de discuter des intérêts communs et d’être prêts à négocier, nous serons pragmatiques, mais nous nous en tiendrons toujours à nos principes »[20]. Elle les a rappelés, huit jours après, en présentant une « boussole de compétitivité » pour l’UE visant à transposer « les excellentes recommandations du rapport Draghi »[21] en feuille de route : au prétexte d’attirer plus de capitaux, il faudra plus d’austérité sociale et salariale, plus de dérèglementations écologiques et financières, plus de baisse du « coût du travail », moins de services publics, ce qui accentuera le chômage, les pénuries de qualifications, la précarité, la pauvreté et… les délocalisations vers les États-Unis.
D’un côté, donc, une capitulation de type pétainiste, de l’autre, une course effrénée dans la guerre commerciale qui, suscitant une riposte déchainée de Washington, ferait capituler aussi sûrement que « l’offensive à outrance » du généralissime Joffre, de fin juillet à fin août 1914, déboucha, en septembre, sur la « Grande Retraite » des armées françaises décimées par l’artillerie allemande.
Emmanuel Macron claironne que « l’Europe, comme une puissance qui se tient, devra se faire respecter et donc réagir »… Mais n’avait-il pas déclaré, naguère, que l’OTAN était en « mort cérébrale », déplorant le « manque de coordination » avec les États-Unis et plaidant pour une « autonomie stratégique » européenne ?
Washington y a vu une incitation à renforcer le leadership étatsunien, ce qui fut fait via l’OTAN à l’occasion de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ainsi qu’un appel à amplifier l’effort de défense des pays européens dont Trump exige qu’il soit porté à 5 % de leurs PIB.
La menace américaine sera agitée par l’hôte de l’Élysée comme levier pour une fuite en avant mortifère dans l’illusion fédéraliste.
Les uns et les autres l’utiliseront pour décourager les luttes sociales par la peur du chômage comme l’a démontré le président du MEDEF.
Relevant, le 4 février dans La Gazette du Midi, que « les dirigeants [des sociétés françaises] aussi investissent prioritairement outre-Atlantique », il souligne que « l’établissement de barrières douanières[..] aurait des effets très lourds » car « 20 % des salariés [en France] travaillent directement ou indirectement pour l’exportation ». Mais il se dit « raisonnablement optimiste s’agissant de l’Europe car, paradoxalement, l’élection de Donald Trump peut nous aider [à] aller dans le sens de la simplification » parce qu’il faut « que nous soyons compétitifs et rentables ».
Alors, quelle sera l’attitude de tous ces gens-là face au cyclone punitif promis par Trump si leur est proposé d’accepter, en contrepartie d’une levée des menaces, une opération concertée de réévaluation de l’euro par rapport au dollar avec un durcissement monétaire de la BCE ? Car, comme l’assure Stephen Miran[22], les sanctions américaines seront proportionnelles aux concessions que chaque État sera prêt à accepter. De quoi exacerber les divergences d’intérêts et la rivalité entre forces capitalistes de ce côté-ci de l’Atlantique. Elles augmenteront les pressions pour faire se résigner chaque peuple à plus d’austérité et de surexploitation, ce qui précipiterait l’Europe dans une profonde récession.
Chine et BRICS : une autre paire de manches
Donald Trump a aussi décrété une augmentation de 10 % des tarifs douaniers sur les importations provenant de Chine. Il sait, cependant, qu’obliger ce pays à entrer dans un accord international accentuant la dictature du dollar est une autre paire de manches.
D’ailleurs, Pékin a annoncé dès le 4 février des droits de douane de 15 % sur les importations de charbon et de GNL américains et une taxation de 10 % sur les importations de pétrole et d’autres catégories de produits (machines agricoles, véhicules sportifs de grosse cylindrée et camionnettes). Simultanément, une plainte a été déposée devant l’organe de règlement des différends de l’OMC, tandis que des enquêtes ont été ouvertes contre Google « soupçonné d’avoir violé la loi anti-monopole » chinoise, de même que contre le groupe de prêt-à-porter PVH Corp. et le géant biotechnologique Illumina.
Pékin rendra donc coup pour coup, et elle n’est pas seule. Avec les BRICS, la Chine est engagée dans une démarche de « dédollarisation »[23] et entend poursuivre l’internationalisation du yuan (Renminbi ou RMB) déjà bien engagée avec les BRICS et le « Sud global », pays vers lesquels la Chine tend à redéployer ses investissements et ses exportations. Pékin peut, aussi, faire planer la menace de laisser se déprécier le RMB face au dollar, d’autant plus que les capacités de production chinoises sont actuellement sous-utilisées.
Par ailleurs, l’augmentation des droits de douane par Washington pénaliserait les sociétés américaines implantées en Chine. Or, le stock des investissements directs des multinationales américaines y demeure gigantesque, malgré les efforts de « découplage » de Washington[24]. Aujourd’hui, elles sont amenées à se tourner plus vers l’exportation à partir de la Chine du fait d’une demande intérieure encore insuffisante et âprement concurrencée. D’où le dilemme auquel leurs dirigeants risquent d’être confrontés, à l’image d’Elon Musk dont la société Tesla a fait de très gros investissements là-bas et qui, tout libertarien qu’il est, court après le soutien de l’État chinois.
De plus, la Chine dispose d’un pouvoir sur le dollar. En effet, la part de la dette étatsunienne totale détenue par des investisseurs chinois est estimée à 770 milliards de dollars, soit 2,2 % (2,8 % Hong-Kong inclus) et les réserves de change détenues en dollars par la BRPC sont encore estimées à 3200 milliards[25]. De quoi rappeler que les autorités chinoises disposent, en dernier recours, d’une « bombe atomique » monétaire si Trump cherche à les acculer.
Pékin ne veut pas d’un affrontement à outrance avec Washington et ne cherche plus à menacer le dollar d’un krach planétaire par le déversement massif possible de ces réserves et actifs en dollar sur les marchés. En l’état, cela entraînerait des conséquences catastrophiques pour le monde entier.
Il s’agirait plutôt d’essayer d’amener Washington et ses « alliés » à ouvrir un round de négociations pour faire reculer progressivement le rôle mondial du billet vert. Cela avait conduit, naguère, le gouverneur de la BPC à se prononcer pour un sensible accroissement des attributions du DTS.
Par ailleurs, la Chine est désormais une très grande puissance militaire, rivale des Etats-Unis et de l’OTAN. Elle est alliée à d’autres puissances militaires importantes, dont la Russie. Ses dirigeants ne seront nullement intimidés par la menace de Trump de refermer le parapluie de défense étatsunien que les dirigeants européens l’exhortent à maintenir ouvert.
Pour une nouvelle alliance face à Trump
Enfin, 2025 n’est pas 1985 et les dirigeants chinois gardent sans doute en mémoire combien l’accord du Plaza, cette année-là, a éreinté le Japon, alors principal fournisseur des Etats-Unis en y provoquant une inflation boursière et immobilière accélérée, une réévaluation meurtrière du Yen (Endaka) qui dura dix ans, puis une plongée en déflation durable. Pas questions pour Pékin de se laisser embarquer dans ce genre d’opération.
De plus, entre 1971, année de promotion brutale du dollar comme monnaie mondiale de fait, et 1985, les pays capitalistes étaient encore dans les premières phases de la crise systémique et n’étaient pas confrontés à la stagnation. Or, depuis, celle-ci a connu des phases d’aggravation pseudo-décennales inouïes avec l’augmentation ininterrompue de la suraccumulation des capitaux, y compris en Chine, qui étouffe la croissance mondiale.
Mais les États-Unis, à la différence de l’Europe, gardent la tête hors de l’eau grâce aux pouvoirs de prédation sur le monde que leur confère l’hégémonie du dollar.
La Chine et les BRICS cherchent une voie pacifique d’émancipation du néo-impérialisme américain bien qu’étant pris dans un cycle effrayant de menaces et de surenchères militaires.
L’Europe devrait s’essayer à pactiser avec eux face au dominateur commun et à l’avidité des actionnaires de contrôle des multinationales, au lieu de les diaboliser, ce qui ne signifie en aucun cas se ranger derrière leurs règles, leurs valeurs, leurs pratiques institutionnelles. N’est-ce pas ce qui fut finalement fait lors de la deuxième guerre mondiale, face aux « forces de l’Axe », avec l’URSS si diabolisée, en France notamment par la bourgeoisie pétainiste et les fascistes ?
En utilisant l’euro et les pouvoirs de création monétaire de la BCE pour sortir de l’austérité et protéger la planète, au lieu de chercher à rivaliser dans l’attraction des capitaux, il s’agirait d’œuvrer à l’avancée vers des conférences mondiales pour la paix, pour la défense et la promotion de tout le système du vivant, contre la domination des marchés financiers et du dollar.
L’un des cœurs de cible serait la visée d’une monnaie commune mondiale de coopération, à partir des DTS, avec un FMI et une Banque mondiale radicalement transformés, capable de faire reculer toujours plus l’hégémonie du dollar[26] et la dictature des marchés financiers, comme l’a proposé Paul Boccara dés le début des années 1980.
[1] On pourra se reporter aux cinq articles suivants :
- Boccara F . ; « Pour une autre globalisation : comprendre la domination du dollar et avancer vers une monnaie commune mondiale alternative, Economie & Politique, 834-835 (janvier-février 2024) ;
- Durand D. : « Conjoncture mondiale : des turbulences dans l’empire du dollar », ibid.. ;
- Dimicoli Y. : « Dédollariser pour se codévelopper », ibid. ;
- Dimicoli Y. : « L’euro dans le vortex du dollar », Economie & Politique, 828-829 (juillet-août 2023 » .
[2] Depuis la mi-septembre 2024, où il avait atteint un creux de 3,6 %, le rendement des bons du Trésor US à 10 ans ont augmenté de 100 points de base (pb), s’établissant à 4,6 % le 24/01/2025, et le rendement à 2 ans a augmenté d’environ 60 pb.
[3] De 0,25 % entre le 15/03/2020 et le 28/02/2022, il est passé à 5,5 % entre le 26/07/2023 et le 18/09/2024, puis à 4,5 % depuis le 18/01/2025.
[4] La Chine est à l’origine du principal déficit des échanges de biens (295,4milliards de dollar), viennent ensuite l’Union européenne, le Mexique, le Vietnam et l’Irlande. Cependant, les échanges de services sont fortement excédentaires, ce qui est tu par Trump. La dette extérieure des Etats-Unis se monte à 26 500 milliards de dollars.
[5] On s’attend à ce qu’il approche 1 800 milliards de dollars, record historique si l’on excepte les années de pandémie 2020-2021, portant la dette publique à quelque 125 % du PIB.
[6] Les dirigeants américains furent alors contraints d’accepter, sur le papier, d’accroître le rôle d’instrument de réserve des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI dont ils craignent les potentiels de rivalité avec le dollar. Ils ripostèrent ensuite en portant le taux d’intérêt de la FED de11 % fin 1979 à 20 % en juin1981, amplifiant brutalement l’aspiration des capitaux flottants par les Etats-Unis. De quoi consolider, pour un temps, l’hégémonie du dollar. Les nouvelles tensions apparues à partir de la crise financière de 2007-2008 et avec la pandémie Covid-19 amenèrent Washington, malgré ses réticences, à accepter deux allocations générales de DTS., l’une en 2009 (161,2 milliards), l’autre en 2021 (456,5 milliards).
[7] Allemagne de l’Ouest, France, Japon, Royaume-Uni.
7 Accords signés au Plaza Hotel à New York le 22/09/1985 pour stopper la spéculation à la hausse du dollar, réduire le déficit de la balance courante américaine qui avait atteint 3,5 % du PIB, diminuer les excédents commerciaux de l’Allemagne et, surtout, du Japon, accentuer la baisse du taux de chômage américain qui avait atteint un niveau record en 1982.
8USA, RFA, France, Italie, Canada, Royaume-Uni et Japon.
9 .Le Monde, 1/02/2025.
[9] On se reportera particulièrement à l’interview accordée au mensuel économique américain Bloomberg Businessweek publié le 16/07/2024 (www.bloomberg.com).
[10] Miran S. : “A user’s guide to restructuring the global trading system”, 11/2024 (www.hudsonbayc apital.com).
[11] Il veut vivement encourager la production, outre-Atlantique, d’hydrocarbures de schistes en appelant à forer sans cesse ( « drill, baby, drill ! »), dénonçant l’accord de Paris sur le climat.
[12] Op. cit. ibid. .
[13] Ibid.
[14] Cela a fait dire à Donald Trump que les Américains pourraient en « souffrir » mais que « nous rendrons l’Amérique grande à nouveau, et tout cela vaudra le prix qui doit être payé » ( Le Monde du 4/02/2025).
[15] Cette loi fédérale, promulguée par Jimmy Carter en 1977, autorise le président à réglementer les transactions internationales après avoir déclaré une urgence nationale en réponse à toute menace inhabituelle et extraordinaire pour les États-Unis qui a sa source en tout ou en partie à l’étranger et concerne « la sécurité nationale, la politique étrangère ou l’économie des États-Unis ».
[16] L’ESF peut être utilisé pour acheter ou vendre des devises étrangères, pour détenir des devises et des droits de tirage spéciaux (DTS) américains et pour fournir des financements à des gouvernements étrangers. Toutes les opérations du FSE nécessitent l’autorisation explicite du secrétaire au Trésor.
[17] Banque de populaire de Chine.
[18] L’ALENA devenu l’ACEUM.
[19] Interview au Financial Times du 05/11/2024.
[20] fr.euronews.com.
[21] Voir sur ce rapport l’article de Boccara F. « Brève analyse du rapport Draghi », Economie & Politique, 08/11/2024 (www.economie-et-politique.org).
[22] Op. cit. ibid.
[23] On peut se reporter aux dix documents de travail présentés dans Dimicoli Y. : « Où va la Chine ? », Economie & Politique, 06/01/2025 ( www.economie-et-politique.org ).
[24] Ibid., cf. documents de travail n° 7 « Vers une nouvelle configuration des IDE croisés ? » et n° 8 « Entre « découplage » étatsunien et « rivalité systémique» européenne ».
[25] Wieviorka S. : « Chine – La détention de bons du Trésor américains, une arme stratégique ? », 03/07/2024 ( etudes-economiques.credit-agricole.com ).
[26] Comme cela fut le cas pour la livre britannique à partir de la conférence de Bretton Woods en 1944.
Article publié dans Economie et Politique Numéro : 846-847