Un point de vue sur les affrontements entre Allaouites et la Turquie en Syrie
Depuis le 7 mars, une violence sans précédent s’est abattue sur les provinces de l’ouest du pays, où se concentre l’essentiel de la communauté alaouite. Les victimes se compteraient par milliers. Cette insurrection sur le littoral syrien marque un tournant majeur dans les dynamiques géopolitiques du Levant, cristallisant l'opposition croissante entre la Turquie et l'Iran. Othman El Kachtoul (Diplomate-Agrégé d'arabe) nous livre son opinion.
"Bien que la Turquie et l’Iran aient longtemps maintenu un cadre diplomatique oscillant entre concurrence et coopération, leur relation demeure sous-tendue par des antagonismes profonds. Héritière du conflit pluriséculaire entre Ottomans et Safavides, cette rivalité s’est exacerbée au fil des décennies, notamment après la chute de Saddam Hussein en 2003, qui a ouvert à Téhéran de nouvelles perspectives d’influence en Irak puis en Syrie dès le déclenchement du soulèvement de 2011.
L’Iran, en consolidant sa présence via le Hezbollah libanais et en soutenant les Houthis au Yémen, a tissé un réseau stratégique visant à encercler ses rivaux. Ankara, en revanche, a vu dans cette expansion un péril direct, perçu comme une remise en cause de son propre projet régional. La chute du régime Assad représente dès lors une défaite majeure pour l’Iran, qui se voit coupé d’un corridor essentiel vers la Méditerranée.
Quelques jours après des déclarations du ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, dénonçant l’interventionnisme iranien, des violences éclatent sur le littoral syrien, notamment à Tartous et Lattaquié (où la photo infra a été prise ce 8 mars). Selon les nouvelles "autorités" syriennes, ces attaques seraient orchestrées par des groupes liés à l’ancien régime et appuyés par l’Iran.
L’objectif ? Saborder le contrôle turc émergent et restaurer une présence militaire iranienne. Anticipant le danger, Ankara a rapidement renforcé son dispositif, procédant à des frappes ciblées contre les Kurdes des "Forces démocratiques syriennes" et des "Unités de Protection du Peuple".
L’affrontement en Syrie s’inscrit en réalité dans un échiquier plus vaste, où la Turquie et l’Iran s’opposent également au Caucase, avec la victoire turco-azérie contre l'Arménie, alliée de Téhéran, lors du conflit du Haut-Karabagh. L’expansion du corridor de Zanguezour, reliant Ankara à l'Asie centrale, marginalise l’Iran en lui ôtant une précieuse interface commerciale.
Sur le plan international, alors qu'Ankara, impliquée dans les négociations russo-ukrainiennes, diversifie ses alliances, l’Iran subit un isolement croissant. Entre la pression des sanctions, la montée des tensions avec Washington et les menaces d’intervention militaire occidentale, sa marge de manœuvre s’amenuise.
L'insurrection littorale syrienne ne constitue donc pas une simple flambée de violence locale, mais un jalon dans la rivalité entre Ankara et Téhéran. En l’état actuel, la Turquie paraît dominer le jeu, mais l’histoire du Levant enseigne que les affaires restent d’une fluidité extrême.
La prochaine phase du conflit dépendra de la capacité de l’Iran à réinventer son influence et de celle de la Turquie à pérenniser son avancée, sans s’enliser dans un nouveau bourbier syrien."
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