Wall Street : les marchés ont gravement dévissés lundi....
La chute spectaculaire de Wall Street lundi, avec une baisse de 900 points du Dow Jones, a effacé en un jour 4 000 milliards de dollars de capitalisation boursière et tous les gains réalisés depuis novembre par des investisseurs jusqu’alors enthousiastes devant la nouvelle ère pro-business promue par Trump.
Ce tremblement de terre, le pire depuis 2022, ne s’explique pas par la conjoncture, au moment où les indicateurs économiques sont encore rassurants avec un taux de chômage réduit à 4 % et 150 000 embauches au mois de janvier, et une croissance de 2,3 % au dernier trimestre 2024. Il sanctionne avant tout le gouvernement américain. Les coups de boutoir inflationnistes des droits de douane, l’incertitude pour les exportations face à la guerre commerciale promise par les représailles mondiales, la campagne de licenciements frénétiques de fonctionnaires, de coupes budgétaires et les conséquences de l’éviction massive des travailleurs sans papiers des secteurs de l’agriculture et du bâtiment. L'action Tesla en baisse de 45 % par rapport à son cours d’avant-élection, reflète enfin les ventes catastrophiques et le désamour envers Elon Musk.
Wall Street répond pour la première fois à une menace plus déroutante : celle d’un Président si obnubilé par son projet d’âge d’or américain, de moins d’Etat et de toute-puissance autarcique, qui pourrait s'accompagner d'une récession inquiétante.
Depuis plus de dix jours, les marchés réagissaient aux ordres et aux contrordres de Trump sur les droits de douane, des taxes douanières de 25% sur les produits mexicains et canadiens assortis deux fois de sursis ou d’exemptions de dernière minute. Alors que les barrières douanières tous azimuts sur l’acier et l’aluminium entrent en vigueur ce mercredi, le Canada réplique déjà par ses propres mesures. La province d’Ontario augmente de 25% le prix de l’électricité qu’elle fournit à trois Etats frontaliers américains.
Trump, lui, taxe les importations de bois, matériau de construction essentiel aux Etats-Unis provenant à 90% du Canada. La guerre contre la drogue et l’immigration laisse place à un conflit commercial ouvert, au moment où la Chine se dit prête «à toute guerre, commerciale ou autre», en réponse au lancement d’une politique de «réciprocité des taxes d’importation» qui touchera toutes les économies de la planète.
Ce chaos a pu être interprété comme une démonstration de force mais qui doit être aussi tempéré par les réalités économiques pour les Etats-Unis. Ainsi, sur Fox News, le président américain, interrogé sur les risques d’une récession due à l’effondrement des échanges, a semblé admettre sereinement cette possibilité : «Je n’aime pas faire ce genre de prévision ; nous faisons de grandes choses, et il y aura forcément une période de transition.»
Trump entend imposer sa révolution économique, même au prix de la douleur de sa population. Depuis octobre, Elon Musk, qui saccage la fonction publique, préparait les foules Maga à «quelques difficultés temporaires». Scott Bessent, secrétaire au Trésor, a reconnu sur un plateau de télévision que «l’économie dont nous avons hérité pourrait connaître des secousses. Les marchés et l’économie», dit-il, «sont devenus “accros” aux dépenses publiques et nous passerons par une période de désintoxication».
Trump a lui-même prédit, «quelques dérangements» pour les agriculteurs en raison de représailles douanières internationales, mais alors qu’il prépare une réunion à la Maison Blanche avec des banquiers et décideurs économiques, il semble moins enclin à les consulter qu’à les convaincre de sa judicieuse stratégie.
Trump, lors de son premier mandat, suivait les courbes de Wall Street comme un indice de son succès personnel. Son projet idéologique exige maintenant qu’il s’en démarque. «Un ralentissement économique, une récession à court terme serait à ses yeux le remède nécessaire, interprète Ross Mayfield, stratège de la banque d’investissement Baird. C’est la douleur temporaire, l’huile de foie de morue après laquelle le pays se trouverait plus fort, bientôt enrichi par les nouvelles industries venues de l’étranger en réponse aux droits de douane, doté de revenus croissants et en meilleure position face au monde. C’est un projet destiné à la classe moyenne et non à satisfaire d’emblée les marchés financiers.»
Wall Street semble, cette fois, l’avoir bien compris.
Source : Libération - Les Echos