Les diversions politiciennes de Matignon et de l’Élysée
En suggérant trois sujets à soumettre à un possible référendum depuis sa nomination à Matignon, François Bayrou manœuvre dans le flou pour tromper les Français. Un possible référendum est souvent évoqué par le chef de l’État, lequel doit intervenir longuement au 20 heures de TF1 mardi. Mais, pour Bayrou comme pour Macron, il n’est pas question de consulter les Français sur la réduction des privilèges accordés des super-riches depuis 2017 en France.
Quand le 1er ministre Bayrou fait une annonce, elle suscite momentanément quelques commentaires dans la presse écrite et les médias audiovisuels, avant d’être oubliée dès le lendemain. Ce fut encore le cas avec l’annonce d’un possible référendum visant à faire approuver par le peuple « un plan complet de retour à l’équilibre » des comptes publics. Dans le Journal du Dimanche du 4 mai, il déclarait que « le seul service de la dette pourrait atteindre 100 milliards d’euros ». Afin de mettre la pression sur les formations politiques, il ajoutait que « tous les partis de gouvernement ont une responsabilité dans la situation de ces dernières décennies » ainsi que « tous les partis d’opposition » qui « demandaient sans cesse des dépenses supplémentaires ».
Cet appel du 1er ministre visant à faire accepter un recul de leur pouvoir d’achat par les salariés et les retraités était lancé au moment où, selon la Fondation Jean Jaurès, les 10 % de Français les plus riches détiennent 54 % de la richesse du pays tandis que les 50 % les plus pauvres détiennent moins de 5 %.
Les 10 % les plus riches possèdent près de 80 % des actifs financiers et professionnels. Chez les riches, 350 milliards d’euros sont transmis chaque année sous forme d’héritage. Sur cette somme, seulement 20 milliards d’euros reviennent à l’État sous forme de droits de succession. Car il existe de multiples exonérations, en plus de la suppression de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) décidée par le président Macron dès sa première élection en 2017.
La collecte limitée imposée au Livret A et au LDDS
Le 24 avril dernier on apprenait que le Livret A – présenté comme le système d’épargne préféré d’une majorité de Français – n’avait collecté que 400 millions d’euros au mois de mars 2025, soit une baisse de -74 % sur mars 2024. Cette baisse était imputable à celle du taux de rémunération, passé à 2,4 % en février contre 3 % précédemment. Ce que Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, expliquait par ces mots : « la diminution du taux de rémunération conduit les ménages à réorienter leur épargne vers d’autres placements, notamment l’assurance vie, qui connaît un excellent début d’année ».
En France, chacun de nous peut posséder un Livret A et un Livret de Développement Durable et Solidaire (LDDS). Le dépôt sur le Livret A est limité à 22 950 € et celui du LDDS à 12 000 €. Pour les ménages aux revenus modestes, mais pouvant tout de même épargner, ces deux livrets ont quelque chose de sécurisant dans la mesure où des retraits sont toujours possibles en cas de difficultés financières, lesquelles peuvent être liées à une perte d’emploi ou à d’autres raisons. Mais bien des ménages choisiraient d’épargner davantage sur le Livret A et sur le LDDS si les plafonds cités plus haut étaient plus élevés. C’est notamment le cas d’un bon nombre de ménages de retraités qui épargnent pour des raisons de sécurité, sans chercher à spéculer.
Les sommes déposées sur le livret A contribuent à la construction des logements sociaux. Mais depuis des années, ces constructions sont loin d’être suffisantes pour répondre à la demande de logements locatifs, du fait des politiques gouvernementales, mais aussi municipales dans bien des cas. Augmenter le plafond des dépôts sur chaque livret A augmenterait les capitaux disponibles pour favoriser la construction de logements sociaux.
En taxant les gros héritages, le gouvernement pourrait aussi utiliser une partie des sommes perçues à ce titre pour mieux rémunérer le Livret A et le LDDS à 1 ou 2 points au-dessus de l’inflation.
À la fin de l’année 2024, la dette de l’État français s’élevait à 3 305 milliards d’euros, soit 113 % du Produit Intérieur Brut (PIB). Celle du Japon atteignait, en yens, l’équivalent de 8 140 milliards d’euros, soit 66 000 € par habitant, contre environ 47 000 € pour la France. Mais la dette du Japon est surtout détenue par la banque centrale du pays alimentée par les économies des ménages japonais, ce qui protège ce pays contre la spéculation au niveau planétaire. Bien que le Japon fasse aussi partie des pays capitalistes, il y a peut-être des leçons à en tirer en France concernant la manière dont est gérée la dette de l’État. Dans un livre paru en novembre 20231, le sénateur communiste Éric Bocquet le suggérait en ces termes :
« Ce qui fait la force du Japon, c’est que cette dette est détenue à plus de 90 % par les Japonais eux-mêmes (…) Le Japon, par cette spécificité, ne doit aucun argent à une quelconque organisation mondiale. Il est même l’un des plus importants contributeurs du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Plus de la moitié de la dette publique française est détenue par les investisseurs étrangers, au Japon c’est un peu plus de 6 % ! ».
Rénover les logements et réduire leur bilan carbone
Le sigle LDDS voulant dire Livret de Développement Durable et Solidaire, on se dit qui limiter à 12 000 € la somme que chaque titulaire de ce livret est autorisé à épargner ne contribue guère à répondre à l’indispensable freinage du réchauffement climatique en cours. Freiner ce réchauffement implique de réaliser des travaux dans différents secteurs économiques pour réduire les émissions de CO2. Doubler ou tripler la somme pouvant être déposée sur le LDDS ferait croître le capital disponible pour rénover les immeubles et les maisons individuelles afin de réduire la facture énergétique et les émissions de CO2 en même temps.
La lutte pour freiner le réchauffement climatique en cours n’est toujours pas un enjeu prioritaire en France alors que la COP21 de Paris tenue en 2015 affichait un objectif de + 1,5 °C à ne pas dépasser si possible d’ici 2100 par rapport aux températures moyennes du début du XIXe siècle. Dix ans plus tard, ce chiffre est déjà atteint sur le continent européen. Tandis qu’Arcelor Mittal veut fermer plusieurs usines en France, Gaëtan Lecocq, secrétaire général du syndicat CGT de l’usine de Dunkerque, écrivait dans l’éditorial du 7 mai dans l’Humanité :
« Aucune industrie ne peut se passer d’acier en France. La transition énergétique et environnementale demande d’en produire davantage, pour fabriquer les rails dont on a besoin pour relancer le transport ferroviaire, par exemple. Comme l’électricité, l’acier doit être considéré comme un bien commun ».
C’est aussi pour occulter de telles priorités que le président de la République et son Premier ministre cherchent à imposer des référendums de diversion sur des sujets de peu d’intérêt pour l’avenir du pays.
- « La dette à perpète ? » d’Éric Bocquet, éditions Le temps des cerises ↩︎
Tribune de Par Gérard Le Puill, journaliste publiée dans l'Humanité