Syrie : les reniements de Macron...

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Syrie : les reniements de Macron...

 

Alors qu'on a déroulé ici le tapis rouge à Abū Muḥammad al-Ǧūlānī, chef djihadiste rebrandé en "président de transition syrien", une question s’impose : que reste-t-il des principes lorsque la diplomatie se fait amnésique ? Entre promesses de reconstruction et sermons de rupture, cette évolution entérine une réalité bien sombre.

 

La réhabilitation d’Abū Muḥammad al-Ǧūlānī illustre moins un basculement historique qu’un aveu de renoncement. Derrière les éléments de langage et les sourires de façade, se cache une dissonance insoutenable : celle d’un chef djihadiste reçu en grande pompe alors même que la mémoire syrienne reste marquée au fer rouge par les violences qu’il a contribué à nourrir.

 

Ancien cadre de la nébuleuse d’al-Qaïda en Irak, Aḥmad al-Šarʿ fut un disciple d’Abū Muṣʿab al-Zarqāwi, fondateur de ce qui allait devenir l’État islamique. Il fut emprisonné au camp américain de Buca, près de Bassora, entre 2005 et 2009. Il y rencontra le futur "calife" Abū Bakr al-Baġdādī, qui le nommera plus tard à la tête des opérations dans la wilaya de Ninive, puis Emir de la branche syrienne de Daech.

 

C’est donc dans cette filiation que Ǧūlānī a bâti sa "légitimité", structurant des réseaux de combat et de terreur entre la Syrie et l’Irak, avec un discours nourri d’orthodoxie violente et de rejet absolu des institutions démocratiques. Que ce même homme soit aujourd’hui promu partenaire crédible dans une supposée transition n’a rien d’une simple contradiction : c’est un reniement.

 

Cette volte-face, qui aurait pu être habile sur le plan des équilibres géostratégiques il y a quelques années, intervient avec un retard qui confine à la désertion morale. 

 

Il est trop tard pour feindre la lucidité après quatorze années de guerre, trop tard pour parler d’"opportunité politique" quand des millions de Syriens n’ont connu que la fuite, la faim ou les fosses. Trop tard pour prétendre à la neutralité, quand on a, tour à tour, encensé et ignoré les figures de l’oppression ou de l’extrémisme, selon les circonstances.

 

En recevant al-Ǧūlānī, on enterre symboliquement une autre Syrie, celle des jeunes insurgés de 2011, des civils pacifiques, des figures intellectuelles et laïques torturées ou assassinées. On confirme aux survivants que la mémoire de leur souffrance est une variable d’ajustement, et que les promesses alléchantes de contrats de reconstruction (dont les entreprises turques ne laisseront que des miettes) peuvent se discuter avec ceux-là mêmes qui en ont sapé les fondations, au nom d'une idéologie mortifère.

 

L’ouverture à Damas, si elle repose sur la figure d'al-Ǧūlānī, n’est pas seulement discutable : elle est problématique. Elle délégitime toute prétention à une transition inclusive, toute ambition de refondation nationale, toute sincérité dans l’engagement pour la justice ou la paix. Car on ne prétend pas contribuer à construire l’avenir d’un pays en réhabilitant ceux qui ont contribué à le dévaster — fût-ce au nom de la realpolitik.

 

Othman El Kachtoul - Diplomate - Agrégé d'arabe - Islamologue

Texte publié sur sa page Linkedin

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article