Aux Etats-Unis, une première mobilisation nationale d’ampleur contre la dérive autocratique
A Los Angeles, New York ou Atlanta, des milliers de manifestations étaient organisées ce samedi 14 juin pour protester contre «la militarisation de la démocratie» par Donald Trump. Des défilés massifs et essentiellement pacifiques.
11 millions de personnes ont participé aux mobilisations contre Trump lors de cette journée "No Kings Day" (Pas de roi) ! Et quasi personne à la parade militaire pour fêter les 79 ans de Trump ! C'est la plus grande manifestation de l'histoire aux USA contre un président. La participation la plus importante a été dans les Etats Républicains. Il y avait plus de manifestants dans la seule ville de Minneapolis où les gens risquaient d'être tués par le meurtrier des Députés démocrates, que dans la parade nationale de Trump
«Los Angeles montre l‘exemple !» Michael Acevedo en est à son troisième aller-retour cette semaine depuis Central Valley, en Californie. Drapeau du Nicaragua sur le dos, il a participé aux manifestations quotidiennes contre les récents raids de l’ICE, la police migratoire, et le déploiement de l'armée dans la deuxième ville du pays sous prétexte d’une «insurrection» largement fantasmée par Trump. Le voici de retour pour contester la politique de Trump à l’occasion du «No Kings day», face à une mer de drapeaux et de pancartes qui inonde l’avenue Broadway. «Je ne pense pas qu’il y aurait eu autant de monde si on ne s’était pas mobilisés sans relâche depuis une semaine» !
Il faut dire que la contestation a fait tache d’huile : plus de 11 millions de personnes ont participé aux Etats-Unis à l’une des quelques 2 000 manifestations contre la parade militaire de Washington. Pour critiquer et combattre la dérive autocratique de Trump qui a convoqué l’événement à l’occasion de son 79e anniversaire. Face à l’Hôtel de ville de Los Angeles, d’où est partie la manifestation californienne, un immense ballon représente un Donald Trump geignard, en couche avec téléphone. «Avec ce type à la Maison Blanche, les Etats-Unis sont entre la dictature et l’idiocratie, philosophe un manifestant. Ce serait risible si ça ne brisait pas concrètement des milliers de vies.»
Menace pour la démocratie
La brutalité des agents fédéraux et leur impunité, ainsi que la rhétorique martiale du Président et de ses conseillers, lui fait penser à la dérive autocratique du pays d’origine de ses parents, le Nicaragua. Face à un bâtiment officiel, quelques marines immobiles se font apostropher. Des manifestants tentent le dialogue. Les soldats répondent gentiment qu’ils ne peuvent pas s’exprimer. «Ils n’ont pas choix, ils doivent obéir aux ordres, traduit un afro-américain élancé qui a porté le même uniforme. Mais cet ordre n’aurait jamais dû être donné : nous, les militaires, défendons le peuple, on ne devrait pas lui faire face.»
«Les nazis aussi ne faisaient « qu’obéir aux ordres», tranche, plus dure, une pancarte. Parmi les plus de 20 000 personnes qui manifestent à Los Angeles, on rivalise de slogans pour témoigner de cette profonde menace que Trump fait peser sur la démocratie. Cela va jusqu'à «Anne Frank a déjà écrit ce qui est en train de se passer». Beaucoup de «FUCK ICE» côtoient des messages d’amour à tout ce que l’immigration apporte à cette ville dont un tiers de la population est d’origine étrangère. Une jeune femme, drapeau mexicain sur le dos, brandit une pancarte explicite : «Trump a un mug shot [la photo prise lors de son inculpation en 2023, ndlr], pas mon père.»
La peur s'installe réellement...
A New York, une jeune Américaine de 17 ans de père immigré du Honduras, manifeste pour la première fois, au nom des migrants «attaqués et traités comme des criminels», et pour la démocratie. Ils sont plus de 50 000, entre Bryant Park et Madison Square. Luanne Rozran, une artiste d’Astoria déguisée en statue de la Liberté, a planté sur le trottoir de la 5e avenue un de ses tableaux, un pastiche de la scène finale de La Planète des singes, montrant ladite statue enlisée dans le sable et les ruines de New York : «Il envoie maintenant l’armée contre ses citoyens, il menace les élections fédérales. Je commence réellement à avoir peur de ce que ce pays est devenu.»
Comme en Californie, l’ambiance est familiale, enthousiaste, créative. Le cortège expose nombre d’effigies de Marie-Antoinette, de rois couronnés, de rappel du sort de Louis XVI en France résumés en un slogan : «Ils veulent l’Allemagne de 1939, nous voulons la France de 1789.» Un couple de retraités de passage à New York pour voir leur fille, n’ont pas hésité à participer à la manifestation : «Nous vivons dans le Massachusetts, dans un village dans une région plutôt conservatrice de l’Etat et cela nous fait du bien de voir les New-yorkais, qui connaissent bien la réalité de Trump, son CV de businessman raté, lui en mettre plein la figure.»
Un ancien banquier, démocrate modéré, explique «J’ai manifesté contre la guerre au Vietnam, contre Reagan, et aujourd’hui c’est plus important que jamais d’imposer des limites à Trump, assure-t-il. Ce pays est en train de tourner à la guerre civile : plus personne ne se parle d’un bord à l’autre, le niveau d’éducation, le clivage des électeurs, coincés dans des bulles politiques sur les réseaux sociaux, fait courir un danger grave à ce pays. C’est désespérant.»
Agir et se rassembler...
Une autre retraitée partage le sentiment de «honte». Mais devant le capitole de Géorgie, à Atlanta, les plus de 6 000 personnes qui manifestent à ses côtés lui donnent de «l’énergie et de l’espoir». «Aujourd’hui, je suis fière d’être Américaine, nous devons nous lever pour défendre nos droits. J’ai presque 70 ans et je n’ai jamais ressenti une telle menace.» Il fait une chaleur à crever, on joue des coudes pour passer. Certains dégoulinent de sueur, des tentes abritent les heureux élus assis à l’ombre pour écouter des responsables associatifs prendre la parole.
Un manifestant ingénieur a pris part à «très peu» de manifestations jusqu’ici. Ce petit-fils d’un vétéran a «tout le respect du monde et l’admiration pour l’armée», mais il ne supporte pas que la parade de Washington coïncide avec «l’anniversaire d’un individu sans valeur, afin qu’il puisse se mesurer aux dictateurs». Il critique les «attaques contre l’Etat de droit, la Constitution, et les principes qui font l’Amérique». Il était impensable de rester spectateurs!
En marge du rassemblement, une poignée du groupe d’extrême droite Proud boys est huée. Mais à Chamblee, les manifestants ont rapidement été dispersés par les forces de l’ordre. La région dispose d’une importante population issue de l’immigration récente, elle aussi visée par les agents de l’ICE. Une manifestante retire le bandana qui l’a protégé des gaz lacrymogènes : «Ça rappelle la Gestapo en Allemagne. Ils arrêtent et expulsent des gens qui vivent leur vie normalement.»
Les mêmes détonations finissent par éclater à Los Angeles. La police tente d’évacuer les environs de la mairie. «Manifestations pacifiques !», hurlent les protestataires. Les blindés de la garde nationale entrent dans la danse, accompagnés de cavaliers. Ils évacuent les rues. On signale quelques interpellations, à travers le pays. Des tirs dans la manifestation de Salt Lake City font un blessé grave.
Un manifestant, debout sur son vélo, s’agace : «Les médias ne vont retenir que ça, et c’est encore Trump qui va gagner.» Mais ce «No Kings Day» restera pourtant comme de loin la plus importante manifestation à ce jour contre Trump lors de son second mandat. Mais il en faudra plus pour faire plier l’apprenti tyran.
Sources : reportage publié dans Libération