Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie... par Annie Ernaux
Annie Ernaux est écrivain. Elle vit à Cergy, en région parisienne. Son oeuvre oscille entre l'autobiographie et la sociologie, l'intime et le collectif. Dans cette lettre adressée à Emmanuel Macron, elle interroge la rhétorique martiale du Président.
Cergy, le 30 mars 2020
Monsieur le Président,
Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là.
Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un nouveau monde.
Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine.
Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité.
Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et « rien ne vaut la vie » - chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.
Annie Ernaux
Vous pouvez aussi l'écouter en cliquant sur le lien : https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-30-mars-2020