Contre la bipolarisation qui vient par Marion Messina sur Le Comptoir

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Y aurait-il en France d’un côté des Blancs « privilégiés » et de l’autre des « racisés » (parfois blancs) victimes de discriminations inscrites dans la séquence génétique des institutions ? La dénonciation des violences policières dans les communes et quartiers populaires à fort taux de population d’origine immigrée prête le flanc à une bipolarisation simpliste et malsaine qui évite la question cruciale de la pauvreté, d’où la facilité avec laquelle l’oligarchie médiatique s’en empare.

Le combat contre le racisme est-il dangereux au cœur d’un système qui commercialise des tee-shirts « Black lives matter » et publie des Unes d’actrices vivant de la rente du Centre National du Cinéma ? S’il est difficile de nier les difficultés rencontrées par certaines personnes pauvres d’origine extra-européenne, parler de racisme systémique comme si les institutions du pays avaient été conçues pour brimer des pans entiers de la population (alors présents dans l’Hexagone en proportion quasi anecdotique) est un tour de passe-passe rhétorique qui ne peut qu’amener à séparer les masses populaires en deux camps. Deux camps dans lesquels les individus se retrouveraient assignés par leur seule couleur de peau.

Cela fait en tout cas le bonheur de la société de consommation qui raffole des assignations revendiquées à coups de gadgets ou de fétiches à code-barres. Air BnB, Deezer, Spotify, KFC et de grands groupes commerciaux ont marqué très vite leur solidarité envers le mouvement « Black Lives Matter » aux États-Unis, de quoi douter du caractère subversif de la contestation.

En France, Assa Traoré dérange au point d’être invitée sur tous les plateaux pour donner sa version des faits quand à la mort de son frère Adama, décédé en juillet 2016 lors d’une interpellation.

Qu’il existe des violences policières, assurément. Qu’un corps de métier qui a pour mission de défendre les institutions et l’ordre républicain plutôt que le peuple et les biens communs attire des profils bornés et soumis à l’autorité et aux consignes bêtes et méchantes ne fait pas l’ombre d’un doute. Tout comme il semble logique d’affirmer que les métiers de la psychiatrie puissent attirer des pervers et les métiers de l’éducation des pédophiles. La police est-elle structurellement raciste ? À-t-elle été créée dans le but de mater des « racisés » ?

Les affaires récentes autour de Cédric Chouviat, Steve Maia Caniço et des Gilets jaunes amènent à penser que la police est surtout l’outil de contrôle des masses de tous les épidermes. À Bagnolet et dans de nombreuses communes de Seine-Saint-Denis, le pouvoir politique réclame cette même police que l’on n’entend présenter que comme une milice fasciste obsédée par la mélanine. Sans compter que dans ce même département on trouve un nombre conséquent de policiers « racisés ».

La nouvelle vision du monde directement importée des États-Unis (à tel point qu’on la vit en VO ou via Google Translate dans du français hasardeux) postule qu’en France règne un « privilège blanc », une notion assez tordue puisque le pays est historiquement blanc et que la présence massive de « racisés » est un phénomène très récent.

On pourrait évoquer le « privilège blanc » des sociétés multiethniques comme le Brésil, les États-Unis fondés sur la ségrégation raciale, certains États africains ou l’Inde, mais dans la vieille Europe, l’idée laisse pantois, sans pourtant rien nier des difficultés rencontrées au quotidien par les personnes « racisées ».

Par ailleurs, les difficultés rencontrées par ces mêmes personnes ont lieu dans la sphère privée : logement refusé malgré les revenus suffisants par un particulier ou une agence immobilière, refus d’un poste malgré la qualification requise, injures…

« Le premier handicap est bien celui de la pauvreté. »

Parler de « privilège blanc » ou de « racisme systémique » c’est sous-entendre que les Blancs seraient prioritaires ou favorisés dans les institutions de la nation. C’est assez difficile à comprendre puisque, contrairement au monde anglo-saxon, les formulaires administratifs ne font nullement mention de l’ethnicité. Avez-vous déjà demandé un logement social en précisant quelle était la couleur de votre peau ? Vous a-t-on demandé de décliner la teinte exacte de votre épiderme le jour de votre inscription à l’université ? Le CROUS accorde-t-il les bourses sur critères ethniques ? Demandez à un gosse du fin fond de l’Orne qui a dû financer sa licence en bossant au Mac Do s’il a joui d’un privilège quelconque quand un « racisé » de Seine-Saint-Denis n’avait qu’à prendre le métro avec un tarif ultra réduit pour aller à la Sorbonne.

Cette posture morale est tout juste bonne à précipiter les « petits Blancs » dans les bras du Rassemblement national.

Rappeler qu’il est plus difficile de se loger quand on est pauvre est capital ; un gosse de la bourgeoisie sénégalaise aura bien moins de difficultés à louer un studio en plein centre-ville qu’un gamin monté de province et aux parents non imposables.

Là où le bât blesse c’est quand on est pauvre ET non blanc, mais le premier handicap est bien celui de la pauvreté. Un blanc pauvre serait-il moins handicapé qu’un Noir ou un Maghrébin pauvre ? C’est probable, ça ne fait pas du blanc un « privilégié ». Perdre vos jambes ne fait pas de celui qui a conservé les siennes un privilégié.

Si le racisme dont sont victimes les « racisés » existe, nier celui qui frappe les Blancs dans les quartiers où ces derniers sont minoritaires revient à endosser la responsabilité de préparer de la chair à canon pour les mères Thénardier de la question identitaire.

Là où un « racisé » se sent opprimé par des regards, des sous-entendus, des brimades, il est défendu pour un Blanc de décrire son malaise dans un collège de ZEP. Quiconque a été scolarisé dans les établissements des quartiers pauvres à forte proportion de populations immigrées ou issues de l’immigration connaît la sempiternelle question du « c’est quoi tes origines », les insultes à base de « sale blanc », les moqueries sur la fragilité des « babtous » et des « gouers », le racket, ou les morceaux de rap violents et absolument tolérés sur les ondes de ce pays que l’on veut sans cesse comparer aux États-Unis ou à l’Afrique du Sud de l’Apartheid.

Nier la douleur des Blancs victimes de racisme, c’est les envoyer au RN ; nier la douleur des « racisés » c’est les envoyer vers un parti qui qualifie les Blancs de sous-chiens.

Il n’y a personne à précipiter dans les bras des extrêmes, il y a un vrai dialogue national à entamer, et s’il part sur le postulat que les Blancs sont privilégiés comme s’ils devaient s’excuser de leur couleur de peau, s’il fait l’impasse sur les conditions économiques et sociales de chacun, s’il entend essentialiser des groupes ethniques, il sera absolument inutile.

Publié le 24 juin sur le Comptoir

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