Réponse au texte « L’ambition communiste pour un Front de gauche populaire et citoyen »

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

Réponse au texte « L’ambition communiste pour un Front de gauche populaire et citoyen »

Je voudrais ici répondre au texte présenté au congrès du PCF (2016), « L’ambition communiste pour un Front de gauche populaire et citoyen », sur un point précis concernant les enjeux énergétiques, enjeu crucial pour l’avenir de l’humanité.

On lit ainsi dans ce texte le passage suivant : « Nous faisons de la sortie des énergies polluantes, dangereuses et génératrices de déchets, et notamment du nucléaire dès lors que la recherche n’aura pas trouvé les moyens de maîtriser réellement ses risques considérables, un objectif dont les modalités et le terme doivent être appréciés démocratiquement. » Cette affirmation, bien qu’en apparence frappée par le « bon sens », est inopérante dans le monde réel.

En effet ce texte expédie en quelques lignes la difficile équation énergétique, équation qui doit tenir compte des besoins mondiaux, de l’épuisement des ressources, et du grave problème du réchauffement climatique et des pollutions en générales. Pourtant, face à de tels enjeux, il faudrait avoir le courage d’aller jusqu’au bout, ne pas se contenter de jouer sur les peurs, et en s’efforçant de regarder toutes les facettes du problème.

Il est en effet contradictoire d’affirmer qu’il faut sortir du nucléaire en avançant l’argument de la dangerosité, alors que le GIEC reconnaît clairement que cette énergie sera un des leviers incontournables pour contrer le réchauffement climatique et en même temps répondre à une demande mondiale considérable pour 20501 .

Rappelons qu’un réchauffement global de +5°C prévu pour la fin de ce siècle si rien n’est fait, c’est une planète qui ne pourra nourrir que 2 ou 3 milliards d’êtres humains, pas plus, suivant les projections du GIEC. Difficile de balayer cela d’un revers de main. Difficile aussi d’ invoquer l’autorité du GIEC dans un texte de congrès, pour alerter sur la menace climatique, et un peu plus loin, ignorer superbement ses préconisations lorsqu’elles vont à l’encontre des idées reçues sur le nucléaire civil par exemple.

Précisons un peu mieux les données du problème concernant la dangerosité du nucléaire mais aussi des autres activités industrielles en général.

L’accident nucléaire

Dans le domaine de l’énergie, le risque d’un accident nucléaire est l’argument le plus fort pour l’arrêt du nucléaire civil. C’est peut-être l’objection la plus sérieuse et la plus fondée à l’utilisation de cette énergie, cela est vrai. Et c’est un point qui revient systématiquement dans les débats, ce qui traduit une vraie préoccupation chez les citoyens. Le risque qu’un accident majeur se produise en France existe bel et bien, même si sa probabilité est extrêmement faible. Là comme ailleurs, le risque zéro n’existe pas. Est-ce que, pour autant, cet événement très rare qu’est l’accident majeur, avec des conséquences importantes, doit nous conduire à sortir du nucléaire en France ?

Un tel raisonnement, bien que séduisant et somme toute assez confortable – en plus d’être compatible, il est vrai, avec le soutien d’ une candidature aux présidentielles comme celle de J-L Mélenchon – nous conduit à une impasse, et nous amènera à répondre par la négative à cette question.

Tout d’abord, si, parce qu’il y a risque d’un accident, même très faible, il faut sortir du nucléaire, alors il va falloir faire la liste de tous les domaines où il y a des risques comparables, et en sortir aussi si on veut être cohérent et ne pas motiver une telle décision juste pour « surfer » sur une peur. La liste est longue et cela risquerait d’allonger considérablement le texte en question.

Est-ce la raison pour laquelle il ne s’y aventure pas ? Faisons-le pour lui.

Sortir de l’hydraulique ?

Prenons l’exemple de Grenoble. Cette agglomération est entourée de barrages qui, s’ils venaient à se rompre, produiraient une vague de boue et de débris de la hauteur d’un bâtiment de quatre étages et qui déferlerait sur la ville à près de 200 km/h (scénario catastrophe décrit dans le PPRI2 [Plan de prévention des risques d’inondation]). On disposerait de quelques minutes pour prévenir les 400 000 habitants de l’agglomération. Et cette vague emporterait tout, y compris des usines du secteur de la chimie, avec des produits hautement toxiques qui seraient disséminés. Le bilan serait catastrophique : des dizaines de milliers de victimes et des vallées polluées à jamais. Bien sûr, on pourra objecter que, pour qu’un barrage se rompe, il faut qu’il y ait de gros défauts de conception et de construction. D’autre part, ce type de rupture donne des signes et prévient, le plus souvent, et donc on aura toujours le temps d’évacuer, et même de réparer le défaut ou de vider le barrage. Mais, comme pour le nucléaire, toutes ces objections ne réduisent pas le risque à zéro. Cela reste malgré tout possible.

Alors, faut-il sortir de l’hydraulique ? Sortir de la chimie ?

Des sites industriels à risque, classés Seveso, sont présents par centaines sur tout notre territoire. Ils touchent essentiellement le secteur de la chimie, crucial dans tous les aspects de nos vies. Sur le Rhône, il en existe qui peuvent déverser des poisons mortels et polluer le fleuve de façon irréversible pour des milliers d’années. Ce sont des scénarios catastrophes qui existent, qui sont très officiels et pris au sérieux par les préfectures. Dans le cas d’une explosion avec déversement de produits hautement toxiques, il y aura des victimes, mais aussi un environnement pollué pour des générations. Et insistons sur ceci : malgré toutes les précautions prises, le risque est réduit mais pas nul.

Faut-il pour autant renoncer au secteur de la chimie ? Arrêter les recherches en biochimie, sur les virus, les bactéries ? Mettre au point de nouveaux vaccins, comprendre le fonctionnement des virus, faire reculer les maladies, n’est pas sans risque, car la dissémination des germes sur lesquels on travaille pourrait provoquer des catastrophes sanitaires à l’échelle planétaire – cela a inspiré de nombreux films « catastrophes » d’ailleurs. Pour réduire au minimum ces risques, les laboratoires dans lesquels ces recherches s’effectuent sont extrêmement surveillés, avec des protections et des mesures draconiennes. Il y a ainsi de multiples barrières de protection à franchir avant que les virus ne puissent sortir. C’est rassurant, mais, encore une fois, le risque n’est pas nul : il y a toujours une possibilité qu’un supervirus sorte et décime les populations. Ces laboratoires sont dits« P4 »3, il en existe deux en France et une bonne vingtaine dans le monde.

Faut-il, au nom du risque d’une possible épidémie mondiale, abandonner pour autant ces recherches, et donc mettre un frein à tout progrès dans le domaine de la médecine ?

Sortir du pétrole, du gaz et du charbon ?

On peut en dire autant de la possible explosion d’un navire transportant du GNL (gaz naturel liquéfié) : une boule de feu de 1 km de diamètre pourrait se former lors d’une telle explosion en plein port (scénario très officiel qui sert de référence aux préfectures). On pourrait aussi parler du risque de marée noire, toujours réel : des millions de tonnes de pétrole avec, plus grave, les métaux lourds contenus dans ce pétrole polluant de façon irréversible des écosystèmes entiers.

Nous avons vu également la pollution silencieuse du charbon, qui n’est pas un risque mais une réalité quotidienne. Et ces trois énergies émettent beaucoup de CO2. On pourrait donc aussi parler du risque climatique qui est une catastrophe globale qui pourrait être classée XXL pour ses conséquences en comparaison avec les risques industriels (des centaines de millions de victimes dans un proche avenir ?).

Au nom de tous ces risques, faut-il plutôt prioritairement sortir du pétrole, du gaz, du charbon ?

À partir de ces exemples, on comprend que si on généralise le raisonnement que font les auteurs de ce texte de congrès, avec le nucléaire, il faudrait alors « sortir de tout », hydraulique, chimie, biologie, gaz, pétrole, charbon, ce qui pose tout de même un gros problème.

Ainsi pour être cohérent, il faudrait allonger considérablement le texte en question, « L’ambition communiste pour un Front de gauche populaire et citoyen » et prévoir le même paragraphe pour chacun de ses secteurs. Il suffirait de remplacer le mot « nucléaire » dans le paragraphe en question, par « hydraulique », « chimie », « biologie » et bien d’autres secteurs… Sortir du nucléaire pour entrer dans le charbon et le gaz…

Par ailleurs, il ne faut jamais oublier que sortir de certains risques (par exemple le risque du nucléaire) c’est entrer dans d’autres risques majeurs, qui ne sont d’ailleurs plus vraiment de simples risques, mais des dangers avérés avec des conséquences certaines (les pollutions quotidiennes, le réchauffement climatique, la pénurie d’énergie…). En effet, aujourd’hui, et l’Allemagne le démontre à grande échelle, sortir du nucléaire implique forcément d’entrer dans le charbon et le gaz. Avec le cas allemand, la fable du nucléaire remplacé par de l’éolien et du photovoltaïque, le tout accompagné d’une diminution de la consommation, ne fait plus illusion : ce que les professionnels clament depuis des années finit par s’imposer comme une évidence.

On se débarrasse du risque nucléaire pour mieux embrasser les conséquences du charbon et du gaz : les 5°C de réchauffement climatique d’ici 2100, les famines généralisées touchant des milliards d’êtres humains, sans compter l’ empoisonnement par les métaux lourds de la biosphère ainsi que l’acidification des océans .

Tous ces éléments doivent être débattus démocratiquement. Car, après tout, si les citoyens en ont conscience et qu’ils décident malgré tout de « préférer » les risques et pollutions quotidiennes liés aux énergies fossiles, et toutes leurs conséquences à l’échelle planétaire, plutôt que le risque nucléaire, c’est la démocratie qui s’exprime, et ce sera alors une décision légitime.

Par contre, ce qui est illégitime, c’est de mettre en avant uniquement les risques du nucléaire, de faire peur en taisant les problèmes que posent les autres alternatives.

Amar Bellal Auteur de « Environnement et énergie, comprendre pour débattre et agir » aux éditions du « Temps des Cerises »

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L
"Alors, faut-il sortir de l'hydraulique, de la chimie", jusqu'à présent, l'auteur nous avait habitué à des raisonnements plus scientifiques. En se laissant emporter par la polémique, il perd à mon sens beaucoup d'efficacité et aboutit à l'inverse du résultat recherché. Pour faire bonne mesure, peut-être pourrait-il ajouter que le risque de se faire renverser pourrait conduire à ne plus sortir de chez soi ! Mais, précisément avec l'énergie nucléaire, les risques et les conséquences encourues sont sans communes mesures avec ceux avec lesquels il voudrait qu'on les compare. Les Russes après Tchernobyl et les Japonais après Fukushima en savent quelque chose. Dans le premier cas, le nuage s'était arrêté à nos frontières selon les dirigeants du secteur de l'époque. Dans le second, les dirigeants japonais ont décidé de poursuivre l'exploitation de centrales dans un pays soumis aux tremblements de terre et aux tsunamis. Leurs arguments sont peu ou prou les mêmes que ceux d'Amar Bellal. Bref, les dégâts humains, matériels, écologiques d'une catastrophe nucléaire n'ont rien à voir avec ceux des chutes d'eau, ni par leur ampleur, ni par leur durée dans le temps. Cette durée, sur des milliers d'années, est aussi celles des déchets et l'on comprend qu'il y ait peu de volontaires pour les accueillir dans leur sous-sol. Ajoutons que l'énergie nucléaire est une énergie fossile dont la source, l'uranium, n'est pas éternelle. Au passage, elle a été vendue aux populations dans un touchant consensus gauche-droite, au nom de l'indépendance nationale alors que la matière de base vient de l'étranger où elle est exploitée dans des conditions très contestables. Ce consensus perdure. Il explique le caractère opaque qui entoure ce domaine et l'incapacité de le soumettre à un débat public approfondi, certes difficile mais indispensable dont les conclusions ne soient pas déterminées à l'avance par les pro et les antinucléaires. Il explique le retard pris par la France dans le secteur des énergies renouvelables comme les dérives qui ont affecté la gestion d'Areva. Deux éléments nouveaux mériteraient à mon sens d'en faire partie : le coût réel des différentes sources d'énergie et les menaces nouvelles que représentent les attentats.
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