STMicroelectronics est victime de la gestion rentière de l’Etat

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

STMicroelectronics est victime de la gestion rentière de l’Etat

C’était l'un des leaders mondiaux des semi-conducteurs. Depuis dix ans, le groupe franco-italien ne cesse de reculer. Les investissements ont chuté de 75 %, quand les dividendes ont été multipliés par dix. Les salariés demandent d’en finir avec cette gestion financière. L’État actionnaire fait la sourde oreille. C’est une question d’habitude, désormais. Quel que soit le secteur, quelle que soit l’entreprise, l’État actionnaire ne semble plus nourrir aucune ambition, aucune vision de long terme pour les entreprises où il a investi. Sa seule règle paraît se résumer à empocher des dividendes.

STMicroelectronics, jadis leader dans le monde des semi-conducteurs, n’y échappe pas. Alors que l’entreprise industrielle, contrôlée à hauteur de 27,6 % par les États français et italien, s’apprête à tenir son assemblée générale à Amsterdam, le 25 mai, l’ensemble des élus du comité européen a écrit aux responsables des deux États pour leur demander un changement de stratégie.

« Nous vous appelons une nouvelle fois à peser de tout votre poids d’actionnaires pour réorienter la politique industrielle de STMicroelectronics vers des investissements à moyen et à long termes, visant davantage au développement industriel, plutôt qu’à la simple comptabilité financière », écrivent-ils au nom des 40 000 salariés du groupe, dont 20 000 en France et en Italie.

Les élus rappellent les actionnaires à leurs responsabilités : « De 1998 à 2004, STMicroelectronics a fait un bénéfice de 3,95 milliards de dollars (environ 3 milliards d’euros) et a distribué 312 millions de dollars en dividendes, tandis qu’entre 2005 et 2014, le groupe a perdu 3,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires et a distribué 2,6 milliards de dividendes. »

Tout est dit. Depuis plusieurs mois, les appels et les mouvements de débrayage se succèdent en France et en Italie, mais aussi au Maroc, en Malaisie, en Chine. Tous demandent une même chose : que le groupe retrouve un horizon industriel.

« Les États actionnaires doivent renoncer à leurs dividendes. Ces 300 à 400 millions d’euros nous sont nécessaires. Nous avons besoin de ressources financières pour investir dans les technologies du futur », explique Marc Leroux, délégué CGT. « Il faut en finir avec les pertes de marché, de clients, de compétence », renchérit Éric Potard, délégué CFDT.

« STMicroelectronics doit renouer avec une stratégie industrielle. »

Les deux syndicats comme leurs trois homologues italiens demandent le remplacement du PDG, Carlo Bozotti, à la tête du groupe depuis dix ans, « parce qu’il ne peut pas incarner le futur ». En quelques chiffres, les représentants syndicaux résument son bilan. Il y a quinze ans, STMicroelectronics figurait à la cinquième place des fabricants mondiaux de semi-conducteurs. Il n’est plus aujourd’hui qu’à la douzième place. En dix ans, le chiffre d’affaires du groupe (6,2 milliards d’euros en 2015) a diminué de 25 %, quand celui d’un de ses principaux concurrents NXP (ex-Philips) a doublé. Ses investissements ont diminué de 75 %, son cours de Bourse a été divisé par trois et le titre est sorti du CAC 40. « Mais le salaire de Carlo Bozotti a augmenté de 360 % sur la même période. Avec un salaire de 2,24 millions d’euros par an, il figure parmi les patrons les mieux payés du CAC 40 », grince Éric Potard.

L’histoire de STMicroelectronics est un résumé du déclin industriel européen, fait de financiarisation excessive, de vision à court terme, de renoncement, de la fin d’une ambition. Né en 1987 du rapprochement entre la société italienne SGS et les activités de semi-conducteurs de Thomson, le groupe avait alors pour objectif de bâtir un leader européen, voire mondial dans les semi-conducteurs. Le secteur était alors jugé déterminant par les responsables européens.

Puis, au fil des ans, la volonté s’est étiolée. Au nom de la gestion et d’une rentabilité immédiate, le groupe a changé d’approche. Les grands projets industriels ont été jugés trop dispendieux et ont été abandonnés, les investissements ont été réduits, la chasse aux coûts est devenue impérative. Le fossé n’a cessé de se creuser avec les concurrents.

En 2013, le groupe a décidé d’arrêter toutes ses activités dans la téléphonie, un des secteurs jugés pourtant essentiels dans le monde des semi-conducteurs. Pas assez de débouchés, pas suffisamment rentable, avait alors jugé la direction. En 2015, nouvel abandon. Le groupe annonce qu’il va arrêter aussi l’activité de microprocesseurs pour les décodeurs de télévision. Cet arrêt, qui a commencé à être mis en œuvre en janvier, ne signifie pas seulement la suppression de 1 400 postes dans le monde, mais aussi l’abandon d'une part de la recherche et développement, de procédés industriels, de mises au point de logiciels dans les technologies avancées. « Nous sortons de toutes les technologies et les produits avancés pour aller vers des produits moins complexes, plus rentables immédiatement », dit Éric Potard.

STMicroelectronics a beau mettre en avant sa présence dans des secteurs très en pointe, très à la mode comme l’automobile connectée ou l’Internet des objets, dans les faits, il ne fournit que quelques parties du système. Mais il n’est pas présent dans les circuits complexes, l’architecture des systèmes qui permettent de gérer des ensembles. « Nous avons perdu la maîtrise de la complexité », dit Marc Leroux.

De même, alors que la France est dotée d’un laboratoire de recherche parmi les plus avancés au monde dans les micro- et nanotechnologies, le Leti – dépendant du CEA –, ce n’est pas STMicroelectronics qui développe ses recherches et ses licences, mais ce sont Samsung et NXP.

Les mêmes reculs s’enregistrent au niveau industriel. Faute de moyens, faute d’investissements suffisants, les outils industriels, décisifs dans ce secteur, vieillissent, les usines se disqualifient. Dans ce monde de la microélectronique, la référence pour la fabrication de circuits intégrés est devenue la tranche de silicium de 300 mm (au lieu de 200 mm auparavant et en attendant le 450 mm vers 2020). Tous les grands fabricants mondiaux possèdent des usines de production de circuits intégrés travaillant avec ces tranches de silicium de 300 mm. Tous, sauf STMicroelectronics.

Un programme intitulé Nano 2017 a bien été lancé pour moderniser l’usine de Crolles (Isère). L’État a accordé 200 millions d’euros de subventions. Mais une partie de la production seulement a été ouverte. La direction du groupe a décidé d’arrêter les investissements qui auraient permis de doubler les capacités, estimant que l’usine n’avait pas suffisamment de débouchés ni de clients. De reculs en abandons, les salariés ont l’impression de voir leur groupe se réduire comme peau de chagrin. Ils redoutent le moment où le groupe atteindra le seuil critique dans sa lutte avec la concurrence. « Nous sommes en train de perdre pied face à la concurrence », dit Marc Leroux.

Après l’annonce de l’arrêt des activités décodeurs, des représentants de l’intersyndicale réunissant la CGT, la CFDT, la CGC et Unsa ont alerté le ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pour lui parler de la situation du groupe et lui demander d’intervenir en vue d’obtenir une réorientation de la stratégie. « Nous avons eu trois ou quatre rencontres avec les membres de cabinet de Macron. Ils nous ont dit qu’ils comprenaient, que l’on avait raison de demander un changement de stratégie. Ils ont parlé de se mettre en relation avec l’État italien – l’autre actionnaire important – pour dégager une position commune », raconte Éric Potard. De leur côté, les syndicats italiens ont rencontré des responsables de leur gouvernement. Ce dernier, qui semblait vouloir liquider rapidement sa participation dans le groupe, paraît avoir changé d’avis. Il s’est dit d’accord lui aussi pour soutenir un changement de stratégie et le remplacement du président.

La France et l’Italie ont-elles été incapables de se mettre d’accord ? D’autres priorités ont-elles englouti le dossier ? En tout cas, rien n’a bougé. « L’Europe est en train de se faire éjecter du monde de la microélectronique et du numérique, sans s’en émouvoir. Ce qui se passe chez nous est à l’image de ce qui se passe sur tous les dossiers européens. Il n’y a plus d’élan, plus d’ambition. Aujourd’hui, on serait incapable de faire Airbus. On s’entendrait peut-être juste pour faire une usine d’ULM », constate avec amertume Marc Leroux.

Ces dernières semaines, le cabinet du ministre de l’économie est aux abonnés absents. Il n’a rien dit quand la direction a mis en œuvre l’arrêt de l’activité décodeurs. Sa grande satisfaction, semble-t-il, est d’avoir obtenu que la suppression des 430 emplois appelés à disparaître en France se fasse sous la forme de départs volontaires et non de licenciements. Pour le reste ?

L’État français a indiqué qu’il acceptait une réduction de 40 % de ses dividendes cette année. Mais lors de l’assemblée générale des actionnaires du 25 mai, il devrait comme tous les ans donner quitus à la direction pour la conduite de l’entreprise et voter pour la reconduction de son PDG. Sans souci du lendemain.

Sur les estrades, tous les responsables politiques, à commencer par le ministre de l’économie, vont pouvoir continuer à dire combien l’industrie leur tient à cœur, combien la révolution numérique est un tournant essentiel qu’il ne faut pas rater ... bla,bla,bla,bla,bla

Publié dans Luttes sociales

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