Réflexion de Guillaume Sayon sur le mouvement "Nuit debout"

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

Réflexion de Guillaume Sayon sur le mouvement "Nuit debout"

Il ne sera pas question ici de porter un regard sévère sur ce mouvement exceptionnel, du moins sur l’aspect innovant, qu’est celui de Nuit debout. Je ne ferai pas preuve de férocité. En tout cas je ne pourrais pas produire une violence aussi incarnée que celle de Eric Verhaeghe dans les pages du Figaro qui concluait sa tribune intitulée « Nuit debout le crépuscule des bobos » de la sorte : De là le caractère extraordinairement hétérogène du mouvement. Fait par les Blancs pour les Blancs, fait par les bourgeois pour les bourgeois, fait par les bobos pour les bobos, il ne devrait pas tarder à mourir de sa belle mort, à moins qu’une mutation du virus ne conduisent à une radicalisation et une popularisation inattendue.

Je vous l’accorde il est question en toute logique d’un vrai discours de classe. Pour autant, comme c’est habituel pour ceux qui sont des lecteurs réguliers du Figaro, de belles vérités nues se révèlent, des vérités nues sur les logiques profondes de l’organisation de notre monde, de sa société, de son économie … Bref ne faisons pas durer le suspens, sur le capitalisme.

Même si le Figaro est par nature un organe de propagande de ce dernier, qu’il cible un lectorat appartenant aux dominants, il se permet de livrer des analyses très honnêtes. Terribles, scandaleuses pour nous autres. Mais elles sont les logiques qui conduisent les choix du capital et de ses sous-traitants politiques. Alors c’est toujours avec un intérêt particulier que nous devrions pouvoir lire ce média.

Pour en revenir à mon propos sur Nuit debout et à cet article évoqué à l’instant, il y a un aspect souligné qui me paraît fondamental. L’éditorialiste le formule ainsi : Une autre caractéristique de la Nuit Debout tient à son aversion pour le salarié. C’est l’Autre: on le plaint, on se bat pour lui, mais on ne le côtoie pas. Je nuancerais évidemment mais néanmoins, sur la base des premières analyses que l’on peut faire du mouvement, on ne peut que constater l’absence des ouvriers, l’absence de l’immense masse des prolétaires.

Qu’on se le dise, tous partagent la même colère et le même désir vivace de changement. Non pas par volonté de conquête reposant sur une solide conscience de classe. Non, simplement parce qu’il arrive un moment, lorsqu’on ne peut plus mettre tous les jours quelque chose dans l’assiette, où l’instinct de survie devient instinct de révolte. C’est ainsi qu’une brèche peut naître et que si les ingrédients sont au rendez-vous, il peut s’engager un virage décisif. Décisivement historique. Celui de l’autre voie. Celui qui viendrait violemment démontrer l’imposture de la croyance presque religieuse qu’il n’y a qu’un seul modèle possible et viable, celui qui a fini par triompher (pour le moment !) du socialisme.

Mais ce mouvement ne s’inscrit pas dans cette logique. Parce qu’il développe un fétichisme absolu sur sa non-identité,sur sa fierté de n’être affilié à aucun parti, à aucun système de pensée, il dit ne rien revendiquer. Curieuse posture il faut ici l’admettre. Alors qu’il est maintenant empiriquement démontré, après que Marx l’aura remarquablement théorisé au XIXe siècle, que ce système (le système capitaliste) porte en lui le phénomène même de l’inégalité,

Nuit debout ne semble pas l’inclure dans son processus d’édification. A dire vrai, il est difficile de mesurer ce vers quoi cherche à tendre le mouvement. Même si une mobilisation de cette ampleur doit être saluée, qu’elle va d’une manière ou d’une autre jouer un rôle pour la suite des événements, il est je crois fondamental de garder un regard critique sur le phénomène. Parce que des choses importantes sont en train de se jouer sans même que nous puissions encore véritablement le mesurer.

Parce que les attaques du capital deviennent extrêmement violentes et que, par conséquent, nous avons l’impératif devoir de monter de solides barricades. Car des millions de destins sont très directement concernés. C’est là l’extrême faiblesse de Nuit debout. C’est la frontière décisive entre l’agitation et la lutte.

Dans son article, notre journaliste du Figaro explique que le mouvement a finalement relégué au second plan la lutte contre la loi El-Khomri. Je vous fais là une version beaucoup plus soft, débarrassée des postillons acides du réactionnaire traditionnel. Pour autant, on ne peut pas vraiment lui donner tort. Dans la lutte, il faut pouvoir être méthodique. La révolution est une science, une science pratique, mais une science tout de même. Il n’y aura pas de mouvement de fond sans victoire sociale. Il est donc indispensable que la lutte organisée contre la loi travail puisse se solder par une victoire. Cette victoire va déterminer toute la suite du scénario. Sans elle, rien, absolument rien ne sera possible.

C’est malheureusement l’étape ou plutôt la conviction de cette étape et de son caractère prioritaire qui manque cruellement à Nuit debout. Oui on y fait de l’éducation populaire, oui on s’exerce très concrètement à la pratique de l’agora antique, sorte de démocratie pure et parfaite. Mais Athènes ne comptait que 40 000 citoyens libres. Tous les autres étaient victimes de ce système car ils en subissaient les choix sans pouvoir même les discuter. Nous faisons face au même travers avec Nuit debout. Athènes n’était qu’une illusion de la démocratie et Nuit debout n’est qu’une illusion de la lutte. J’ai la certitude qu’il ne pourra y avoir massification et intensification de la lutte que si elle se fixe l’objectif d’éradiquer la loi travail. La faille est celle-ci.

Le trait d’union qui permettra la convergence des luttes se situe au travers de cette bataille.

Alors effectivement, sans parler de mutation du virus cela va de soi, il faudra que tous ces citoyens debout sur ces places se convainquent de l’intérêt d’abandonner l’utopie pour quelque chose de plus concret, de plus construit, de plus méthodique. Le problème de l’utopie est qu’elle ne vous mène dans les faits pas très loin. Encore une fois il y a urgence à changer les choses.

Cela n’est pas un caprice d’intellectuels ou de militants ou même des deux. C’est le besoin de pouvoir se tenir à la corde qui nous empêche de chuter sur les pentes friables du cratère. C’est ce travail de clarification que Marx et Engels, puis Lénine plus tard, ont tenté de faire. Il y a la nécessité de l’organisation. Elle est vitale.

En ce sens, j’admire le travail que réalise le mouvement jeunes communistes dans les lycées, les universités et mêmes sur ces places des grandes villes. Apporter un cadre, structurer la pensée et le mouvement, créer de l’ordre dans le vacarme. Expliquer que la volonté est un chemin, que ce chemin est parsemé d’étapes qu’il faut minutieusement préparer les unes après les autres.

La clé de la réussite se situe à ce niveau il me semble. Je souhaite sincèrement que les hommes et les femmes qui font le mouvement Nuit debout viennent magistralement démentir les propos de notre éditorialiste du Figaro.

Les communistes peuvent et doivent les-y aider. Les Communistes avec un grand « C » évidemment, pas les marionnettistes à la sauce primaire. Petite précision si tant est que cette dernière soit vraiment nécessaire.

Guillaume Sayon

Publié dans Nuit Debout

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