Laurent Aubeleau, CGT Secteur de Lyon, a rendu hommage à Pierre Sémard 80 ans après son assassinat

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Laurent Aubeleau, CGT Secteur de Lyon, a rendu hommage à Pierre Sémard 80 ans après son assassinat
Laurent Aubeleau, CGT Secteur de Lyon, a rendu hommage à Pierre Sémard 80 ans après son assassinat

Chères et chers camarades, Mesdames, Messieurs,
 

C’est avec beaucoup d’émotion que nous sommes rassemblés aujourd’hui en ce lieu de recueillement ou est érigé cette plaque gravé des noms des cheminots tombés pour la France lors des différentes guerres.

Honorer la mémoire de Pierre SEMARD revêt une dimension particulière. 80 ans, c’est si peu à l’échelle de l’Histoire et pourtant, mesurons à quel point, dans une si courte période, certains repères pourraient aisément s’effacer si nous n’étions pas suffisamment attentifs.

Les historiens et ses compagnons de route ont coutume de dire de cet homme qu’il était un visionnaire, parce qu’il fut parmi ceux qui ont écrit les premières pages d’une conception moderne du syndicalisme. Il prônait déjà le rassemblement des salariés et la dimension unitaire à donner aux luttes comme un élément indispensable à la construction du rapport de force. Il a porté l’idée du syndicalisme comme devant être une force de contestation, mais aussi de propositions alternatives qui doivent créer la capacité de mobiliser tous les salariés pour parvenir à négocier sur des bases revendicatives construites avec eux.

C’est aussi à partir de son étude de l’environnement politique, économique et social, qu’il a porté la nécessité d’un syndicalisme qui doit garder son indépendance vis-à-vis des partis politiques, tout en précisant avec beaucoup de clairvoyance qu’indépendance ne signifie pas neutralité. Nous pensons que ses idées avant-gardistes étaient guidées avant tout par des valeurs profondément humaines et par une appréciation très fine du contexte.

Cet homme était surtout animé par la volonté de voir se construire une société sur les bases de la paix, de la justice, de la démocratie, de la solidarité entre les hommes et entre les peuples, du respect de l’être humain et de son travail. Autant de concepts qui ont pris une acuité particulière ces dernières années. Il ne s’agit pas aujourd’hui de faire un simple rappel historique pour éviter que certaines pages de notre histoire contemporaines tombent dans l’oubli, même si ce devoir de mémoire est indispensable. Il s’agit de faire en sorte que ceux qui, comme Pierre SEMARD, sont morts pour défendre nos idéaux, nous servent de guides et de prolonger leur combat. C’était la volonté de Pierre SEMARD, c’est le message qu’il a transmis aux cheminots quelques heures avant de tomber sous les balles nazies.

Comme il est flagrant de mesurer à quel point les batailles revendicatives menées et impulsées par cet homme lorsqu’il dirigeait la Fédération CGT des Cheminots sont modernes et d’actualité :

• Négocier les congés payés et une réduction du temps de travail hebdomadaire ;

• Lutter à la construction d’une entreprise de chemin de fer nationale, publique, unique et intégrée ;

• Donner au transport ferroviaire la dimension d’un service public indispensable au développement de la nation et à l’industrialisation des territoires, tout en répondant aux besoins des citoyens ;

• Associer à cette dimension l’exigence d’un statut et d’une protection sociale de haut niveau pour les salariés du rail ;

• Œuvrer à l’élaboration de conventions collectives dans les transports pour éviter la mise en concurrence des salariés de ce secteur.

Notons comme ces axes revendicatifs sont contemporains.

Que disait nos opposants à cette époque ? « Les congés payés, la réduction du temps de travail, la protection sociale solidaire et les conventions collectives, la redistribution des richesses produites sont des facteurs qui vont ruiner les entreprises et faire s’effondrer l’économie nationale. » « Les entreprises publiques, les services publics, les statuts protecteurs de leurs salariés, sont autant d’éléments insupportables pour les finances de l’État. »

Alors qu’ils n’ont jamais cessé de faire gonfler leur fortune, ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, nous assènent des discours identiques, arguant de la mondialisation de l’économie, du libéralisme exacerbé ou de la concurrence libre et non faussée, présentés comme autant de dogmes.

Bien que les verrous des coffres de la banque centrale européenne aient sauté avec la pandémie, ce sont les mêmes qui, au niveau européen, prônent la réduction des dépenses publiques, instaurant l’austérité permanente pour les peuples, ainsi que de multiples cadeaux au patronat et à la sphère financière par, notamment, des exonérations de cotisations sociales.

En France, le président Macron a décrété le fameux « quoi qu’il en coûte ». Passé les postures ou autres discours creux de certains ministres, on observe que la casse des services publics se poursuit, les licenciements et autres fermetures d’entreprises aussi, ainsi que le gel des salaires dans certaines entreprises, comme la SNCF par exemple, où les cheminots subissent une huitième année consécutive de gel des salaires quand, dans le même temps, les dividendes versés aux actionnaires explosent de façon indécente. La « règle d’or » qui impose aux états membres de l’Union européenne de ne pas dépasser les 3 % du déficit public et 60 % de la dette publique a été suspendue du fait de la pandémie, la guerre en Ukraine pourrait prolonger cette suspension.

Autorisons-nous, dans un premier temps, à revendiquer la désobéissance à la « règle d’or » des 3 % et ensuite agir pour son abandon. Ceci afin de donner du sens à notre exigence d’une meilleure répartition des richesses crées par le travail, qui puisse répondre aux besoins sociaux-économiques fondamentaux.

Certains dirigeants politiques, capables de trouver en quelques jours des milliers de milliards d’euros et de dollars pour sauver les banques de leur démence spéculative, entendent maintenant se servir de la situation comme une opportunité pour faire payer les salariés en gravant dans les textes constitutionnels la régression sociale. Ces mêmes banquiers qui renouent allègrement avec les profits outranciers, ces entreprises du CAC 40 qui génèrent des bénéfices exorbitants (en France, les dividendes prévus pour 2022 seraient de l’ordre de 66 milliards d’euros). Ces gros actionnaires qui reçoivent des dividendes records, ces patrons des grandes entreprises qui s’octroient des salaires mirobolants nous servent le discours de la productivité, du coût du travail, des efforts nécessaires à la compétitivité, des menaces à la délocalisation, de l’ouverture à la concurrence des services publics comme preuve de modernisme.

L’entreprise publique SNCF a été, dans la dernière décennie, impactée par deux réformes d’ampleur (celles de 2014 et 2018) visant à offrir le rail aux marchés, pour en faire une source de profits. C’est toute l’œuvre syndicale réalisée lors de la réunification des entreprises ferroviaires en une seule SNCF publique en 1937 qu’ils veulent anéantir. C’est le service public ferroviaire qu’ils veulent tuer, car ils jaugent le transport ferroviaire comme une manne financière publique qui leur échappe. Cette simple idée leur est insupportable. Les batailles menées par la CGT pour reconquérir des services publics efficaces, celle que nous menons âprement à la SNCF à l’appui de luttes allant du local au national, nourries de propositions, de projets complets tant pour le transport de marchandises que voyageurs, illustrent bien notre force de conviction, notre abnégation pour permettre aux services publics (de l’hôpital, de l’énergie, des transports, de l’éducation, des télécommunications, etc.) de redevenir les outils publics répondant aux besoins des populations, de l’intérêt général.

Rendre hommage à Pierre Semard doit se traduire par notre engagement sans faille contre les puissances financières et patronales, contre les forces politiques à leur solde.

Faire en sorte de poursuivre leur œuvre, cela nécessite de nous inscrire avec toute notre énergie dans la défense et le développement des services publics, de consolider et d’améliorer le cadre social et les conditions de vie et de travail des salariés, d’amplifier nos batailles sur l’emploi et les salaires. Ces hommes sont parvenus, dans une époque beaucoup plus difficile, à élever les consciences, à gagner des conquêtes sociales qui nous servent encore de bases revendicatives, à mener la bataille idéologique dans un contexte bien plus hostile. Alors, responsables et résolus, comme eux rien ne doit nous faire douter, rien ne pourra nous arrêter car notre combat se place dans le prolongement du leur.

Pierre SEMARD a aussi mené d’autres combats qui ont du sens encore aujourd’hui. D’une part, permettre aux salariés d’intervenir dans la gestion des entreprises. C’est bien dans l’esprit de ces fondateurs de notre CGT que nous menons notre activité syndicale. Cette intervention des salariés sur les choix des entreprises nous est contestée par l’ensemble des tenants du libéralisme. C’est une conception qui nous est sans cesse disputée par le patronat, qui n’a de cesse de vouloir supprimer les droits des salariés. D’autre part, en matière culturelle, la loi sur les 3 fois huit heures (08 heures de repos, 08 heures de travail et 08 heures de loisirs), votée après le 1er mai 1919, a permis de lancer dans la CGT et particulièrement à la fédération CGT des cheminots, des chantiers qui méritent d’être relevés : organiser le sport chez les cheminots, organiser la musique, développer les bibliothèques syndicales, développer les loisirs. Cette nouvelle loi des 3 fois 8 heures a permis au syndicalisme d’offrir d’autres alternatives aux ouvriers, Pierre Semard s’en est rapidement saisi.

Se souvenir et honorer Pierre SEMARD, c’est aussi faire acte de volontarisme pour défendre les mêmes valeurs humaines et le même ouvrage pour la paix. Lui qui a été emprisonné pour avoir combattu la guerre au Maroc, serait certainement atterré de constater à quel point ces idées colonialistes ont peu évolué. Les guerres qui perdurent sur notre planète sont toutes déclarées sous des prétextes fallacieux (religion, terrorisme), alors qu’elles trouvent toutes leurs origines dans des critères financiers, pour servir les marchands d’armes et les firmes qui exploitent les ressources naturelles (pétrole, gaz naturels, uranium, or, cuivre). Ce sont les véritables motifs des guerres qui éclatent ou s’enlisent aux quatre coins du globe, et notamment plus proche de nous, en Ukraine. À ce sujet, le risque de dérive vers un conflit mondial entre intérêts capitalistes rivaux est désormais très élevé. Tout doit être fait pour stopper cette spirale. Les peuples européens, jusqu’au peuple russe, n’ont pas besoin d’une nouvelle guerre. La menace du recours à l’arme nucléaire n’est plus un tabou. Les grandes puissances s’engagent dans une folle course aux armements les plus sophistiqués et les plus meurtriers. C’est extrêmement grave pour l’avenir de l’humanité. Gardons à l’esprit les millions de morts des derniers conflits et la jeunesse sacrifiée.

Nous appelons fermement à un cessez-le-feu immédiat et au retrait des troupes russes. Il faut de toute urgence arrêter une guerre dont les premières victimes sont les populations civiles, qui se retrouvent au milieu des combats ou sont contraintes à la fuite.

Pierre SEMARD, qui fut assassiné par les nazis et le gouvernement de Vichy, trouverait aujourd’hui une montée dangereuse des courants d’extrême droite en Europe. La France n’y échappe pas avec l’ascension de la dynastie Le Pen, accompagnée maintenant d’un nostalgique du « troisième Reich », en la personne de Zemmour. Oui, Pierre SEMARD avait une grande lucidité quand il demandait à ses camarades cheminots de poursuivre inlassablement le combat contre le fascisme, car celui-ci est toujours sous-jacent et s’alimente de la misère pour en faire son lit.

Camarades, lorsque nous disons que le devoir de mémoire est insuffisant s’il ne s’accompagne pas d’une démarche volontariste pour défendre nos valeurs, c’est que nous savons que la bête immonde prend quelques fois des visages humains pour convaincre ceux qui sont dans la misère que de plus malheureux qu’eux en sont les responsables. C’est pourquoi la CGT, avec d’autres, mène une campagne nationale contre les idées d’extrême droite. Partout nous devons y prendre notre part. Nous devons être très attentifs ! La perte de repères historiques et politiques conduit parfois à des dérives graves et il est de notre devoir d’être très fermes sur ces questions. Une fois encore, lorsque Pierre SEMARD explique que l’indépendance syndicale vis-à-vis du politique ne signifie pas neutralité, il fait preuve de beaucoup de perspicacité. Rappelons quelles sont les valeurs humaines qui constituent les fondements des statuts, de la CGT et ne les oublions jamais.

Chères et chers camarades, Mesdames et Messieurs,

Quand certains nous reprochent de vouloir trop faire de rappel de l’Histoire, faites-leur savoir que lorsque le devoir de mémoire n’est pas respecté et que la transmission des faits historiques n’est pas correctement réalisée, il se trouve toujours quelques révisionnistes qui s’empressent de la déformer pour mieux nous la faire oublier. Alors OUI, chères et chers camarades, honorer la mémoire de Pierre SEMARD en 2022, 80 ans après son assassinat, n’a rien d’archaïque ou de passéiste comme certains pourraient le laisser penser. Bien au contraire, se souvenir de ce combattant, de ce militant syndical et politique qui nous a fait l’honneur d’être le premier dirigeant de notre Fédération, c’est nous engager à poursuivre les mêmes combats. C’est perpétuer inlassablement cette bataille pour une société plus humaine et plus juste, pour la paix entre les peuples. C’est nous attacher à être, très modestement, mais avec lucidité et détermination, ses dignes et fiers héritiers.

Merci de votre attention.


 


 

Publié dans Histoire, La Résistance

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