Contribution de la CGT sur les accords de libre-échange

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Pas de commerce sans respect des droits ! Pas daccords de libre-échange sans conditionnalité sociale et environnementale.

 

Nous déroulerons la réflexion de la CGT sur la question de la dimension sociale dans les accords de libre-échange en trois temps articulés entre eux et complémentaires :

1. Tout d’abord, nous rappellerons les raisons qui nous incitent à considérer qu’il faut renforcer significativement la dimension sociale dans les accords de libre-échange.

2. Nous livrerons ensuite quelques exemples qui illustrent à la fois les limites et les potentialités de l’exercice de la clause sociale et de la conditionnalité sociale dans les échanges commerciaux.

3. Enfin, nous formulerons une série de propositions pour rendre plus opérante la dimension sociale dans les relations commerciales entre les états ou les ensembles régionaux.
 

Pourquoi la CGT considère-t-elle comme urgent de renforcer la dimension sociale des ALE, et pourquoi y croit-elle ?

Dans un rapport de l’Organisation Internationale du Travail publié il y a tout juste dix ans, il était indiqué que "lorsqu’ils sont accompagnés d’une réelle volonté politique de leurs signataires, les ALE comportant des dispositions conditionnelles relatives au travail permettent souvent de faire progresser les droits, notamment en matière de liberté syndicale et de négociation collective."

De nombreux arguments militent en faveur d’une meilleure prise en compte de la dimension sociale dans les accords de libre-échange (le fait par exemple, qu’ils doivent permettent également de faire progresser les lois sociales existantes dans les pays qui les concluent), et s’ajoutent à une raison politique fondamentale : le commerce reste un stimulus essentiel. Conditionner son développement au respect des normes sociales et du travail a donc toutes les chances de favoriser un meilleur respect de l’ensemble des droits. A condition que le bénéfice d’un renforcement des échanges soit accompagné par la mise en place d’un régime de sanctions contraignantes frappant les violations des clauses sociales des accords de libre-échange allant jusqu’à la suspension ou l’annulation de l’accord. Or, c’est loin d’être le cas !

 

Lexercice comporte en effet des limites et les potentialités du volet social des accords de libre échange sont difficiles à envisager compte tenu de lordre ou plutôt même des désordres générés par le capitalisme actuel.

Prenons lexemple de laccord de libre-échange entre l’Union européenne et le Pérou/la Colombie. Cet accord a été discuté et en partie « durci » par le Parlement européen puis adopté en décembre 2012. Il comporte, comme beaucoup d’autres ALE, des dispositions relatives aux questions sociales, au travail, aux droits et libertés syndicales. Or, depuis son adoption, des dizaines de syndicalistes ont été assassinés en Colombie sans que ses dispositions ne soient suspendues. Aucune mesure n’a été entreprise par la partie européenne pour conditionner réellement le développement de la relation commerciale au respect effectif des droits syndicaux.

Il en est de même de feu l’accord transatlantique, le fameux TAFTA aujourdhui abandonné. Au-delà de nos inquiétudes sur le contenu de l’accord, notamment sur le volet agricole, sur celui relatif à la passation des marchés publics en direction des collectivités locales et sur le volet culturel, nous étions très inquiets sur labsence de traitement de la question des droits et des libertés syndicales. Rappelons que les Etats-Unis font partie de ces pays qui refusent obstinément toute ratification des conventions 87 et 98 sur les libertés syndicales et la négociation collective.

Mais le plus caricatural dans la situation actuelle autour des accords de libre échange est sans nul doute l'Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et lEU, également connu sous le nom de CETA. Les parlementaires français ayant pleinement conscience du fort refus de cet accord dans la population, particulièrement dans le monde rural et les petites villes, le Président Macron nayant ni la garantie que le vote de ratification soit gagnant, ni la possibilité dutiliser le 49.3 comme il aime à le faire pour des réformes impopulaires comme lactuelle réforme des retraites, le gouvernement a finalement décidé dappliquer le CETA de manière « provisoire » à partir du 21 septembre 2017. Cest ainsi que sans aucun vote des parlementaires, 90 % de laccord sapplique au détriment des Français. Cest une véritable insulte à la représentation nationale.

Pour éviter ces écueils et donner un vrai sens à cette clause sociale, la CGT souhaite formuler une série de six propositions, qui visent à donner plus de sens et de réalité à la dimension sociale des accords de libre-échange :

1) Nous considérons d’abord que les ALE devraient au minimum engager les parties à adopter et incorporer les 10 conventions fondamentales (libertés syndicales et négociation collective, lutte contre les discriminations, lesclavage, et le travail des enfants, protection de la santé et sécurité au travail) de l’OIT et les conventions 81 sur l’inspection du travail, 122 sur les politiques de l’emploi, 144 sur les consultations tripartites et 190 sur les violences et le harcèlement. Ils devraient aussi comporter des engagements pour des améliorations des législations nationales en matière de conditions de travail, de temps de travail, de négociation collective, de protection sociale, ... dans les pays où elles sont les moins avancées ;

Les ALE ne devraient comporter aucune dérogation possible aux clauses sociales, qu’elles soient partielles, sectorielles ou temporaires.Il conviendrait d’inclure dans les clauses sociales des ALE un règlement des litiges et un système de plainte sur les questions sociales ;

2) Le non-respect des clauses sociales devrait entraîner un régime de sanctions pour répondre aux cas de violations; cela pourrait être par exemple une suspension des avantages commerciaux comme ce fut le cas il y a quelques années pour le Belarus avec le Système de Préférences Généralisées et comme cela devrait être le cas si l’Union Européenne va jusqu’au bout de sa démarche, et nous n’en doutons point, à l’encontre des produits réalisés dans les colonies israéliennes illégalement implantées en Cisjordanie.

3) Il apparaît indispensable de faire en sorte que les entreprises, notamment les firmes multinationales, ne restent pas dans l’angle mort des accords de libre-échange en continuant à se réfugier derrière la responsabilité des Etats pour ne pas engager la leur ; la conditionnalité sociale doit également engager pleinement leur responsabilité.

4) Que la référence et le respect des accords de Paris et des plus récents rapports du GIEC soit clairement indiqués, avec abandon des négociations si la partie adverse refuse l’inclusion de cette clause dans l’accord et des mesures de suspension ou d’annulation de l’accord en cas de non-respect. Que le devoir de précaution soit respecté quant à l’importation de produits ou de marchandises en Europe avec abandon des négociations si la partie adverse refuse l’inclusion de cette clause dans l’accord et des mesures de suspension ou d’annulation de l’accord en cas de non-respect de cette partie.

5) Quaucun accord nimpose les ISDS, mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (en anglais Investor-state dispute settlement). Ce sont avant tout des tribunaux privés au-dessus des lois nationales. Ces Tribunaux supra nationaux sont créés par les Etats eux- mêmes, dans des accords dénommés « accord d’investissement » ou dans les volets « investissements » de nombreux accords de libre échange. L’étendue de leur champ d’action et les motifs justifiant leur saisine diffèrent avec chaque accord. Il faut ajouter qu’ils ne peuvent être saisis que par les investisseurs. Les Etats ne peuvent pas le faire. Ils ne peuvent même pas formuler une demande reconventionnelle en lien avec le litige, alors qu’il s’agit là d’un droit fondamental dans tous les systèmes judiciaires des démocraties. Résultat : ils ne peuvent jamais gagner. Au mieux, ils ne peuvent qu’échapper à une condamnation.

Dans tous les cas, les frais à la charge des contribuables sont énormes. En outre, seules les entreprises étrangères peuvent y accéder. Les entreprises nationales n’y ont pas accès. Ces tribunaux privés ont le droit de s'affranchir des droits nationaux et de faire condamner un Etat (donc ses contribuables) à des amendes énormes au profit des investisseurs étrangers mécontents d'une mesure d'intérêt général prise par cet Etat dans lequel ils auraient investi.

6) Enfin, le rôle des organisations syndicales doit être substantiellement renforcé, tant dans la phase de conception de l’accord que dans le contrôle de sa mise en œuvre, a fortiori s’il est assorti d’une clause sociale et d’un régime de sanctions. Il faut pour ce faire que les négociations de l’accord aient lieu de façon transparente avec consultation obligatoire des organisations syndicales et des organisations associatives concernées et prise en compte de leurs observations.

Publié dans International, syndicats

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