Guerre à l'humanité ! par Maïté Pinero

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

La négation des droits du peuple palestinien, droit de pays, droit à la paix et à la liberté, à l’éducation, à la santé, droit à l’espoir, sont pour les démocrates, une vieille lutte et une douleur.
 
 
Depuis le massacre commis par les terroristes du Hamas dans des Kibboutzs, largement acquis argumentent les spécialistes au camp progressiste; Depuis Gaza, jour et nuit devenu réplique de Guernica, nous vivons dans l’effroi, l’horreur, la colère.
 
 
Un bouleversement d’émotions attisé par un sentiment d’impuissance: qu’est donc devenue notre France pour qu’il n’y ait pas eu jusqu’ici moyen d’organiser de gigantesques manifestations, autorisées ou pas que diable, pour arrêter la boucherie?
 
 
Et pourrait-on, au minimum, se mettre d’accord pour exiger d’une seule voix avec la libération des otages israéliens, celles de Marwan Barghouti et de centaines de dirigeants politiques Palestiniens, qui manquent si tragiquement au combat de leur peuple?
 
 
Ici, à lire les polémiques, terrorisme ou non, crimes de guerre ou pas, «responsabilité» des civils ou non, on finit par ne plus savoir de quoi l’on parle. Question de vocabulaire, de respect des conventions de Genève? On est bien au-delà. Ici et maintenant, ce conflit que Netanyahu a porté à l’incandescence nous met en grand danger d’inhumanité.
 
 
Ce témoignage, loin dans le temps et l’espace des événements en cours, est juste destiné à aider à la réflexion. Penser est-il encore possible?
 
 
En effet, l’actualité ravive dans la mémoire de chacun les blessures de l’histoire familiale, du parcours individuel, la somme de la lutte collective. Certains souvenirs sont des traumatismes qui reviennent parfois comme des bombes à retardement. Les reporters de guerre portent ces cicatrices au coeur et en tête. A certains endroits, certains moments, chacun s’est un jour ou l’autre, posé la question: Écrire en vaut-il la peine, les mots ont ils un sens, survivent-ils aux adieux et aux larmes? Témoigner et écrire ne les efface pas. Dire ce qui ne figure pas dans les reportages, ce que l’on a appris et compris, comme témoin, peut-il être utile?
 
 
Entre 1979 et 1992, dans l’indifférence du monde, le plus petit pays des Amériques, celui du Petit Poucet, était devenu une chambre de torture. En présence: plusieurs gouvernements soutenus, financés par les États-Unis, combattus par la guérilla du Front Farabundo Marti de libération nationale. L’horreur était ancienne. En 1933, l’insurrection dirigée par Farabundo Marti fut noyée dans le sang. Depuis ce jour, disait Miguel Marmol, «nous les Salvadoriens, nous naissons à moitié morts, à moitié vivants ». Laboratoire de la «guerre de basse intensité» pour les experts étasuniens, El Salvador permit d’expérimenter toutes les techniques de la terreur de masse condensées sur un tout petit territoire. Éliminer les opposants ne suffisait pas. Tout un peuple devait vivre en pure terreur.
 
 
Les cimetières clandestins n’avaient de clandestin que le nom. Ils se situaient près des villages et il fallait vivre dans l’odeur de mort. Marianella Garcia Vilas, dirigeante de l’organisation des Droits de l’homme, qui fut assassinée après tortures et viols multiples, racontait: «Il était interdit d’y entrer. Y pénétrer fut une lutte. Et encore une autre de répertorier les tortures. On trouvait une femme au ventre monstrueusement enflé et dans son ventre la tête de son compagnon, parfois à côté d’elle un fœtus arraché».
 
 
Sur les pentes des volcans, les mères de disparus, en robe noire et foulard blanc, titubaient d’une dépouille à l’autre, juste parfois des restes humains, en quête d’une bague, d’une médaille, d’une carte d’identité, n’importe quoi qui rende un nom à la bouillie putréfiée d’une humanité torturée. On martyrisait dans les casernes et dans les abattoirs, mieux équipés pour l’administration de la souffrance. On mitraillait l’enterrement de l’archevêque Monseigneur Romero, assassiné car il s’était adressé aux soldats: «Au nom de dieu et de ce peuple souffrant dont les cris montent jusqu’au ciel, je vous en prie, je vous en supplie, je vous en conjure et je vous l’ordonne: cessez la répression !»
 
 
Dans la guérilla, arrivait de très jeunes gens survivants des massacres de masse qui avaient vu, sous les bombardements, voler des corps, qui avaient ramassé des membres, entassé et fait brûler des restes déchiquetés, ceux des leurs. Ils arrivaient hallucinés, fous de désespoir et de rage. Ils voulaient un fusil, seulement un fusil. Ils voulaient tuer, juste tuer et mourir tout de suite.
 
 
Le combat était interdit aux désespérés. A Guazapa, le maquis du parti communiste, à chaque cérémonie de départ d’une unité, le commandant Hugo concluait ainsi son discours: «Tout combattant tué ou blessé sera sanctionné».
 
 
Toute une thérapie de groupe se mettait en place autour du désespéré: la première tortilla du matin, la plus grande ration de haricots noirs, massage guérillero obligé après l’entraînement, bourrade ou accolade dix fois par jour, la caresse des brigadistes de santé qui prenaient prétexte du moindre bobo. Chaque soir, après le cinéma des étoiles - allongés dans l’herbe, le nez dans le ciel - une ombre, jamais la même, se faufilait jusqu’au pied du hamac ou sous la couverture-tente du dernier arrivé. On entendait des chuchotements, ou des cris, ou des pleurs. Ces nuits étaient plus épuisantes que les jours.
 
 
Le temps passait: quand un flirt s’ébauchait, au campement des Lirios, le commandant Hugo qui distribuait les tours de rôle du bain à la cascade, inventait une raison pour y envoyer le jeune couple seul.
 
 
Après l’offensive de 1989 qui vit la guérilla occuper les quartiers populaires de San Salvador, puis le Sheraton et les villas des militaires et oligarques de l’ Escalon, de nouvelles recrues rejoignirent Guazapa. Parmi eux, un ex soldat de l’Atlacatl, l’unité spéciale des grands massacres. Un grand escogriffe, une sorte d’ours, un homme hanté incapable de raconter ses cauchemars. En même temps, était arrivée une jeune fille, qui avait fui un bordel de la Zona Roja.
 
 
Le coup de foudre fut immédiat. Ils devinrent le couple mascotte. Elle aimait danser, elle dansait, même en marchant, dans le campement. Lui, la regardait, ébloui. Je me souviens surtout de comment les yeux de tous allaient de l’un à l’autre, étrangement soignés, des moments magiques.
 
 
Quand la guérilla occupa l’Escalon, dans les maisons des militaires et de l’oligarchie, se trouvaient femmes et enfants, des femmes et hommes de ménage, des bourreaux et des assassins et même des agents de la CIA. Il n’y eut pas un seul meurtre. Quand plus tard, on exhuma les corps enterrés dans les jardins, il s’agissait de ceux des guérilleros morts au combat.
 
 
Au pays du Petit Poucet, durant ces années où le sentiment d’horreur était devenu une matière palpable qui vous envahissait dés l’aéroport, Ramiro Vasquez, le chef des Forces Armées de Libération (FAL) la guérilla du parti communiste affirmait : «La guerre ce n’est pas seulement le champ de bataille. Nous savons que nous devons aussi lutter pour ne jamais ressembler aux bourreaux. Si nous oublions cela, ils auront gagné». Le FMLN était composé de plusieurs organisations et ce débat fut constant. L’utilisation des mines, l’épisode des dindes de Noël, au cours duquel des volailles truffées d’explosifs furent distribuées dans les familles des suppôts du régime, donnèrent lieu à quelques discussions enfiévrées.
 
 
Je lis des témoignages d’israéliens endeuillés, des lettres de soldats de Tsahal, une déclaration d’ un ministre du gouvernement israélien fasciste et raciste qui considère les 2 millions d’hommes, de femmes et d’enfants de Gaza comme «des animaux». Les images du massacre dans les Kibboutz, de l’hôpital de Gaza, des rues de Gaza se surimposent à celles d’il y a longtemps. Des scènes, des récits qui nous crucifient.
 
 
Il n’ y aura pas de paix ni de sécurité pour le peuple israélien sans garantie des droits équivalents pour le peuple palestinien. Nous qui, pour le moment, ne sommes pas directement pris dans la folie et la tuerie meurtrière, nous qui parlons aux amis de tous bords qui sont loin, est-il encore possible de plaider humanité?
 
 
Si elle disparaît, y compris en temps de guerre, rien, absolument rien, n’en vaudra plus la peine pour personne. Ceux qui étripent des civils et en ce moment les enfants de Gaza, sont quoi qu’ils en disent, sans foi ni loi ni cause, ennemis de l’humanité qui est en chacun de nous et nous relie.

Publié dans Moyen Orient, International

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