Guerre à Gaza. « Le génocide constitue le crime suprême »

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

 

Olivier Corten est professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles. L’accusation de « génocide » portée contre Israël devant la Cour internationale par l'Afrique du sud pourrait, selon lui, changer la donne du conflit.

 

L’Afrique du Sud vient de saisir la Cour internationale de Justice (CIJ) afin qu’elle condamne Israël pour « génocide ». Cela vous surprend-il ?

 

Non. Cette démarche ne m’a pas étonné. Elle est ouverte à toute partie à la « Convention pour la prévention et la répression du génocide » adoptée en 1948, que cette partie soit ou non directement affectée par un tel crime. Ce n’est pas la première fois que la CIJ est ainsi saisie. Ses juges ont eu à se prononcer dans le cadre de conflits qui avaient opposé la Bosnie à la Yougoslavie et la Croatie à la Serbie dans les années 1990. Deux autres requêtes sont actuellement examinées : la première vise la Russie, à l’initiative de l’Ukraine. La deuxième, déposée par la Gambie, accuse le Myanmar de génocide à l’égard des Rohingyas.

 

Invoquer la notion de génocide, dans le cas présent, est-ce pertinent ?

 

Sur l’échelle des crimes internationaux, le génocide constitue le crime suprême. Cette notion n’est dès lors pas utilisée à la légère et renvoie à des critères particulièrement exigeants. Pour qu’il y ait génocide, il faut qu’il y ait intention de détruire, « comme tel », un groupe ethnique ou religieux. Ce fut le cas à l’égard des Juifs, durant la Seconde Guerre mondiale, la Shoah ayant directement inspiré l’élaboration de la convention de 1948.

 

Ce fut aussi le cas en juillet 1995, à Srebrenica, lorsque près de 8 000 hommes et adolescents bosniaques ont été liquidés par les forces serbes sur ordre du général Mladic.

 

Dans le cas présent, dès le 19 octobre, plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU ont alerté sur un « risque de génocide » avant de réitérer leurs mises en garde, en se basant à la fois sur le caractère systématique et massif des attaques sur Gaza, sur le nombre significatif des victimes palestiniennes et sur certaines déclarations particulièrement choquantes de hauts responsables israéliens. L’hypothèse qu’un génocide soit en cours doit donc être pris très au sérieux*.

 

Et pourtant, les États-Unis continuent de livrer des armes à Israël…

 

Oui. Et cela pourrait être considéré comme une violation du droit international. Car la convention de 1948 ne se contente pas d’interdire le génocide. Elle oblige également ses États parties à tenter d’empêcher qu’il soit commis. En continuant à livrer des armes à Israël, en dépit des alertes répétées des observateurs, les États-Unis font plutôt l’inverse. Ils prennent le risque d’être accusés d’avoir eux aussi violé la convention.

 

Il faut donc suivre de près ce que dira la CIJ…

 

Absolument. Sa décision se fera en deux temps. D’abord, l’urgence. Les juges de La Haye vont entendre très rapidement des représentants de l’Afrique du Sud et d’Israël et, s’ils estiment qu’il y a effectivement un risque de génocide, ils pourront décider de mesures conservatoires pour y mettre fin. Dans un deuxième temps, ils devront établir, sur le fond, si Israël a bel et bien manqué à son obligation de prévenir ou réprimer un génocide au sens de la convention. Dans cette phase-là, les autres États parties à la Convention de 1948 pourraient d’ailleurs intervenir pour exposer leur position à propos de l’interprétation de cette convention.

 

La décision des juges peut prendre des mois, voire des années, d’autant qu’Israël pourrait aussi multiplier les exceptions préliminaires sur lesquelles la Cour devrait se prononcer avant d’aborder le fond.

 

Et pendant ce temps-là, le nombre de victimes civiles continue de grimper chaque jour…

 

L’État d’Israël a montré, à plusieurs reprises, un manque flagrant de respect des décisions prises par les organes compétents des Nations Unies. Par ailleurs, les décisions de la CIJ, qui sont juridiquement obligatoires, voient en principe leur application garantie par le Conseil de Sécurité où siègent les États-Unis. Cela fait deux bonnes raisons de penser que la démarche de l’Afrique du Sud n’aura qu’une portée symbolique. Mais se limiter à cette approche réductrice serait une erreur.

 

Pourquoi ?

 

D’abord parce que les juges de La Haye jouissent d’une excellente réputation. Leur indépendance est unanimement reconnue et la plupart de leurs jugements sont respectés. Ensuite, parce que l’initiative de l’Afrique du Sud pourrait prendre de l’ampleur. D’autres États pourraient en effet se joindre à elle, et le soutien inconditionnel des États-Unis ou d’autres à Israël deviendrait alors de plus en plus problématique.

 

Cependant, il est difficile de prévoir dans quel sens la Cour se prononcera. Les juges ne vont probablement pas fustiger unilatéralement Israël. Ils pourraient exiger plus généralement que l’ensemble des parties prennent toutes les mesures possibles pour prévenir ou réprimer des actes de génocide. Quoi qu’il en soit, s’ils admettent que la convention sur le génocide est pertinente pour juger les événements qui se déroulent à Gaza, cela peut changer la donne.

 

* « Dès le 19 octobre, plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU ont alerté sur un « risque de génocide » avant de réitérer leurs mises en garde, en se basant à la fois sur le caractère systématique et massif des attaques sur Gaza, sur le nombre significatif des victimes palestiniennes et sur certaines déclarations particulièrement choquantes de hauts responsables israéliens », rappelle Olivier Corten qui est professeur de droit international.

 

Interview d'Elisabeth Fleury  publié dans l'Humanité

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