Ne laissons pas s'installer l'esprit de guerre

Publié le par Front de Gauche de Pierre Bénite

Pierre-Andrien Marciset, écrivain, romancier

Pierre-Andrien Marciset, écrivain, romancier

Ceux qui s’apprêtent à me lire, ce matin, doivent s’attendre à ce que je vais écrire. La logique qui a présidé à mon article sur Charlie Hebdo il y a onze mois s’impose encore à ma pensée, et je la suis.

Le courage consiste à affronter ses peurs afin d'en triompher, de parvenir à s'en détacher et s'émanciper de leurs menaces. Nous devons, en ce sens, être très courageux et refuser l'accès à la guerre.

Tout d’abord, et parce que je ne l’avais pas exprimé, je veux commencer par ma tristesse et ma colère. Déchiré toute la soirée entre les larmes, la nausée, l'effroi et la stupeur, je n'ai, comme beaucoup, pas pu décrocher mes yeux de l'écran avant longtemps. J'ai découvert la fusillade au début des événements, je croyais qu'un ami faisait une blague sur Facebook. Comme beaucoup, j'ai d'abord trouvé des habits de fête ou de plaisanterie à ce qui n'était qu'horreur et barbarie. Horreur et barbarie la violence de la guerre. Sous-culture le fanatisme assassin, tout entier tourné vers la destruction et le déni d'humanité.

Mais, pitié, ne parlons pas, ne parlez pas en ces termes de l'Islam. Hier soir, nous avons vu le visage de toute horreur humaine. La même horreur a eu cours, exercée légalement par la France en Algérie durant la dernière guerre. La même horreur a eu cours sous l'Allemagne nazie. Ne confondez pas les motifs avec les natures, hier soir à Paris, l'horreur de l'inhumanité s'est exprimée, et rien d'autre. Ils n'étaient ni musulmans, ni catholiques, ni arabes ni occidentaux ; ils étaient des soldats, en guerre, dont l'ordre était de tuer et de mourir.

Ce qui nous a frappé hier n'arrive pas de nulle-part : nous l'avons invité dans notre monde. Les existentialistes pensent que toute relation est le fait d'une pluralité d'acteurs : il n'y a jamais les coupables d'une part et les victimes de l'autre.

Notre pays est une république imbue d'elle-même, saturée de son bon-droit à tout exercer, brutale et insolente qui roule politiquement sur l'exacerbation des différences. La France est un pays de guerre civile sans armes à feu, de clivages, de haines et de division ; pourquoi ? Le pays des lumières n'a plus de lumineux que le fantasme de son histoire.

Notre politique internationale porte la guerre au cœur du Proche-Orient et se mêle de ce qui ne la regarde pas pour des intérêts souvent financiers — je relaie ici l’image « Vos guerre$, nos morts ». L'adage est tellement connu que c'en est un poncif : la violence n'engendre que la violence ; la guerre n’apporte que la guerre. Qui en doutait ? La guerre en Afghanistan a-t-elle libéré les populations du joug taliban ? A-t-on jamais résolu un conflit idéologique par la guerre ? Les flammes du nazisme, battu à plate-couture en 45, sont-elles éteintes aujourd'hui ?

Une idéologie ne peut être étoufée que par un raisonnement, une pensée, une rhétorique profonde faite d'arguments et d'implications ontologiques, et nécessite que l'interlocuteur se sente concerné, impliqué dans l'expérience téléologique du sujet qu'il réfléchit. Le substantif bref pour résumer cette longue phrase ? L'éducation. Quelle éducation et quel espoir de réalisation personelle la France offre-t-elle à ceux qui sont pauvres et différents, dans ce pays ? Le déni, fermer les yeux, ne suffit plus, nous l'avons vu hier lorsque nos autres sens ont été convoqués ; à commencer par l'empathie.

Les attentats du 13 novembre sont la réponse d’une entité belliqueuse à des actes de guerre posés par la France. Des actes de guerre dans son propre territoire, des actes de guerre à l'étranger, aussi. Au nom de quoi y sommes-nous ? De notre alliance avec Israël ? De notre haine de l’islam ? D’intérêts pétroliers ? Permettez que je souligne cette question à la veille du COP 21 : d’intérêts pétroliers ?

Vingt ans de politique intérieure et internationale viennent de nous rappeler, hier soir en ce carnage, qu'il y a des conséquences. Et j'ai bien peur que le manque d'éducation de ceux qui se revendiquent de la république (hors nom de parti, je parle de la nouvelle idéologie républicaine comme concept refuge fourre-tout et support d'un néo-fascisme) s'illustre par des gestes aussi graves. Nos principes politiques, en 2015, sont la guerre et l'ignorance. Pourtant, nul n’est coupable : ce n’est pas le gouvernement Valls, tout préoccupé de convertir le droit du travail en un nouvel esclavage capitaliste et néo-libéral, qui tient la responsabilité de ces actes. Ils sont à la seule charge des fanatiques islamistes (un fanatique islamiste aurait autant à voir avec un musulman qu’un enfant aurait de lien consenti avec son violeur, c’est-à-dire rien et aucun).

Maintenant, chacun sait que la misère et l’ignorance sont les terreaux les plus fertiles qui soient au fanatisme. On nous l'apprend à l'école. L’occident est dans un état d’apathie intellectuelle et s'ennuie dans un tel vide spirituel que nous sommes extrêmement vulnérables à la barbarie, et à la violence. Le « tout, tout de suite, tout le temps » pour seul leitmotiv culturel, dans la violence d'une guerre idéologique entre élitisme et démocratie a préservé le germe de la guerre en nous tous. Voilà le vrai nœud de notre pacte social au XXIe siècle, en France : le vide de la satisfaction individuelle, compulsive et permanente, rapide, événementielle.

Lorsque je parle de barbarie, j’évoque certes le terrorisme, auquel nul d'entre nous n'aurait pu croire comme nous vivons tous dans un décors de Disney, mais aussi le fascisme qui pourrait y répondre et, se cristallisant comme un sel sur nos plaies, faire de nous les monstres brutaux et exterminateurs de demain.

Combien d’enfants, de femmes, d’hommes innocents avons-nous tué et depuis combien de temps, dans des régions du proche et moyen orient au nom de raisons iniques ? La violence qui a frappé Paris cette nuit, combien de fois n’a-t-elle pas frappé ces paysages en portant notre nom ? Aux imbéciles qui voient dans ces carnages, les signes de notre supériorité culturelle sur tout l'orient et le monde arabe, deux choses. D'abord, lorsque nous nous étripions à la hache et à l'épée, le monde arabe produisait la poésie la plus pure et la plus sublime du pourtour méditérannéen, et les systèmes mathématiques les plus élégants du monde moderne. Ensuite, le Coran n’encourage pas plus à la guerre qu’un poème de Charles Baudelaire — et je prends volontiers cet exemple : si des imbéciles devaient tirer une substance religieuse des Fleurs du Mal, nous aurions très probablement une entité extrême et radicale dans le fanatisme. Le Coran est un magnifique poème de spiritualité (je l’ai lu, avant qu’on ne me réponde des sottises), un enseignement et une richesse culturelle. Libre à chacun d’en faire le prétexte de la vie bonne et sainte, ou l’argument de la destruction et du néant. Permettons un islam digne, respecté, tourné vers l’échange, et il sera possible ; arrêtons de massacrer le proche-orient en accordant liberté et dignité à tous ses peuples et nous n'aurons plus jamais d'actes terroristes de cette envergure.

Je rappelle que l'on ne naît pas terroriste et qu'on le devient. Voilà pour les principes, les pierres d’achoppement sur lesquelles je souhaite fonder mon propos.

Hélas, nous allons sans doute nous radicaliser à notre tour et la haine répondra à la haine, et nous ajouterons la culpabilité de nos morts à venir à celle qui fait déjà de nous des bouchers.

J'ajoute que la sacro-sainte supériorité occidentale torturait gaiement les algériens (français ou non) dans la dernière guerre, et que des étudiants qui rentraient chez eux pouvaient, dans les années soixante-dix, assister à... un massacre gratuit d'algériens par les forces de police sur la Place des Arts, à Paris. Il suffit de lire un peu : notre culture n'a son plumage blanc que depuis que les historiens sont amnésiques à propos des horreurs de leur patrie républicaine et supérieure. Je crains le fascisme républicain qui nous saisira bientôt.

J’ai suivi, comme beaucoup de gens hier, le déroulé du direct sur BFMTV. Parfois, certaines nausées m’ont pris au propos absurdes, obscènes et carnassiers des journalistes et j’en sors convaincu de ce que je n’ignorais pas : le journalisme peut être d’un cynisme à vomir. Et nous sommes aujourd'hui la civilisation de ce journalisme-ci.

Avant de juger, ne faudrait-il pas comprendre ? Ces différents terroristes ont agi dans l’intention de perpétrer un carnage au cœur de nos certitudes ; contrairement aux déclarations héroïques ou stoïques de différents kikoolols arriérés : ils y sont parvenus. Paris, ville intouchable, espace absolu d’insouciance et de sécurité, lieu paradisiaque d’un romantisme éthéré, nonchalant, hors de tout et où l’horreur ne pouvait pas frapper, a été traversée de part en part et, blessée à mort, nous nous étonnons de la voir sanglante.

Paris a toujours été sanglante. Il y a trente ans, des algériens étaient jetés dans la Seine. Trente ans avant, le nazisme y faisait sa cueillette de mort. Nous vivons dans un monde de cristal, rêverie idyllique et merveilleuse, depuis trente ans. Et ce qui est arrivé hier soir est un signe de ce que l’existence à crédit des pays pauvres et pillés risque de prendre fin.

Sans rentrer dans des polémiques inutiles, la France vit dans un rêve et ne réalise pas que pour consommer sa richesse annuelle plus d’une fois par an, il lui faut bien que d’autres richesses soient déroutées vers elle.

Vous cherchez un coupable ? Il y en a un ; et je reprends les mots de V, autrement plus graves dans ce contextes : « Comment est-ce arrivé ? Qui est à blâmer ? Bien sûr, il y a ceux qui sont plus responsables que les autres et qui devront en rendre compte mais... Encore dans un souci de vérité, si vous cherchez un coupable, regardez simplement dans un miroir. » Si vous vous êtes laissé allé à la complaisance politique actuelle de priorités qui n’en sont pas, si vous encouragez le profit au dépend de l’humain, si vous avez applaudi aux discours islamophobes, encourageant l'ostracisation des musulmans sans distinction d’individus, vous êtes coupable tout autant que moi. Si vous avez déserté le débat public et idéologique au seul profit de votre plaisir et de votre insolence, vous êtes coupable autant que moi. Si vous avez laissé les BHL, qui prônent la guerre en Lybie, les Finkelkraut qui tiennent des propos haineux sur les musulmans, les Le Pen qui expliquent que le grand remplacement est en marche, si vous avez autorisé, soit par votre passivité soit par votre enthousiasme, au néo-fascisme de prendre pied sur le sol français, vous êtes coupable.

Ce n’est pas parce que vous remplacez le mot « juif » par le mot « musulman » dans les discours d’Hitler que tout à coup vous cessez d’être raciste, et fasciste et un imbécile. Protégeons les musulmans de France, comme nous n'avons pas su protéger les juifs de France, jadis.

Je crois qu’il est temps de réapprendre que les mots ont des sens et les sens des réalités. Si vous avez soutenu une discrimination fondée sur l'origine culturelle, ethnique ou traditionelle, quelle qu'elle fût, nous sommes coupables. Être bon est le signe d'une droiture, d'un effort, d'un choix idéologique fort et difficile et jamais personne ne l'est par défaut. « Il espérait rappeler au monde qu’impartialité, justice et liberté sont plus que des mots, ce sont des principes. »

Des principes. Les principes se défendent et ne vont pas de soi. Le bien et le mal ne sont pas des entités qui avancent au grand jour mais des points de vue et, objectivement, le racisme et le fascisme, même si vous vous mettez à appeler cela du « raz-le-bol » pour l'un et de « la défense républicaine » pour l'autre, ne sont que de la barbarie. Et les fanatiques islamistes n’ont pas d’écrivain pour porter leurs idées sur TF1, à l’Académie Française ou à l’Assemblée — non, ils ont des armes lourdes, faciles à acheter et à utiliser au milieu d’une foule insouciante.

Je vais écrire une platitude, et pourtant : la guerre ne prend prise que si votre cœur est en guerre. Si une majorité de citoyens est prête à le propager, alors seulement, le feu prend. Ce qui s’est passé cette nuit n’est possible que parce que nous faisons semblant d’ignorer que nous sommes tous en guerre. Et, pour la première fois depuis trente ans, la réalité de la guerre s’est rappelée à nous et nous frappe.

Jacques Chirac avait refusé d'envoyer la France en guerre ; vous vous souvenez depuis ? Vous trouvez que les concepts de bonté, d’humanisme, de générosité sont des idées de sale « gauchiste » ? Jacques Chirac est de droite. Votre violence à l'égard d'un discours, le mien, témoigne de la guerre que vous appelez, en fait, de vos vœux. Vous être contaminés par le virus de la haine et du mépris. Le cynisme et le nihilisme qui, hélas, sont les critères de la culture française hypermoderne, sont les seuls responsables de notre deuil.

Forts et dangereux comme nous le sommes, nous n’avons pu être ainsi frappés que parce que nous ne voulons pas savoir ce qui se fait en notre nom. Nous sommes des barbares, et il ne tient qu'à nous d'exiger de nos politiciens, de nos intellectuels, de nos journalistes, qu'ils tournent le socle de notre nation vers un idéal plus pur et plus grand. Voilà ce qui justifie tout ascétisme et tout effort vers l'amour et l'entraide : le refus de la mort.

Ce n’est pas une guerre de cultures. Ce n’est pas un choc des civilisations ou que sais-je encore des âneries que les media vont se plaire à diffuser. Ce n’est qu’une seule humanité, brisée par un système économique et politique absurde, rendue exsangue par des choix aberrants, qui se torture elle-même sans moyen de se comprendre.

Cette nuit, les terroristes n’avaient aucune intention de se rendre, et l’on ne me fera pas croire qu’ils aspiraient au paradis d’Allah. Ils étaient fous, ils n’avaient plus rien à perdre et tout à gagner dans une société du buzz. Ceux-là ne sont pas les illuminés de Charlie Hebdo : c’étaient des soldats déterminés à tuer autant que possible avant d’être arrêtés. Ils étaient devenus des monstres, il en reste beaucoup, retirons-leur tout prétexte.

Éteignez la guerre dans vos cœur. Je lis, ici et là, des gestes et des mots de tristesse et de compassion. Voilà la réaction saine. Voilà la noblesse de l'homme et la grandeur de la France : par où peut s'illustrer notre culture et la puissance de notre force de vie.

Cette horreur ne doit pas engendrer d’autres horreurs mais nous rappeler que ce qui distingue l’être humain de la bête tient en sa compassion, en son humanité. La violence et la haine sont des leurres. Si vous haïssez, quelqu’un quelque part vous tient en laisse. Je ne crois pas en un complot, il s’agit d’une frappe militaire, sur notre territoire, conformément à un modus operandi terroriste. Et si je condamne évidemment la brutalité de ce qui est arrivé, j’encourage au deuil, au recueillement, à la compassion des uns pour les autres ; il faut tourner nos cœurs vers le soutien des victimes et l’assainissement de nos pensées, retrouver ce que nous avons d’essentiel et de bon et les convertir en nouvelle identité nationale.

Français, ne cédons pas à la vengeance, à la laideur, à la guerre, renonçons à la guerre, interdisons-lui désormais l’accès à notre territoire en ne la propageant nulle-part.

Je n’écris pas, ce matin, en qualité d’écrivain ou de philosophe mais en citoyen, terrifié par ce dont l’État est capable d’absolu et de fou, quand je me rappelle que dix-sept morts encouragèrent nos dirigeants à prendre des mesures de surveillance totalitaire qui n'ont servi absolument à rien ; parce que les terroristes vivent dans un monde que nous ignorons et qu'ils ignorent autant que nous.

Ô Mort, où est ta victoire ? (1, Corinthiens 15:55)

Article de Pierre-Adrien Marciset paru sur Médiapart le 14 novembre 2015

Publié dans Paix

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P
Bonjour,<br /> <br /> Juste pour dire que la photographie associée ne me représente pas. Ce n'est pas moi qui y figure. J'ai vingt-huit ans dans quinze jours. Merci.
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