Le CETA ne doit pas être adopté par le Sénat !

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Le CETA ne doit pas être adopté par le Sénat !

 

Le Ceta, cheval de Troie d’une agriculture toxique aux effets dévastateurs

Il était au cœur des discussions du contre-G7 de mercredi à Hendaye. L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, ratifié par l’Assemblée nationale le 23 juillet, fera venir dans nos assiettes un bœuf nourri avec des substances interdites en Europe.

Le contre-sommet du G7 d'Hendaye avait pour objectif de faire émerger des alternatives et des solutions face à l’urgence climatique et aux traités de libre-échange en amont à la réunion des chefs d'états des 7 états capitalistes dominants la planète, Mediapart a décrypté le volet alimentaire de cet accord canado-européen, tant l’impact va être lourd dans nos assiettes et sur notre environnement.

Trois filières sont concernées : la filière bovine – avec l’ouverture, pour les Canadiens, d’un quota de 64 750 tonnes de viande exemptées de droits de douane –, la filière porcine – 75 000 tonnes de viande exemptées de droits de douane –, et la filière du froment – 100 000 tonnes.

Les filières de production européenne ne sont pourtant pas en manque, et le développement du commerce international est en contradiction totale avec l’urgence de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Mais la portée du Ceta va encore plus loin. Les standards de la production bovine outre-Atlantique n’ont en effet rien à voir avec ceux du continent européen. Les conséquences ne sont pas anodines : en termes de bien-être animal, d’impact sanitaire, de biodiversité et de lutte contre le changement climatique, l’importation de viande de bœuf canadienne va bousculer les équilibres agroalimentaires européens, pourtant déjà largement perfectibles en matière de préservation de l’environnement.

Car la production canadienne repose sur un modèle intensif poussé à l’extrême : deux tiers des exploitations bovines comptent plus de 10 000 bêtes. Une échelle incomparable avec la taille des fermes en France où l’on trouve, en moyenne, 60 à 70 vaches. Ces exploitations, que l’on appelle outre-Atlantique les feedlots, parquent les bêtes les unes sur les autres dans des zones d’engraissement à ciel ouvert, hiver comme été. Nul pâturage dans ces fermes industrielles, mais de la boue et du maïs OGM qui constitue 80 % de l’alimentation. Le transport du bétail pose aussi question : en Europe, l’acheminement à l’abattoir est limité à quatre heures de trajet. Au Canada, où il n’existe aucun texte législatif sur la question du bien-être animal, la limite est de huit heures.

Autre problème majeur de la production bovine canadienne : les substances ingurgitées par l’animal. Si le modèle agricole européen, développé depuis des décennies par les pouvoirs publics et encouragé par la PAC (Politique agricole commune), reste adossé à un schéma productiviste qui a déjà fait d’innombrables dégâts, il faut reconnaître que prises de conscience, épidémies et scandales agroalimentaires ont, depuis une vingtaine d’années, fait évoluer la législation. Rien de tel au Canada, où un total de quarante-six substances actives interdites en Europe sont utilisées comme pesticides dans la chaîne de production. Notamment l’atrazine, un herbicide interdit dans l’UE depuis 2003 car il a des effets néfastes dans le développement de l’embryon humain selon l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et l’université de Berkeley en Californie, il est massivement utilisé dans la filière bovine canadienne.

Autres substances interdites dans l’élevage européen : les farines animales. Contrairement à ce qu’assurent le gouvernement et les défenseurs de l’accord, rien n’est dit, dans le Ceta, sur le respect de l’interdit européen concernant le bœuf importé. Perspective d’autant plus inquiétante que l’Agence canadienne d’inspection des aliments a confirmé le 19 juillet à l’agence de presse Agra Presse que la législation canadienne autorisait l’utilisation de certaines protéines de ruminant dans l’alimentation de ces mêmes ruminants, comme les farines de sang et la gélatine.

Cela va à l’inverse du principe de non-cannibalisme de la production européenne, imposé en France et en Europe après le scandale de la vache folle à la fin des années 1990. Le règlement sur l’alimentation du bétail au Canada, lui, n’a pas changé depuis 1983 et les farines animales y sont bel et bien autorisées, comme on peut le constater sur le site de la législation canadienne.

Les antibiotiques s’ajoutent à cette longue liste de substances problématiques. Non pas que ceux-ci soient interdits dans les élevages français, mais ils y sont limités à un usage thérapeutique, alors qu’au Canada ils sont également utilisés comme activateurs de croissance, ce qui ne se fait plus en Europe depuis 1996. En outre, les bêtes ne peuvent être conduites à l’abattoir moins de quatre mois après leur dernière absorption d’antibiotiques. Il n’existe pas de telle règle au Canada.

Incohérences

Bref, le bœuf qui arrive dans nos supermarchés grâce au Ceta n’est pas du tout produit dans les mêmes conditions que sur le continent européen, et l’UE ne pourra pas imposer ses normes de production à son partenaire d’outre-Atlantique. D’ailleurs, Ottawa et Washington n’ont jamais caché leur ambition de contester les règles européennes, qui, à leurs yeux, entravent le commerce international.

Après l’interdiction européenne du bœuf aux hormones américain, les deux pays avaient ainsi obtenu de l’organe de règlement des différends de l’OMC, en 2008, qu’il autorise des sanctions commerciales contre l’UE. Sanctions par la suite suspendues en l’échange de l’octroi aux États-Unis de quotas exemptés de droits de douane… Les deux pays, avec d’autres, formulent aussi régulièrement des critiques vis-à-vis de la réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens.

Il n’y a finalement qu’un point dans le Ceta sur lequel le Canada s’engage, il s’agit l’utilisation d’hormones. Bœufs et porcs à destination de l’UE ne pourront pas avoir été nourris aux hormones et aux anabolisants. Cela implique le développement d’une filière spécifique pour l’exportation, tant la production en Amérique du Nord repose massivement sur ces substances.

Comment vérifier que ce mince engagement est respecté ? Le Ceta, comme l’accord commercial à venir avec le Mercosur (entériné en juillet à Bruxelles par la Commission sortante), prévoit la possibilité de contrôle de la chaîne de production canadienne par les autorités européennes. Mais ces contrôles seront organisés en collaboration avec les autorités locales, donc ils n’auront rien d’inopiné ni d’indépendant. Pour la FNB, l’Institut français de l’élevage bovin, ce n’est donc pas une garantie suffisante. L’organisme pointe en outre le manque de moyens du côté des services sanitaires européens pour contrôler la viande à l’arrivée.

D’autant qu’il est difficile de déterminer les substances ingurgitées par l’animal quand on est face à des conteneurs de viande transformée… Et dans l’Hexagone comme en Europe, il y a déjà bien des abus qui échappent aux contrôles. « On ne peut pas vérifier sur de la viande découpée si elle a été traitée aux hormones. C’est quelque chose qu’on ne peut voir que sur des animaux vivants », assure Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, joint par Mediapart.

Pourtant différents rapports avaient alerté à temps sur les conséquences néfastes du Ceta et sur ses aberrations vis-à-vis des règlements européens. L’un d’eux, que l’on peut difficilement attribuer à un lobby ou à une prise de position radicale, le rapport Schubert, commandé il y a deux ans par le gouvernement et rédigé par une commission d’universitaires, relevait :

« Rien n’est prévu dans l’accord Ceta en ce qui concerne l’alimentation des animaux (utilisation de farines animales et de maïs et soja OGM, résidus de pesticides…), l’utilisation des médicaments vétérinaires (notamment des antibiotiques) en élevage, le bien-être des animaux (élevage, transport et abattage). »

L'étude concluait, entre autres, sur le risque d’influence grandissante des lobbies dans la décision publique avec le mécanisme de coopération réglementaire entre l’UE et le Canada, au caractère illusoire des contrôles sanitaires, et à la nocivité du traité pour le climat. On y lisait :

« On peut regretter que cet accord de nouvelle génération ne prenne pas mieux en compte les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique et de développement durable en promouvant de manière ambitieuse la mise en place de systèmes agroalimentaires locaux et territorialisés, reliant consommateurs et producteurs en limitant les besoins de transformation et de transport des denrées alimentaires. »

Si on regarde d’un peu plus près les engagements de Paris et de Bruxelles en matière climatique, sanitaire ou alimentaire, les incohérences du traité sont à vrai dire innombrables. Accord de Paris, États généraux de l’alimentation, déclarations politiques… Le Ceta va à l’encontre de tous les affichages de ces dernières années.

Ainsi selon la loi votée à l’issue des États généraux de l’alimentation à la fin de l’année dernière : il est interdit, dit l’article 44,

« de proposer à la vente […] en vue de la consommation humaine ou animale des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par cette même réglementation ». 

Et que dire de l’objectif affiché par l’article 24 qui instaure un seuil de 50 % de production locale dans la restauration collective ?

Quant à Emmanuel Macron, il déclarait, un mois avant la ratification du Ceta, à l’occasion du centenaire de l’Organisation internationale du travail : « Je ne veux plus d’accords commerciaux internationaux qui alimentent le dumping social et environnemental, et en tant que dirigeant européen, je le refuserai partout où je n’aurai pas les garanties sur ce point. »

Derrière le Ceta, ce sont en réalité deux philosophies radicalement différentes de la production animale qui s’affrontent : en Europe, on privilégie le principe de précaution et la traçabilité tout au long de la chaîne, tandis qu’au Canada et aux États-Unis, c’est l’étape finale qui est privilégiée : la décontamination et le contrôle du produit.

Autrement dit, si la bête répond aux critères sanitaires au moment de l’abattage, quel que soit ce qu’elle a vécu ou ingurgité au cours de son cycle de vie, elle pourra arriver sur les étals de supermarché.

Changer de logiciel

« On n’imaginait pas le Canada avec des méthodes à des années-lumière de ce qui se fait en Europe, lâche Patrick Bénézit. Si un exploitant français se mettait à pratiquer les méthodes d’élevage canadiennes, il irait en prison. D’un côté, nos agriculteurs sont sous pression pour faire de la production de qualité et respectueuse de l’environnement, et de l’autre on fait rentrer, avec cet accord, de la merde sur nos marchés… Ça ne passe pas. »

Au-delà de la défense d’un type de production à la française, la FNSEA fait surtout valoir un argument économique : la filière bovine, déjà en difficulté, va souffrir encore davantage de l’importation de viande d’un autre continent. Surtout, celle-ci, bien meilleur marché que le bœuf européen en raison de coûts de production deux fois moins élevés, va tirer les prix à la baisse. La vente d’aloyau, pièce noble du bœuf qui fournit les entrecôtes, filets et autres faux-filets, risque d’être touchée en premier lieu, car le marché nord-américain, très tourné vers le steak haché, est moins friand que nous de cette partie la plus rémunératrice de la bête (elle représente le tiers de la valeur d’une carcasse). D’après Interbev, le prix de revient de l’aloyau en Europe est de 13,70 euros le kilo tandis qu’il est de 8,60 euros au Canada.

Christian Arvis, secrétaire de la FDSEA (section départementale de la FNSEA) de la Creuse, département agricole où 80 % des exploitants sont des éleveurs bovins, pointe les contradictions de la majorité présidentielle, pour laquelle il avait pourtant voté en 2017, espérant « que cela allait faire bouger un peu les choses ».

Le député qui a porté le Ceta à l’Assemblée nationale, Jean-Baptiste Moreau, est précisément l’élu de sa circonscription : un ancien éleveur bovin qui fut le président de sa coopérative.

« C’est pourtant quelqu’un qui connaît le terrain ! Il a perdu ses racines. C’est devenu un politicard. Est-ce qu’il vise une place au gouvernement ? »

Les critiques de la FNSEA sont toutefois à prendre avec des pincettes, tant le syndicat majoritaire a défendu pendant des décennies une agriculture française d’exportation. Or qui dit exportation dit traités commerciaux et dit importations. Difficile d’avoir l’un sans l’autre… La confédération à laquelle appartient la FNSEA au niveau européen, la Copa Cogeca, est d’ailleurs toujours favorable au traité de libre-échange avec le Canada.

L’impact économique du Ceta n’est pas négligeable.

Une étude d’Interbev réalisée en 2015 portait sur l’impact conjugué des deux traités alors en cours de négociation, le Ceta et le TTIP – l’accord de libre-échange avec les États-Unis, abandonné depuis. Mais les volumes pris en compte, 200 000 tonnes de viande bovine, correspondent aujourd’hui à peu de choses près au cumul entre Ceta, accord UE-Mercosur en cours de ratification (99 000 tonnes), et accord UE-Mexique (20 000 tonnes). L’association de la filière bovine française concluait sur un total de 30 000 exploitations menacées, soit 1/5e des éleveurs bovins de l’Hexagone.

Plus que les quantités proprement dites, c’est l’effondrement des prix consécutif à l’importation d’aloyau qui fera disparaître les exploitations. Or dans ce secteur, les éleveurs peinent déjà à dégager un revenu annuel entre 10 000 et 20 000 euros, et le manque de fourrage entraîné par trois années de sécheresse dans certains départements rend la situation particulièrement tendue.

Cerise sur le gâteau : les quotas du Ceta peuvent être réévalués par l’UE à tout moment sans négociation avec les États membres, et d’autres traités commerciaux à venir prenant modèle sur cet accord vont continuer à augmenter les volumes.

Pour toutes ces raisons, la Confédération paysanne tient un discours bien plus général que la seule opposition au Ceta. Selon elle, c’est le principe même des accords de libre-échange et notre modèle de production qui sont à revoir. « Chacun regarde les accords de libre-échange en fonction de son propre intérêt, dénonce ainsi Olivier Thouret, éleveur bovin et caprin et co-porte-parole de la Conf’ dans la Creuse.

Selon nos dirigeants, même si le secteur bovin en pâtit, le Ceta serait globalement favorable à la France, donc il faut être pour. Comme si la France était au centre du monde ! C’est un raisonnement purement économique. Mais si on est tous d’accord aujourd’hui sur le diagnostic du changement climatique, il faut changer de logiciel. Il ne s’agit pas juste de mieux travailler pour mieux respecter l’environnement. Il faut se mettre dans la logique de la transition écologique. »

Nicolas Girod, porte-parole du syndicat au niveau national, renchérit :

« Le Ceta reste dans ce modèle d’agriculture industrielle basée sur les échanges et le produire plus et moins cher. Pourtant, on est actuellement dans un moment de convergence : d’un côté les altermondialistes et ce que la Confédération paysanne défend depuis trente ans, et de l’autre, les jeunes mobilisés sur le climat. Le G7 pourrait marquer ce moment de basculement. »

Il y a tout juste vingt ans, en août 1999, le McDonald’s de Millau était démonté. Avec ce geste, la Confédération paysanne voulait dénoncer les décisions de l’OMC, la malbouffe et les effets de la mondialisation sur le monde agricole.

Depuis, les dérèglements climatiques se sont dangereusement accélérés. Le Ceta, accord qui se prétend d’un nouveau type, fait l’effet d’un douloureux surplace.

Sources :

Article Amélie Poinssot pour Médiapart

 

Publié dans Economie, International

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