À propos d’un texte de Bernard Vasseur, philosophe, par Roland Farré

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Dans son livre Sortir du capitalisme, Bernard Vasseur réussit un double exploit : critiquer la politique du Parti communiste en ignorant superbement la substance de cette politique, telle qu’elle a pourtant été exposée avec une grande clarté au 38ème congrès du PCF, et se réclamer de Marx contre « le marxisme » sans s’intéresser un instant à ce qui occupé le grand penseur toute sa vie : l’étude du capital. Ces deux impasses sont évidemment très liées entre elles.

 

Je pense aux jeunes communistes (plus jeunes que moi, c’est certain) qui lisent Marx, et d’abord (?) Le Capital, en entamant ainsi l’étude de l’économie politique, liée à l’histoire : domaine dont on possède une large connaissance et des analyses globales, structurelles, évolutives, dans un ensemble de domaines constitutifs d’une société et d’un système.

 

La découverte de la logique du capital et sa prise de conscience nécessitent une étude préalable de tous les domaines de la réalité économique et sociale afin de donner aux luttes leurs objectifs et leurs moyens d’y parvenir. Faire l’impasse sur ce vaste travail, c’est repousser à l’infini la réalisation du communisme. Et réduire chacune des luttes nécessaires contre l’un et l’autre projet de la droite à son objet immédiat et précis consisterait à limiter la portée de chaque action en perdant de vue le combat général contre le capital.

 

J’ai eu ce que je considère comme l’une des chances de ma vie – j’en ai eu bien d’autres – celle des premières rencontres, lors de ma vie militante à Paris, avec des économistes communistes et des membres du Parti communiste qui publiaient des journaux ronéotés et certains ouvrages sur la concentration du capital : c’était le B-A BA de l’étude des bilans. Puis arriva la section, puis la commission économique du comité central, avec la revue Économie&Politique : longue histoire, certes mouvementée, dont je ne retiens ici que l’aboutissement de la pensée communiste en matière économique. Il s’agit d’une œuvre collective d’économistes communistes qui, à partir de Marx, développent une vision de l’évolution constitutive du capital au XXe siècle et notamment dans sa deuxième moitié avec le développement du capitalisme monopoliste d’État, débouchant à partir de la fin des années 60 sur une crise systémique du capital.

 

Je me souviens de l’énorme surprise de ma section lorsque j’exposais cette théorie : ils en restaient sur la première période. Cette méconnaissance des causes de la crise du capital, étudiée par Paul Boccara, troublait notre vision collective de l’économie, au sein de laquelle persistait l’image des années 50 et 60 d’un capitalisme triomphant et dominateur… avec les premières poussées anticapitalistes (1968) mais l’idée ancrée que le système peut se réformer.

 

Mais le développement de la crise économique présente et prévisible pour 2023 ne permet à aucun courant politique d’afficher un projet triomphateur sans révolution de l’économie et des rapports sociaux.

 

J’ai vécu ce passage de l’étude fondamentale marxiste du capitalisme jusqu’à l’analyse du capitalisme du XXe siècle et à la crise du capital dans laquelle nous sommes bel et bien plongés. Le Parti communiste français, dans l’incommensurable maelström idéologique du monde actuel, a su élaborer, avec son 38ème congrès, une vision globale du système et du monde. Il a permis d’adopter un programme politique à mettre en œuvre en œuvre pour la solution des problèmes, notamment la sécurisation de l’emploi, de la formation et du revenu, pierre d’angle pour l’édification d’un nouveau fonctionnement de la société et pour la construction du communisme.

 

Il s’agit d’un projet fondamental de transformation de l’entreprise, du travail, avec la participation des salariés, la mise en place de nouveaux services publics, la conception de l’économie avec les citoyens pour le contrôle des objectifs et des moyens.

 

Avec ce projet, il s’agit de modifier, au cœur même de l’entreprise, le concept de celle-ci, le mode de production avec la participation des salariés dans les orientations, les choix, les conditions de la production des richesses, les investissements, l’emploi, leur utilisation pour la rémunération du travail, la recherche, le temps et les conditions de travail, la santé, le financement…

 

Comment aller vers le communisme sans lutter pour la construction de ses bases matérielles et sociales ? Ne pas répondre à la question, c’est s’éloigner du combat .

C’est viser à faire régresser le Parti communiste jusqu’à des positions antérieures à ses bases historiques conquises en 2018, après des années de luttes dont certains s’efforcent encore de remettre en causes les résultats bénéfiques, prometteurs d’avancées historiques.

 

Au-delà de l’entreprise, en lien avec l’économie, le problème de la formation, de la culture, de l’écologie, de la vie dans la société, du développement économique et social aujourd’hui gravement menacé en France notamment et en Europe , nous avons pour tâche prioritaire de de développer ce vaste projet de sécurisation de l’emploi, de la formation, du salaire. Il doit permettre de répondre à l’ensemble des revendications des travailleurs, des salariés, des techniciens, des ingénieurs. Il doit répondre au besoin de résorption du chômage et son élimination, et d’aller progressivement vers la transformation du salariat et sa disparition, en même temps que la domination du capital sur l’ensemble de la société, contre la mise à mal par le capital des forces humaines de travail et de production des richesses matérielles et intellectuelles. Il s’agit, dès maintenant, de lutter.

 

Le 38ème congrès en 2018 a permis de débattre pendant des mois de l’ensemble du projet communiste, de sa conception pour à la fois sortir de la crise profonde actuelle en construisant les moyens permettant d’ouvrir l’avénement d’une autre société et d’une autre civilisation.

 

Il semble évident qu’aujourd’hui l’action est devenue urgente pour faire connaître nos analyses et notre projet en rassemblant les couches populaires dans la lutte contre la politique de la droite et de l’extrême-droite, à laquelle les conceptions sociales-libérales n’opposent qu’un vague rideau flottant, visant à décourager la prise de conscience et les luttes. Or, le besoin de révolution est latent. Il est vain de se voiler la face, de chercher des moyens détournés.

 

En définitive, le livre de Bernard Vasseur est substantiellement détaché du mouvement profond qui agite les couches populaires concernées par les attaques violentes du capital et les forces politiques qui agissent sous sa direction. Sa contribution n’est qu’un apport à la vague conception d’un parti communiste satellisé dans l’orbite de vieilles conceptions social-démocrates contaminées par l’idéologie libérale, impuissantes devant le molosse capitaliste : disons-le franchement : les communistes sont vaccinés contre cette maladie et ses variants.

 

Sortir du capitalisme ? Certes mais ce n’est pas en suivant ce livre que nous trouverons l’issue.

 

Roland Farré

Publié dans Economie, 39ème congrès

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