Lu dans La Pensée : "Rejane Senac, Radicales et fluides. Les mobilisations contemporaines"

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Lors d’un récent débat intitulé « radicalité » sur France Culture on pouvait entendre Christophe de Voogd, historien et professeur de rhétorique politique à Sciences Po, affirmer : « C’est vrai qu’on remarque que ce mot “radicalité” est très à la mode, et on l’entend dans la bouche d’Éric Zemmour et en même temps de Sandrine Rousseau et de Gabriel Attal, dans tous les coins du spectre politique. C’est un mot à la mode notamment parce qu’il évite de parler d’extrémisme qui demeure négativement connoté »

 

En écho Réjane Sénac, directrice de recherche au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), précisait :

 

« Le terme de radicalité a été abordé, dans une perspective qui ressemble à celle développée par la sociologue Isabelle Sommier, qui dit que les engagements peuvent être liés à la radicalité quand ils s’inscrivent dans une posture de rupture vis-à-vis de la société d’appartenance ».

 

L’ouvrage qu’elle publie possède à mes yeux une double originalité : il permet de théoriser les mobilisations contemporaines tout en donnant la parole à leurs acteurs et actrices.

 

Réjane Sénac a ainsi interrogé 130 responsables d’association ou de collectif, entrepreneurs sociaux et activistes aux affiliations plurielles, afin de mieux comprendre leur rapport à l’émancipation, notamment la place qu’ils accordent au principe d’égalité.

 

S’approprier l’espace public, y prendre la parole pour dénoncer les injustices vécues : tel est le principal modus operandi des mobilisations contemporaines, des mouvements d’occupation des places, de #MeToo en passant par les Gilets jaunes.

 

Deux traits communs émergent de cette enquête : les mobilisations – pour la justice sociale et écologique, contre le racisme, le sexisme et le spécisme – sont radicales par les remises en cause et les utopies qu’elles portent, et fluides par leur refus d’un cadre fixe et définitif.

 

Le philosophe Francis Wolf interprète les mobilisations contemporaines comme des révoltes ayant « une constante qui les distingue des utopies révolutionnaires passées : on se rebelle contre quelque chose, on ne se mobilise pas pour quelque chose ».

 

Les responsables d’association et activistes interviewé.e.s dénoncent des injustices et leurs causes, partagent un diagnostic et l’opposition à un ennemi commun. Mais l’horizon commun reste polémique dans la mesure où des divergences portent sur l’articulation du « qui », du « quoi », et du commun des mobilisations.

 

Au-delà de leurs divergences sur le « comment » les interviewé. es font part de leur attachement à une transformation globale de la société. Elles. ils bousculent les dichotomies telle que réformisme/révolutionnaire, pragmatisme/utopie en associant leur engagement contre les injustices à une réhabilitation du politique en acte en se démarquant d’un rapport à la politique qui, en la réduisant à l’art du possible, la transforme en gestion faussement neutre, alors qu’affirme l’auteure – en harmonie avec l’historienne américaine Joan Scott – le politique est l’art de faire advenir l’impossible dans l’intervalle entre ce qui est et ce qui devrait être.

 

Comme le souligne Réjane Sénac, la méfiance envers ce qui est associé à un risque de recomposition d’une unité hégémonique, voire totalitaire, amène à prendre de la distance vis-à-vis de toute généralisation, qu’elle soit procédurale ou idéologique.

 

La transformation de la société passe par une diversité de tactiques et d’expérimentations. Plus de grand soir à l’horizon, mais des « petits jardins » des « jardins partagés ».

 

Patrick Coulon Article publié dans La Pensée

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