L’Ultra-trail du Mont-Blanc asphyxie la vallée de Chamonix

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Vincent Viet (à gauche) et Xavier Thevenard (à droite) lors de l'UTMB de 2019. Cet ultra-trail entraîne de nombreuses nuisances : sur-tourisme, pollutions... - © Jeff Pachoud / AFP

Vincent Viet (à gauche) et Xavier Thevenard (à droite) lors de l'UTMB de 2019. Cet ultra-trail entraîne de nombreuses nuisances : sur-tourisme, pollutions... - © Jeff Pachoud / AFP

Le rendez-vous mondial du trail, l’UTMB Mont-Blanc, se tient à Chamonix. Dans la vallée, déjà asphyxiée par le tourisme de masse, on s’élève contre cette « course au pognon ». Certains coureurs s’indignent eux aussi. Cet article est publié par Reporterre. Chamonix (Haute-Savoie), reportage

 

Des tonnelles se dressent en centre-ville, des banderoles à l’effigie de marques de sport flottent dans la vallée et des maillots floqués « UTMB » habillent de nombreux badauds. Chamonix accueille la vingtième édition de l’Ultra-trail du Mont-Blanc jusqu’au 3 septembre [1]. Un évènement titanesque qui rassemble plus de 100 000 personnes dont environ 10 000 coureurs et 20 000 accompagnants.

 

L’évènement débute lundi 28 août avec huit courses étalées sur la semaine mais l’épreuve reine, l’UTMB 100M, s’élancera le 1er septembre depuis Chamonix. 171 kilomètres, 10 000 mètres de dénivelé positifs, un tour du Mont-Blanc avec trois pays traversés et des points de vue à couper le souffle. Les quelque 2 300 coureurs tirés au sort ou sélectionnés pour cette course réalisent un rêve. « C’est le trail le plus important du monde et le plus médiatisé. C’est là qu’il faut être performant », dit Andy Symonds, un coureur anglais qui est arrivé onzième de l’UTMB l’an passé. « C’est une course emblématique », confirme le coureur français Xavier Thévenard qui a remporté trois fois l’UTMB, « les glaciers, la diversité des paysages, le Mont-Blanc, tout est incroyable ».

 

« Nous ne sommes pas des partisans de la décroissance »

 

Cette renommée vaut à l’UTMB le statut de finale mondiale du trail avec 118 nationalités représentées. Des coureurs et des spectateurs du monde entier se bousculent pour venir dans la vallée de Chamonix durant l’évènement impliquant de nombreux déplacements. En 2019, l’organisation de la course avait mandaté WWF pour réaliser un bilan carbone de la semaine. En prenant en compte uniquement les coureurs et leurs accompagnants, WWF a estimé que l’empreinte carbone s’élevait à 11 610 tonnes équivalent CO2 pour l’édition 2019. Un chiffre catastrophique, principalement dû aux déplacements en avion et qui équivalent au bilan d’un Grand Prix de Formule 1.

 

« Il faut réfléchir à des solutions », estime le champion Xavier Thévenard, « on pourrait imaginer un UTMB tous les quatre ans par exemple, ou favoriser les coureurs qui viennent avec des moyens de transport doux et décarbonés ». Élu d’opposition à la mairie des Houches, une commune voisine de Chamonix, Stéphane Lagarde partage cet avis : « On devrait surtout revenir à une taille d’évènement raisonnable, comme c’était le cas durant les premières années. »

 

Ancien directeur de la course automobile des 24 heures du Mans et désormais à la tête de l’UTMB Group, Frédéric Lénart n’envisage pas une telle possibilité. « Nous ne sommes pas des partisans de la décroissance », déclare-t-il à Reporterre.

 

Xavier Thévenard (ici en 2013) : « On pourrait imaginer un UTMB tous les quatre ans par exemple, ou favoriser les coureurs qui viennent avec des moyens de transport doux et décarbonés » Wikimedia / CC BY-SA 3.0 / ESM

 

La décroissance n’est en effet pas à l’ordre du jour pour l’entreprise qui n’a cessé de se développer au fil des années. En 2021, l’UTMB Group a choisi de s’associer avec l’entreprise américaine IronMan, référence dans l’évènementiel sportif, pour créer un circuit mondial du trail. Deux ans plus tard, ce sont trente-six courses qui sont organisées à travers le monde avec le programme « UTMB World Series ». La petite organisation chamoniarde a bien grandi depuis vingt ans avec un chiffre d’affaires qui atteint désormais 14 millions d’euros.

 

L’évènement phare — l’Ultra-trail du Mont-Blanc qui s’élancera le 1er septembre — a aussi changé de dimension ces dernières années. En dix ans, « le super bowl du trail » comme il est parfois surnommé, est passé de quatre à huit courses, de quatre jours de compétition à une semaine, de 5 000 à 10 000 coureurs.

 

Ce développement engorge un territoire déjà marqué par une saison estivale extrêmement dense. « C’est un enfer d’être dans la vallée durant la semaine de l’UTMB », dit Marie [2] à Reporterre. « Depuis trois ans, je fais en sorte de quitter le territoire avec ma famille. Entre les bouchons, la saturation des parkings, des rues et des supermarchés, c’est devenu tout simplement invivable », déclare la chamoniarde qui habite à côté de la place Mont-Blanc, épicentre de l’évènement.

 

« C’est devenu une course au pognon »

 

Pour Timothée Mottin, président de Boutch à boutch, une association chamoniarde qui promeut les initiatives citoyennes, « il y a un rejet global de cet évènement dans la vallée. On est déjà en proie au sur-tourisme et le territoire n’a clairement pas les moyens d’accueillir autant de monde », déclare-t-il à Reporterre. « C’était un évènement familial quand cela a commencé en 2003 », poursuit Timothée, qui a grandi dans la vallée. « J’étais bénévole pour le balisage des sentiers comme de nombreux amis à moi. Et puis il y a eu toute cette marchandisation autour du trail, la multiplication des courses et un développement sans limites de l’évènement, c’est devenu une course au pognon. »

 

Durant une semaine, la ville vit pour cette course, qu’elle le veuille ou non. Routes barrées, écrans géants dans le centre-ville, village de marques, publicités, animations… « Il ne reste aucun endroit de libre à Chamonix, l’UTMB accapare la ville », soupire Timothée Mottin, « tous les espaces sont occupés par la course et les marques de sports ».

 

Vice-président de l’association de protection des territoires de montagne Mountain Wilderness, Frédi Meignan dit de son côté qu’il faut « stopper cette course au gigantisme. Ces grandes manifestations sont inadaptées à nos territoires de montagne ».

 

« Il y a eu toute cette marchandisation autour du trail, la multiplication des courses et un développement sans limites de l’évènement », regrette un habitant. © Justin Carrette / Reporterre

 

Pour justifier l’expansion, les organisateurs prétendent contribuer largement à la vie économique de la vallée. En 2022, l’UTMB Mont-Blanc aurait permis de générer 23 millions d’euros de dépenses sur le territoire. « Est-on capable de sacrifier notre vallée pour des retombées économiques ? » s’interroge l’élu des Houches Stéphane Lagarde.

 

Une mobilisation des coureurs

 

Cette année, l’Ultra-trail du Mont-Blanc a également fait le choix d’un nouveau nom, le « Dacia UTMB Mont-Blanc » en l’honneur de son partenariat avec le constructeur automobile. Un parrain qui fait réagir, notamment le traileur Damian Hall qui a participé quatre fois à la course, terminant notamment cinquième en 2018. « L’UTMB prétend célébrer la nature et la durabilité, et pourtant elle s’est alliée à l’une des industries les plus polluantes de la planète. »

 

Le coureur britannique a lancé une pétition en ligne avec son association The Green Runners pour demander à l’UTMB de prendre ses distances avec Dacia et a déclaré ne plus vouloir participer à cette course tant que le partenariat perdurera. « Nous avons tous vu les scènes horribles qui se sont déroulées sur la planète cet été : incendies au Canada et en Grèce, inondations catastrophiques. La situation mondiale est plus qu’urgente et les combustibles fossiles sont le problème », dit-il à Reporterre pour justifier son choix de boycotter l’UTMB.

 

D’autres, comme le coureur anglais Andy Symonds, craignent que ce type de partenariat se multiplie à l’avenir. « À ce rythme, on va bientôt porter des dossards TotalÉnergies ou Ineos, comme au cyclisme. Il faut se mobiliser dès maintenant. »

 

 

Xavier Thévenard, qui a déjà remporté les quatre courses individuelles de l’UTMB, ne sera pas au départ de l’édition 2023 pour des raisons de santé. « Mais si mon état physique l’avait permis, je me serais posé la question de ma participation cette année », dit l’ultra-traileur. « On tente de sensibiliser les organisateurs, les coureurs et le public aux enjeux climatiques, et derrière l’UTMB noue un partenariat avec Dacia », résume, amer, le coureur.

 

Justin Carrette  Article publié par Reporterre

 

 

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