Le réchauffement accélère t-il ? par Sylvestre Huet

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Le réchauffement climatique serait-il en train de s’emballer ? Les climatologues sont-ils passés à côté d’une accélération du changement en cours ? Le sujet est chaud chez les climatologues… comme dans les discussions de comptoir ou des articles de journalistes. Logique. Certains phénomènes climatiques récents semblent donner le tournis à la science du climat.

 

Par exemple, ces températures de l’océan entre 60°S et 60°N qui explosent tous les records connus. Les derniers mois montrent une hausse par rapport au record précédent équivalente à 20 ans de réchauffement moyen !

 

Habitués à voir les océans jouer un rôle de modérateurs – parce que l’inertie thermique de l’eau est bien plus forte que celle de l’air dit la physique – les climatologues et océanographes en restent babas.

 

 

Ou alors, cette étendue spectaculaire des incendies de forêts au Canada, durant l’été 2023 avec les effets en cascade sur l’environnement, la biodiversité, la santé publique ou l’économie.

 

Les incendies de forêts au Canada ont dévasté des surfaces de plus de 17 millions d’hectares, soit pas loin du tiers de la France hexagonale. source https://twitter.com/SergeZaka/status/1702031453914042626/photo/1

 

Mais se passe t-il vraiment quelque chose, et quoi dans le système climatique qui pourrait s’apparenter à un emballement ?

 

Réponse de James Hansen, un climatologue américain, qui à longtemps travaillé pour la NASA et l’Université Columbia de New York, célèbre pour son audition en 1988 au Sénat des USA où il sonnait déjà le tocsin. Malgré sa retraite, méritée, il continue d’alimenter de ses analyses la communauté scientifique et le grand public. Voici un résumé de la dernière, en graphiques commentés.

 

1- Oui, on va vers un record, la faute au Niño

 

 

Depuis juin, la température moyenne mondiale bat les records connus pour juin, juillet et août. Le graphique ci-dessus met en comparaison les années précédant celles où El Niño, le phénomène couplé entre océan et atmosphère qui survient dans le Pacifique tropical, a poussé les températures moyennes annuelles vers des records en 1998 et 2016. 2023 sera clairement au dessus de 2015 et, logiquement, on peut s’attendre à ce que 2024 batte le record actuel qui date de 2016… si El Niño s’avère intense. En revanche, s’il s’étiole dans les trois mois à venir, 2024 pourrait rester en dessous, de peu, de 2016.

 

 

Attention, ce n’est pas une courbe des températures, mais des écarts à la moyenne (anomaly en anglais), calculée sur 1991 à 2020, des températures de la surface de l’océan dans une zone caractéristique de l’oscillation El Niño/La Niña. La courbe ne fait donc pas apparaître la montée de la température moyenne due au réchauffement climatique mais uniquement le phéonomène dit ENSO (El Niño southern oscillation) afin de mesurer l’intensité du Niño ou de la Niña indépendamment du réchauffement climatique.

 

Pour l’instant, El Niño est encore en phase de montée, il est trop tôt pour savoir si on aura affaire à un « super El Niño » comme en 2015/2016 ou en 1997/1998 ou à un Niño moyen comme en 2009. Réponse en décembre 2023.

 

2- Une accélération ?

 

Jim Hansen calcule que l’élévation de la température depuis 1970 est de 0,18°C par décennie. Mais si l’on prend comme bornes 1998 et 2016, les deux super El Niño de la période, alors on trouve un réchauffement de 0,24°C par décennie ! Ouch ! Surtout que si 2024 est boosté par un fort El Niño d’ici fin décembre 2023 – l’effet sur les température atmosphérique est toujours décalé de quelques mois – on va dépasser le record de 2016. D’où l’intérêt d’une analyse fine des raisons de cette accélération depuis 1998 afin de déterminer si elle peut se poursuivre.

 

Températures planétaire mensuelles en moyenne glisssante sur 12 mois (en bleu) et sur 132 mois (en rouge) en écart à la moyenne calculée sur la période 1880 à 1920. Les carrés noirs sont les moyennes annuelles.

 

3- Le Soleil ?

 

Parmi les causes de variations de la température moyenne planétaire (mesurée dans les stations météo terrestres, entre 1 et 2 mètres du sol, sous abri, et à la surface des océans) il y a les variations d’irradiation du Soleil, qui suivent une oscillation d’environ 11 ans. Mais cette variation est de très faible ampleur, et ne montre pas de tendance à l’élévation depuis 1975. Elle ne peut donc pas avoir joué un rôle dans l’évolution de la température planétaire observée sur cette période. Si, dans la période la plus récente, depuis 2019, on est en phase d’augmentation du cyle, sa contribution positive demeure très faible au regard de l’élévation des températures mesurées.

 

L’énergie solaire entrante dans le système Terre est mesurée en watt par mètre carré au sommet de l’atmosphère tropicale (donc, elle est moindre en moyenne, parce que la Terre est ronde, avaient oublié Vincent Courtillot et Claude Allègre, c’est ballot pour d’anciens directeurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris).

 

4- Le déséquilibre du sytème Terre

 

La cause fondamentale du réchauffement, c’est le déséquilibre entre l’énergie reçue par la Terre et l’énergie qu’elle renvoie vers l’Espace.

 

Graphique du livre Le Giec, urgence climat, Sylvestre Huet, Tallandier, 2023.

 

Le principal mécanisme du changement climatique en cours est la réduction du rayonnement thermique émis par la Terre. Il est provoqué par l’augmentation de la teneur en gaz à effet de serre de l’atmosphère : elle devient plus opaque aux rayons infrarouges terrestres et se réchauffe. Le rayonnement thermique vers l’Espace provient alors de niveaux plus élevés et plus froids, ce qui réduit les pertes d’énergie dans l’Espace, provoquant le déséquilibre énergétique planétaire et donc le réchauffement climatique. Le graphique ci-dessous montre l’évolution de ce déséquilibre énergétique mesuré par satellite depuis 2020. Une évolution à la hausse.

 

Le déséquilibre énergétique de la Terre, dû au renforcement de l’effet de serre, mesuré en watt par mètre carré, montré en moyenne mensuelle (bleu clair), sur 12 mois glissants (bleu foncé), en moyenne sur janvier 2020 à juin 2023 (rouge) et sur janvier 2015 à décembre 2019 (turquoise).

 

5- Le rôle des nuages et de la pollution.

 

Mais, s’interroge Hansen, l’accélération mesurée depuis 1998 est-elle uniquement le résultat de ce mécanisme d’effet de serre ? Non, montre t-il, il se passe quelque chose de spécial, depuis 2015, pour un autre phénomène, l’albédo de la planète. C’est-à-dire la part de l’énergie solaire qui est directement renvoyée dans l’Espace lorsqu’elle arrive dans le système climatique. Un satellite qui mesure la part absorbée, celle qui va participer au fonctionnement du système climatique, observe que cette part augmente très sensiblement depuis 2015. Mais qu’est-ce qui a bien pu changer si rapidement l’albédo de la Terre ?

 

Ce graphique de l’évolution de la partie de l’énergie solaire absorbée par la Terre – par opposition à la partie directement renvoyée vers l’Espace – montre une augmentation significative par rapport à la moyenne de 2000 à 2010. Une hausse de 0,99 watt par mètre carré pour la période janvier 2015 à décembre 2019 et de 1,29 watt par mètre carré pour la période de janvier 2020 à juin 2023.

 

6- Une moindre pollution et moins de nuages ?

 

D’où peut bien provenir cette augmentation de la part absorbée de l’énergie solaire, autrement dit de la diminution de l’albédo de la Terre ?  L’albédo de la planète est très élevé pour les surfaces claires, maximal pour la neige fraiche ou la glace bien blanche par exemple… mais aussi pour les nuages, en particulier le sommet des nuages bas ou les déserts. A l’inverse, les surfaces sombres, végétaux et océans, ou routes asphaltées, absorbent une plus grande part de l’énergie solaire.

Or, Hansen montre, avec les deux graphiques ci-dessous, qu’il se passe quelque chose de spécial depuis 2015. La planète absorbe plus d’énergie solaire au total (graphique de gauche). Mais cela est surtout dû à une augmentation importante dans le Pacifique nord et l’Atlantique nord. La seule explication possible est un changement significatif dans la couverture nuageuse au dessus de ces océans.

 

L’absorption d’énergie solaire par la Terre augmente après 2015 (gauche), mais ce phénomène s’explique surtout par ce qui se passe au dessus des océans Pacifique Nord et Atlantique Nord.

 

Cette couverture peut varier naturellement. L’un de ses facteurs de variation est la Pacific Decadal Oscillation.

 

 

Sa phase positive est corrélée avec une diminution de la couverture nuageuse sur l’océan et donc une plus grande absorption de l’énergie solaire. Elle pourrait donc expliquer en partie l’évolution mesurée en 2015 et 2016. L’ennui, c’est que depuis 2020 elle est fortement négative et aurait donc dû se traduire par une couverture nuageuse plus importante et une augmentation de l’albédo, le contraire de ce qui est observé. Il faut donc chercher ailleurs.

 

En 2015, se produit un changement réglementaire important. L’Organisation Maritime Internationale met en vigueur une réglementation visant à diminuer la pollution en particules de sulfates des navires commerciaux. Une réglementation encore durcie en 2020.

 

L’Organisation Maritime Mondiale a durci en 2020 les règles qui imposent depuis 2015 aux navires commerciaux de diminuer drastiquement leurs émissions de particules de sulfates

 

Les physiciens de l’atmosphère le savent, ces particules de sulfates favorisent la formation de nuages. Et, comme le montrent les graphiques ci-dessous, la contribution des navires aux particules de sulfate était majeure et massive au dessus des océans Pacifique Nord et Atlantique Nord, avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles de l’OMI.

 

 

La corrélation entre les dates de ces règles et la géolocalisation, au dessus des deux océans les plus impactés, de la diminution de l’albédo conduit Hansen à avancer l’hypothèse que l’on doit à cette politique anti-pollution une part de responsabilité importante dans l’évolution des températures depuis 2015.

 

Mais pourquoi n’est-ce qu’une hypothèse (d’ailleurs posée dès 2018 par une équipe de chercheurs)  ? Parce que corrélation ne vaut pas causalité, se dit toujours un scientifique prudent. Et parce que les climatologues, malgré les demandes répétées à la Nasa de Hansen dans les années 1990, n’ont pas pu envoyer autour de la Terre les instruments capables de mesurer avec précision l’impact climatique des aérosols (dont les particules de sulfates).

 

Cette politique de restriction des émissions de particules sulfatée ne peut que perdurer à l’avenir puisqu’elle poursuit des objectifs sanitaires qui font consensus. Elle produira donc les mêmes effets climatiques suspectés par Hansen. Un phénomène qui souligne une alerte très paradoxale lancée depuis longtemps par les climatologues : toutes les politiques sanitaires visant à réduire les émissions d’aérosols par les industries, les transports et les équipements de chauffage utilisant charbon, pétrole ou bois auront un effet climatique réchauffant, en supprimant un facteur anthropique refroidissant. Ce qui n’est vraiment pas une raison valable pour ne pas conduire ces politiques.

 

Sylvestre Huet

 

Nous remercions Sylvestre Huet de cet article publié dans le Monde qui nous donne des éléments de compréhension importants sur le réchauffement climatique.

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