Une baisse de la productivité des salariés en trompe l'oeil !

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

Le secteur privé produit en 2023, 2 % de plus qu’en 2019. Pourtant, pour produire ces 2 % supplémentaires, il a besoin de 6,5 % de salariés en plus. Avant la crise sanitaire, le salarié était plus productif de 0,8 % par an : à ce rythme, les salariés de 2019 produiraient près de 3 % de plus aujourd’hui. Autrement dit, puisque la production a été moindre, si la hausse de la productivité du travail avait suivi son rythme, il aurait fallu détruire autour de 180 000 emplois pour garder un taux de marge identique. Or, 1,13 million ont été créés. Explications.

 

Il y aurait ainsi 1,3 million d’emplois dont l’existence interroge : les travailleurs et travailleuses français seraient-ils donc devenus moins productifs  ou est-ce l'effet d'un nouveau partage du travail ?

 

 

On pourrait évoquer des facteurs comme la perte de sens ou l’émergence du télétravail. Avant d’émettre ces hypothèses néanmoins, d’autres pistes doivent être explorées.

 

Non, le salarié n’est pas devenu beaucoup moins productif

 

La première consiste à vérifier si la perte de productivité ne serait pas qu’apparente dans la mesure où le salarié, en moyenne, travaillerait moins longtemps.

 

Le taux d’absence au travail, supérieur aujourd’hui à ce qu’il était avant crise (6,5 % contre 3,5 %), constitue un élément d’explication. En effet, même en arrêt de travail, un salarié reste comptabilisé dans l’emploi. Celui-ci ayant besoin d’être remplacé, il y aura mécaniquement plus de personnes comptabilisées pour produire autant. Au niveau macroéconomique, la productivité apparente diminue alors mathématiquement, mais cela ne revient pas à dire que l’individu en place est lui-même moins efficace à la tâche.

 

Un autre élément à prendre en considération est la forte croissance de l’apprentissage. De 350 000 avant la crise sanitaire, le nombre d’apprentis s’élève aujourd’hui à 900 000. Cela compte pour une bonne part des 1,13 million d’emplois créés. Or, un salarié apprenti reste moins productif qu’un salarié non-apprenti. À nouveau, ce n’est peut-être pas le salarié en place qui est devenu moins productif mais la moyenne qui est tirée vers le bas en raison de l’arrivée de travailleurs qui ont encore besoin d’apprendre et qui ont généralement une durée du travail moins longue.

 

Il faut également garder en tête que le coût réel du travail a diminué depuis 2019 : le niveau des rémunérations s’est élevé moins rapidement que l’inflation. Ce qui génère nombre de conflits sociaux. Si le travail est moins coûteux pour les entreprises, cela peut expliquer qu’elles aient recruté davantage mais beaucoup n'ont pas embauché faisant le choix d'accumuler des profits, c'est souvent le cas des grandes entreprises.

 

Enfin, la période récente a été marquée par les nombreuses aides apportées par l’État aux entreprises sans condition, avec notamment les prêts garantis par l’État. Elles ont peut-être été telles qu’elles ont pu sauver des entreprises qui auraient dû faire faillite même sans la crise sanitaire, et avec elles leurs emplois, c’est-à-dire les entreprises et les emplois les moins productifs. Des aides ont pu aussi être versées à des entreprises qui n’avaient pas particulièrement besoin de trésorerie et qui ont utilisé ce surplus pour embaucher.

 

Ces quatre facteurs expliqueraient les deux tiers des créations d’emploi. Deux tiers de la baisse de productivité mesurée n’ont pas vraiment eu lieu donc.

 

Quelles conséquences sur les salaires ?

 

Quid du restant ? Une analyse par secteur montre que ces quatre facteurs expliquent la totalité des créations d’emplois observées dans les services. En revanche, ils se montrent assez limités pour rendre compte des dynamiques dans les secteurs de l’industrie et de la construction. Le tiers inexpliqué réside ainsi dans ces secteurs.

 

 

On peut ici formuler l’hypothèse que ce sont des phénomènes de rétention de main-d’œuvre qui s’exercent. L’emploi industriel est un emploi plutôt qualifié, et les qualifications requises deviennent des denrées rares, ce qui fait que la formation est devenue un enjeu majeur pour l'efficacité de la production.

 

Les entreprises du secteur sont plus réticentes à licencier, même lorsqu’elles rencontrent des difficultés comme cela a été le cas avec les chocs qu’ont été la pandémie et la crise énergétique : ce serait risquer de ne pas réussir à recruter au moment où l’activité repart à la hausse. Un retour de croissance dans l’industrie se ferait alors sans création d’emplois mais en utilisant à son plein potentiel une main-d’œuvre aujourd’hui comme un peu mise en veille.

 

Dire que tout ne s’explique pas par des baisses de productivité des salariés n’est pas chose anodine. Si les salariés étaient véritablement moins productifs, il faudrait que les salaires réels baissent d’autant pour que le partage de la valeur ajoutée entre travail et capital reste stable. Et donc que les salaires nominaux (ceux affichés sur la feuille de paie), augmentent bien moins vite que l’inflation. Autrement dit, on pourrait justifier des salaires qui augmentent moins vite que l’inflation par une efficacité au travail individuelle plus faible ; or, les pertes apparentes de productivité semblent majoritairement liées à d’autres éléments.

 

Un rattrapage de la productivité attendu

 

Ces quatre effets mentionnés ne devraient pas durer et la productivité repartirait à la hausse.

 

Les prêts garantis par l’État sont petit à petit en train d’être remboursés alors que l’échéance avait plusieurs fois été repoussée jusqu’à septembre 2022. Aujourd’hui, seulement 27 % des 143 milliards empruntés ont été remboursés. Les défaillances, les pertes d’emplois et par la même la productivité moyenne augmentent parallèlement aux remboursements.

 

L’effet lié à l’apprentissage lui aussi n’est vraisemblablement que transitoire. L’objectif gouvernemental est d’atteindre le million d’apprentis mais il ne semble pas tenable dans la mesure où une génération n’est composée que de 800 000 individus. Aujourd’hui, la hausse du nombre de contrats de ce type concerne plusieurs générations, mais à terme, il ne pourra logiquement pas dépasser le nombre d’individus d’une seule. Pour partie, de surcroît, la dynamique actuelle est liée à une prime exceptionnelle versée aux employeurs qui, comme son nom l’indique, n’est pas pérenne.

 

Il est plus délicat d’inférer ce qu’il adviendra de la durée du travail. Néanmoins, les dernières données montrent qu’elle se rapproche de son niveau d’avant crise. Les salaires, enfin, commencent aujourd’hui à augmenter légèrement plus vite que les prix. Mais cela reste très limité en nombre d'entreprises et en nombre de salariés concernés

 

Hausse de la productivité, hausse du chômage ?

 

Si la productivité revient à son niveau d'avant crise, alors sans doute que le chômage lui aussi devrait repartir à la hausse. C’est en tout cas l’estimation que fait l’Observatoire français de la conjoncture économique (OFCE). Mesuré à 7,2 % à la fin du deuxième trimestre 2023, le taux de chômage est estimé à 7,4 % pour la fin de l’année et 7,9 % pour la fin 2024.

 

Deux différences majeures existent ici avec les projections du gouvernement. Les perspectives de croissance en 2024 sont estimées à 1,4 % par ce dernier alors qu'elles seront plutôt à 0,8 %. Contrairement à Bercy, une partie de la productivité perdue va être rattrapée car les pertes ne sont pas structurelles. Peu de croissance avec des gains de productivité conduit mathématiquement à des destructions d’emplois.

 

 

Pour anticiper le taux de chômage, il faut de plus formuler des hypothèses sur la population active. Dans les calculs, sont utilisés les projections de l’Insee, critiquées par la direction générale du Trésor (une croissance moindre de la population active est envisagée par cette dernière). Elles intègrent notamment les premiers effets de la réforme des retraites. Les modèles de simulation suggèrent que 80 % des actifs supplémentaires seront en emploi et 20 % au chômage.

 

Est expliqué ici 0,1 point de taux de chômage en plus. La hausse anticipée du chômage est ainsi surtout liée aux destructions d’emplois et aux rattrapages en matière de productivité.

 

Sources : The conversation

Publié dans Economie, Travail

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