Éducation Groupes de niveau : les profs en grève contre le tri scolaire par Malika Butzbach

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

 

La mise en place de groupes de niveau et la transformation du brevet mettent à mal le collège unique. Une rupture historique qui remet en cause les acquis des politiques publiques éducatives depuis un demi-siècle.

 

L’onde du « choc des savoirs » n’a pas fini de résonner depuis les annonces faites en décembre par Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale. Ce mardi 2 avril encore, les enseignants sont descendus dans la rue pour protester contre la mise en place de groupes de niveau, mais aussi contre l’évolution du rôle du brevet, qui devient une épreuve sélective pour l’entrée directe au lycée.

 

Car loin d’être de simples mesures techniques, ces deux mesures remettent profondément en cause, selon les spécialistes, la logique du collège unique instaurée il y a cinquante ans – une « rupture historique », estime même l’historien de l’éducation Claude Lelièvre.

 

La réforme Haby de 1975, créant ce collège unique, avait en effet fusionné les trois parcours différenciés qui se proposaient aux élèves à la sortie de l’école élémentaire : l’enseignement primaire supérieur (jusqu’au certificat d’études de la sixième à la troisième), les lycées (de la sixième à la terminale) et les centres d’apprentissage.

 

« Depuis, on n’a cessé de s’interroger sur sa vocation, rappelle le sociologue François Dubet : le collège unique est-il le prolongement de l’école élémentaire ou l’antichambre du lycée ? Dans le premier cas, tous les enfants y sont accueillis pour la réussite de tous. Dans le second, la formation se destine en premier lieu aux futures élites de la nation. Confrontés à cette ambiguïté et à des classes très hétérogènes face auxquelles ils se sentaient souvent démunis, les enseignants se positionnaient jusqu’à il y a peu en faveur des classes de niveau. Ce n’est plus le cas maintenant, car on sait désormais à quel point cela relève d’une forme d’assignation sociale et de condamnation scolaire. » (Lire également sa chronique sur le sujet).

 

Retour aux voies parallèles

 

« La loi Haby a mis fin à des voies parallèles, ce qui a permis de garder les élèves ensemble le plus longtemps possible. Avec les groupes de niveau, on crée à nouveau des voies parallèles qui séparent les élèves », rappelle de son côté l’historienne Laurence De Cock.

 

Un constat que partage Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), qui, dans une récente tribune, estime que « les groupes constitués au collège vont nécessairement instituer une séparation des contenus et des élèves avant même la fin de la scolarité obligatoire ».

 

Certes, entre les annonces de Gabriel Attal et la publication des textes encadrant leur mise en place, les contours de ces fameux groupes ont évolué – jusqu’à leur nom, puisqu’ils sont désormais qualifiés de « groupe de besoin ». Une note de service publiée le 17 mars précise que leur composition « s’appuie sur l’analyse par le chef d’établissement et les équipes pédagogiques des besoins spécifiques de chaque élève ».

 

Par ailleurs, ces groupes, qui devront être « réexaminés » toute l’année, ne seront pas non plus obligatoires sur toutes les heures de mathématiques et de français, les équipes pouvant réunir les élèves dans leur « classe de référence » jusqu’à dix semaines par an.

 

Une évolution sémantique qui, toutefois, ne trompe pas Laurence De Cock :  « Ce que ces textes prévoient n’a rien à voir avec ce que l’on appelle un groupe de besoin, c’est-à-dire le regroupement de quelques élèves chez qui les enseignants ont identifié une difficulté dans une compétence particulière. Pour y remédier, ils sont accompagnés à part dans la classe ou à un autre moment, puis réintégrés avec les autres. »

 

Par exemple, si l’enseignant de mathématiques identifie cinq jeunes qui ont du mal avec les multiplications, il va les prendre à part une heure supplémentaire par semaine pendant un mois après le cours. « Or, on ne retrouve pas dans les indications du ministère la dimension temporaire de ce dispositif. Il est précisé que ces groupes pourront évoluer durant l’année, mais on aura du mal à bouleverser la hiérarchie scolaire qu’ils auront instituée. »

 

La rigidité du dispositif envisagé a d’ailleurs achevé d’unifier l’opposition des enseignants à une réforme qui, au départ, n’avait pas mis tout le monde contre elle. Nombreux, désormais, sont les enseignants à dénoncer une mesure qui « trie » scolairement – et donc socialement – les élèves.

 

Laurence De Cock imagine ainsi cette enseignante de CM2 qui, d’une main tremblante, devra remettre le dossier de son élève dont elle connaît les parents et les difficultés, pour qu’il soit dans tel ou tel groupe. « On fait reposer sur les professeurs une assignation à un groupe définitif. Cela suscite chez eux le sentiment d’être instrumentalisé », estime l’historienne.

 

Examen couperet

 

Cette logique de tri est poussée un cran plus loin encore avec la transformation du diplôme national du brevet (DNB) en examen d’orientation. Dès 2025, les élèves qui ne l’obtiendront pas seront orientés vers une classe « prépa-lycée » censée leur permettre de rattraper leurs lacunes.

 

Reste à savoir s’il leur sera effectivement possible de rejoindre ensuite l’enseignement général, et ce qu’il adviendra de ceux qui seront à nouveau en échec dans ce dispositif. D’autant que rien n’indique, pour l’heure, que chaque lycée en sera doté : « s’il faut demander à un élève en difficulté de parcourir une longue distance pour faire sa prépa-lycée dans un établissement éloigné, le risque de décrochage scolaire sera plus grand », souligne Laurence De Cock.

 

Quoi qu’il en soit, ce changement de logique du DNB est « totalement inédit », rappelle Claude Lelièvre : « Jusqu’ici, le brevet scandait simplement le cursus scolaire du deuxième cycle. En en faisant un examen couperet, on met fin à la logique d’instruction obligatoire : l’objectif du collège sera désormais de préparer à cet examen final, et non plus de faire acquérir à tous les citoyens un socle commun de connaissances. »

 

Semble ainsi s’observer le retour de la logique du certificat d’études, où seuls ceux qui obtiennent cet examen méritent de poursuivre leur scolarité, creusant l’écart entre ceux qui se destinent aux cursus d’élite et… tous les autres.

 

Politique de fermeté

 

Des autres qui risquent d’être nombreux, Gabriel Attal affichant une politique de fermeté quant à la réussite au DNB. Le 14 mars, le Premier ministre, aux côtés de Nicole Belloubet, promettait la fin des correctifs académiques qui permettaient d’augmenter le taux de réussite au diplôme, prévenant d’ores et déjà que « le taux de réussite allait baisser ».

 

Une première historique dans les discours de politiques publiques éducatives, juge Laurence De Cock : « Durant ce dernier siècle, les politiques éducatives visaient à la démocratisation de l’enseignement et à l’augmentation de qualification des élèves. En faisant de la diminution du taux de réussite un objectif politique, Gabriel Attal renverse cette logique. »

 

Une démarche qui a également trouvé sa traduction dans l’enseignement supérieur, au niveau de l’entrée en master, avec une politique de rationnement des places de plus en plus ouvertement assumée. Cette politique de fermeté n’est pas sans rappeler celle de l’extrême droite, regrette Jean-Paul Delahaye dans sa tribune. « En conduisant cette politique de restauration pas très républicaine, les actuels gouvernants disent aux enfants issus des milieux populaires que le collège ne sera jamais pensé pour eux et qu’en conséquence, ils doivent aller voir ailleurs », écrit l’inspecteur honoraire.

 

D’ailleurs, ce n’est sans doute pas un hasard si, lorsqu’il a annoncé son choc des savoirs, Gabriel Attal s’est adressé aux « Français des classes moyennes », qui « financent par leur travail le fonctionnement de nos services publics » et dont les enfants seraient « empêchés de s’envoler ». Mais empêchés par qui ?

 

« Par les mauvais élèves, devine François Dubet. On fait croire aux classes moyennes qu’elles sont victimes des plus pauvres, en particulier s’ils sont issus de l’immigration. »

 

Un tel discours électoraliste peut rassurer certains parents inquiets pour l’avenir de leur progéniture. Mais, selon le sociologue, il a un impact délétère sur la cohésion de la société : « Les politiques de tri à l’école, comme ailleurs, fondent l’orgueil des vainqueurs et l’humiliation des vaincus. Cela se ressent dans le vote comme dans les manifestations de colère. A cet égard, que les révoltes de cet été aient visé des écoles devrait sérieusement nous interpeller. »

 

 
 
Article publié par Alternatives Economiques
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