Delevoye ou l'inquiétante jonction du pouvoir macroniste et des intérêts privés

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Delevoye ou l'inquiétante jonction du pouvoir macroniste et des intérêts privés

Les affaires Pénicaud, Rugy, Goulard, Ferrand et Kohler avaient tout à voir avec l’argent et les conflits d’intérêts. Delevoye incarne un phénomène au cœur du macronisme : la jonction organique entre la bourgeoisie politique et la bourgeoisie d’affaires.

Le Haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye, c’est-à-dire la tête pensante du projet de loi sur les retraites, a oublié de déclarer sa fonction d’administrateur bénévole d’un institut de formation dans les assurances. Cette semaine, nouvelle révélation: Capital révéle qu’il occupait depuis 2017 le poste de président d’un think tank au sein du groupe IGS, une fédération d’associations indépendantes à but non lucratif, poste pour lequel il a été rémunéré en 2018 et 2019 à hauteur de 5368,38 euros net par mois. 

Jean-Paul Delevoye est Haut-Commissaire aux Retraites, autrement dit membre du gouvernement Macron, depuis septembre 2017. La rémunération qu’il a perçue en 2018 et 2019 par le groupe IGS (à hauteur de 140.000 euros) l’a donc été dans le cadre de ses fonctions gouvernementales, ce qui rend la situation d’autant plus inacceptable.

Quant à ses liens étroits avec le secteur des assurances, beaucoup se demandent, avec raison, si la réforme des retraites n’a pas été influencée par les lobbies des assureurs qui avaient, avec Delevoye, un pilier essentiel pour faire passer leurs idées. 

Mais au-delà du fait qu’elle révèle un évident –et scandaleux- conflit d’intérêt, cette affaire nous dit aussi quelque chose de très important sur le macronisme et sur la véritable rupture qu’il opère au sein du monde politique. Et cela, il faut le regarder en face.

Les ministres du gouvernement d’Édouard Philippe (lui-même un ancien cadre d’Areva) sont pour beaucoup d’anciens patrons ou cadres du secteur privé, leurs conseillers également. En 2017, le gouvernement comptait douze millionnaires. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, ancienne DRH du géant de l’agroalimentaire Danone, a pour directeur de cabinet un ancien salarié du MEDEF.

Delevoye incarne un phénomène qu’on pourrait définir comme une jonction organique entre la bourgeoisie politique représentée par Macron et sa clique et la bourgeoisie d’affaires et managériale. Cette jonction n’était auparavant qu’une connivence, certes particulièrement nocive pour l’intérêt général, mais une connivence qui conservait encore une certaine distance entre deux mondes, le monde économique et financier, celui des intérêts particuliers, et le monde politique, celui de l’intérêt général. 

Cette connivence s’est transformée, avec l’arrivée de Macron et des macronistes, en une relation fusionnelle où le monde économique a irrésistiblement pris l’ascendant sur le monde politique. On le sait, les ministres du gouvernement d’Édouard Philippe sont pour beaucoup d’anciens patrons ou cadres du secteur privé, leurs conseillers également. En 2017, le gouvernement comptait douze millionnaires dans ses rangs, la plus riche étant… la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, ancienne DRH du géant de l’agroalimentaire Danone, et dont le directeur de cabinet est un ancien salarié du MEDEF.

Certains symboles sont significatifs, comme le fait de nommer au Ministère de la culture un homme, Franck Riester, qui est diplômé de l’Institut supérieur de gestion (ISG) et titulaire d’un master de gestion des collectivités territoriales de l’Essec, ancien consultant au cabinet Arthur Andersen, puis directeur de Riester SA (concessions Peugeot) tout en étant maire, député et membre du bureau politique des Républicains.

On le sait aussi, de nombreux députés En Marche viennent du monde privé: cadres, communicants, entrepreneurs… Ces députés, avant leur élection, ont été recrutés par le biais d’un processus de recrutement identique à celui d’une entreprise: envoi d’un CV et d’une lettre de motivation, travail sur des cas une fois le premier “round” de recrutement passé.

Et les séances de formation aux us et coutumes de l’Assemblée nationale se sont également inspirées des séminaires de coaching des entreprises, avec des sessions de “media training” (entraînement à la parole publique, très courant en entreprise). Le député macroniste Pacôme Rupin a admis que cette “culture managériale vient directement d’Emmanuel Macron, pour qui il faut très bien gérer les ressources humaines pour disposer de la meilleure organisation possible.”

On retrouve donc, au cœur du dispositif En Marche, les codes et la culture propres au monde de l’entreprise. 

Le macronisme est une traduction quasi-littérale de la thèse de Karl Polanyi selon lequel ce qui caractérise les politiques néolibérales est la manière dont elles “désencastrent” la sphère économique des autres sphères de la société, le marché économique devenant une entité autonome, libre de toute régulation. De l’économie de marché, on passe ainsi à la société de marché, dans lequel le monde économique impose sa loi à la société tout entière.

Cette confusion ne peut qu’accroître la défiance des citoyens vis-à-vis d’un pouvoir politique gangrené par l’influence des lobbies et des grandes entreprises. À chaque projet de loi, la même question: dans quelle mesure n'est-ce pas la retranscription du cahier de doléances des grandes entreprises et du patronat?

La récente nomination par Emmanuel Macron à la Commission européenne de Thierry Breton, ancien ministre mais aussi grand patron, est un autre exemple de cette confusion des genres entre le monde politique et le monde privé.

La suspicion pèse désormais sur toutes les mesures prises par le gouvernement, et chaque scandale mettant à nu les privilèges des puissants accroît le fossé qui les sépare du peuple –et donc nourrit la colère sociale qui règne sur le pays depuis le début de la crise des “gilets jaunes”.

Depuis le début du quinquennat, les affaires Pénicaud, Rugy, Goulard, Ferrand et Kohler, qui avaient tout à voir avec l’argent et les conflits d’intérêts, ont chacune participé à construire cette image d’un gouvernement œuvrant en faveur des intérêts particuliers d’un petit nombre. Au cœur de la lutte des “gilets jaunes” figure cette idée qu’il faut remettre l’intérêt général au cœur des politiques publiques –que ce soit par des mesures de justice sociale ou par une réforme des institutions pour rendre au peuple la souveraineté qu’il a perdue face aux puissances d’argent.

C’est pour toutes ces raisons que l’affaire Delevoye est si importante: non pas parce qu’il faut, dans ces temps difficiles où la recherche d’un bouc émissaire est facile, accabler un homme, mais parce qu’elle est un symptôme supplémentaire de la privatisation du monde politique qui s’accélère depuis l’arrivée au pouvoir de Macron.

Sources : le blog de Mathieu Siama

 

Publié dans Finances-riches

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