Quelles conséquences de la crise du Covid19 sur les finances de la Sécurité sociale ?

Publié le par Front de Gauche Pierre Bénite

Quelles conséquences de la crise du Covid19 sur les finances de la Sécurité sociale ?

Le Pôle économique de la CGT a réalisé une note sur les conséquences de la crise du Covid19 sur les finances de la Sécurité sociale, en s’appuyant sur les informations qui ont été fournies au CA de l’ACOSS.

Cette note livre des éléments d’appréciation sur les conséquences de la récession commencée, et ses conséquences sur la dette de la Sécurité sociale. Elle s’attache à étayer l’idée que ce déficit, qui correspond au rôle « d’amortisseur social » de la Sécurité sociale n’a rien de dramatique, et que rien ne serait pire que d’engager une politique d’austérité avec de nouveaux reculs sociaux suite à ceux de ces 25 dernières années, avec les conséquences dramatiques que chacun peut observer dans notre système de santé et bien d'autres secteurs comme l'industrie avec les délocalisations, les externalisations et l'hérésie de la baisse du prix du travail pour répondre au critère de compétitivité et de la concurrence.

Nous vous communiquons les données essentielles mises en avant par cette note.

1) Une baisse importante des ressources de la Sécurité sociale

-lors de l’échéance du 15 mars, il a manqué 3,3 Mds€ par rapport à aux prévisions. Les cotisations encaissées ont correspondu à 60% de ce qui était attendu.

-lors de l’échéance du 5 avril, qui concernait majoritairement les grandes entreprises, 12,3 Mds€ ont été déclaré, contre 13 Mds€ qui étaient attendus. Sur ce montant, 8,8 Mds€ ont été encaissés soit 66,2% du total. Le chômage partiel est en hausse, mais il est peu important par rapport au nombre de salariés en chômage partiel annoncé par le ministère du travail.

Il faut donc s’attendre à une régularisation à la baisse, les entreprises qui ont demandé le recours au chômage partiel ayant payé leur échéance de cotisations d’avril. Il faut noter que suite à des interpellations diverses provenant notamment de Bercy, un nombre important de grandes entreprises qui envisageaient de demander le report de cotisations sans avoir des difficultés immédiates de trésorerie y ont finalement renoncé.

-Pour l’échéance du 15 avril, qui concerne majoritairement des PME, l’ACOSS s’attend à un taux de recouvrement inférieur à 50%, nettement inférieur donc à celui de mars.

La baisse de recettes observée est donc importante ; elle est néanmoins moindre de celle qui était crainte au début du confinement.

2) Des risques immédiats pèsent sur le financement de la Sécurité sociale

Des risques financiers importants pèsent sur le financement de la Sécurité sociale.

-La possibilité de report des cotisations peut se faire sur simple déclaration, Potentiellement, les entreprises peuvent reporter de 3 mois leurs échéances, sans avoir de comptes à rendre. L’obligation est toutefois un peu mieux encadrée pour les grandes entreprises.

-En cas de passage au chômage partiel, les indemnités sont totalement exonérées de cotisations sociales. L’OFCE évalue à près de 2,5 Mds€ par mois le coût du passage au chômage partiel dans le cadre du confinement.

-Enfin, normalement, les échéances de cotisations sont reportées et non annulées. Toutefois, le ministre Bruno Le Maire a indiqué clairement que si les entreprises sont en difficulté ces cotisations seraient remises. Le ministre du budget Gérald Darmanin a indiqué cette semaine que les cotisations sociales des cafés et des restaurants seraient purement et simplement annulées, ce qui représentera une perte de recettes de 750 M€ pour la Sécurité sociale. 

3) Une récession d’une ampleur considérable

L’économie française est officiellement entrée en récession. En annonçant son premier plan, le Gouvernement tablait sur une récession d’ampleur limitée de 1%. Le nouveau projet de loi de finances rectificatif (PLFR) adopté par le Conseil des ministres du 15 avril et qui sera discuté à par le Parlement à partir de vendredi 17 avril est basé sur une prévision de croissance de -8%.

Toutefois du point de vue des recettes de la Sécurité sociales ce n’est pas la croissance du PIB, mais celle de la masse salariale dont dépend le montant des cotisations ainsi que le rendement de la CSG (qui repose à 70% sur les salaires). Le Gouvernement n’a pas communiqué les hypothèses de masse salariale qui sous-tendent de -8%).

Dans sa note de conjoncture de mars, qui s’appuyait sur les précédentes prévisions gouvernementales, l’ACOSS avait prévu une baisse de l’emploi de 1%, et une baisse totale de la masse salariale de l’ordre de 2% (incluant un effet chômage partiel, puisque l’indemnité versée en cas de chômage partiel sur la base de 70% du salaire brut (84% du salaire net) n’est pas considérée comme du salaire et est exonérée de cotisations sociales.

Compte tenu à la fois de la possibilité de reporter le paiement de ses cotisations de 3 mois, et de la montée du chômage partiel, l’ACOSS prévoyait dans sa note de trésorerie de fin mars un recul des cotisations du secteur privé de 3,3% au premier trimestre et de 15,7% au second trimestre.

Côté dépenses, si les dépenses de retraites ne seraient pas impactées, il n’en serait pas de même des dépenses d’assurance-maladie.

Si les dépenses de soins de ville devraient baisser du fait de la baisse des consultations notamment chez les généralistes, cette baisse serait plus que compensées par la montée des indemnités journalières et surtout la hausse des dépenses hospitalières liées au Covid, et de Santé publique France liées aux achats massifs de masques.

Le PLFR estime à 8 Mds€ l’augmentation des dépenses de santé liée à la crise du COVID.

Les instituts de prévision économique, et notamment l’INSEE s’attendent à une reprise économique très progressive après la sortie du confinement (sortie du confinement qui pourrait être beaucoup plus tardive que ce qui était prévu, y compris dans les plus récentes prévisions gouvernementales. Dans ces conditions, il est très probable que la croissance de la masse salariale soit très négative (même si elle baissait moins que celle du PIB).

Sous l’effet conjugué de la baisse des recettes et de la hausse des dépenses d’assurance-maladie, il en résulterait une augmentation importante du déficit de la Sécurité sociale, qui devra être financé par endettement.

Ce déficit sera aggravé par la décision du Gouvernement de ne pas soumettre à cotisations sociales la prime accordée aux soignants, tout comme celle dont bénéficieront les fonctionnaires ayant travaillé pendant le confinement.

4)L’endettement de l’ACOSS va croître dans des proportions extrêmement significatives.
Pour faire face à cette situation, le plafond d’emprunts de l’ACOSS a été porté dès la fin du mois de mars de 39 Mds€ à 70 Mds€.

Afin de faire face à ses échéances, l’ACOSS a dû augmenter ses emprunts.

Au 8 avril, son besoin de financement était de 30 Mds€ ; il était de 40 Mds€ le 9 avril, du fait de l’échéance de paiement des pensions CNAV, et serait de 50 Mds€ fin avril.

Depuis plus d’une décennie, et notamment depuis la crise de 2008, ce besoin de financement était couvert par des emprunts à court terme, notamment sur les marchés financiers internationaux, pour lequel l’ACOSS se finançait depuis plusieurs années à des taux d’intérêt négatifs, ce qui correspondait donc à une ressource pour l’ACOSS.

Avec l’éclatement de la crise, il est devenu extrêmement difficile pour l’ACOSS de se financer sur ce marché européen de la dette à court terme. La situation s’est certes améliorée depuis, notamment à la suite des annonces de la BCE, mais reste toutefois difficile.

Cela a conduit l’ACOSS à se tourner beaucoup plus vers la Caisse des dépôts, qui est son banquier historique. Au total, les concours de la Caisse des dépôts se montent à environ 20 Mds€, ce qui est une bonne chose, et ce qui correspond aux missions de service public de cet établissement.

La CGT avait toujours contesté ce choix de l’ACOSS de privilégier les marchés financiers internationaux pour se financer. Nous apprécions positivement cette situation, même si la dépendance aux marchés financiers reste importante. A fin avril, une marge importante subsisterait par rapport au plafond de 70 Mds€, mais cela restera-t-il le cas à fin mai, en cas de prolongation du confinement ?

5)L’apurement de la dette de la Sécu n’est plus à l’ordre du jour

Il était jusqu’à présent prévu que la dette portée par la CADES (89 Mds€ fin 2019) soit totalement amortie fin 2024. Il serait resté à amortir la dette portée par l’ACOSS, qui représentait environ 20 Mds€ à la fin de l’année 2019.

Compte tenu de la récession et notamment de la baisse prévue de la masse salariale, et apurement sera très difficile. Si le produit de la CSG (et de la CRDS1 qui est totalement affectée à la CADES) baisse de 5% en 2020 sous l’effet de la récession, il devrait manquer au moins 800 M€ à la CADES pour boucler son programme d’amortissement. En outre le Gouvernement a annoncé que la CADES reprendrait 1/3 de la dette des hôpitaux, soit 10 Mds€. Ainsi, la date d’apurement de la CADES devrait être reportée à plus tard.

6) Et le « jour d’après ? »

La situation d’endettement de la Sécurité sociale n’a rien de dramatique. En faisant une estimation prudente, la dette totale de la Sécu serait d’un peu plus de 150 Mds€ fin 2020 : CADES 74 Mds€2} 10 Mds€ correspondant à la reprise d’une partie de la dette des hôpitaux ; 70 Mds€ pour l’ACOSS (en supposant que l’ACOSS aurait saturé son plafond d’emprunts). Cette somme n’a rien d’astronomique : elle correspond à un peu plus de 6% du PIB. Avec une dette de l’ACOSS de 100 Mds€, elle représenterait un peu plus de 7,5% du PIB.

Cette augmentation de l’endettement correspond au rôle normal de stabilisateur automatique de la Sécurité sociale, qui permet d’amortir les chocs conjoncturel (et celui-ci est le plus grave depuis la crise de 1929). Cela correspond au rôle de solidarité que doit jouer à tout moment la Sécurité sociale

Cela dit, la question essentielle est celle de la suite, « du jour d’après ».

La crise de 2008 avait aussi conduit à une forte hausse de l’endettement public, dans l’ensemble de l’Union européenne, et notamment dans la zone Euro ; Il en était résulté le fameux TSCG3 ou pacte budgétaire, qui avait imposé des mesures drastiques d’austérité à tous les pays dont la dette publique excédait 60% du PIB.

Le résultat avait été de mener une politique d’austérité impitoyable, qui a été réalisée notamment en réalisant des coupes sombres dans les services publics, et en particulier en massacrant les systèmes de santé.

Le cas de la Grèce est emblématique, mais la France a également mené une politique qui s’est caractérisée par une casse du système de santé dont les conséquences apparaissent clairement aujourd’hui, ne serait-ce que par l’exemple de la pénurie de masques.

Alors précisément, plus jamais ça.

Il y a des chiffres symboliques qui font peur : celui d’une dette publique supérieure à 100% du PIB en est un bon exemple : le Gouvernement annonce une dette publique de 115% (dont répétons-le seulement 6% pour la dette de la Sécurité sociale). Personne n’a jamais apporté la démonstration du caractère en soi catastrophique d’une dette publique supérieure à 100% du PIB. D’autant que les taux d’intérêt sont aujourd’hui très bas, et que rien n’indique qu’ils vont remonter rapidement.

En fait, cette dénonciation de « l’endettement-qui-reporte-la-charge-du-remboursement-sur-nos-enfants », fait partie des dogmes libéraux, qui considère que les dépenses publiques sont toujours mauvaises pour l’économie (on appelle ça l’effet d’éviction), et que la solidarité est toujours mauvaise en soi.

En fait, la question est celle de la place de la solidarité dans notre système social.

Il faut faire exactement le contraire des politiques menées depuis les années 80 : il faut réhabiliter la solidarité, et mettre les services publics au coeur de notre système social.
Cela implique d’abord de considérer que les dépenses socialisées sont un élément de nos richesses collectives, et non une charge qu’il faut baisser à tout prix et le plus possible.

Cela implique aussi de mettre l’accent sur la répartition des richesses, et d’abord de mettre en cause le modèle de tout pour l’actionnaire. Bien entendu, cela n’est pas nouveau pour la CGT, mais il faut réhabiliter la cotisation sociale, remettre en cause les exonérations diverses et variées qui, comme nous l’avons souvent souligné, n’ont jamais été aussi importantes, rééquilibrer la fiscalité au profit de salariés et des retraités en mettant à contribution les plus riches qui ont largement profité de la baisse des impôts avec par exemple la suppression de l’ISF et le plafonnement des impôts des plus riches, sans oublier la baisse de l’impôt sur les sociétés.

C’est à ce prix qu’on pourra sortir par le haut de la crise actuelle.

1 Contribution pour le remboursement de la dette sociale : elle est équivalente à la CSG, mais avec un taux faible de 0,5%, et une assiette un peu plus large (notamment les ventes d’or et de bijoux)
2 89 Mds€ fin 2019 -15 Mds€ d’amortissement soit 1 Md€ de moins qu’en 2019
3 Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne

Le Pôle économique de la CGT

GLOSSAIRE
ACOSS : agence centrale des organismes de Sécurité sociale. C’est la caisse nationale des URSSAF, qui collectent les cotisations sociales et la CSG. On parle parfois improprement de « banque de la Sécu »
BCE : banque centrale européenne
CADES : caisse d’amortissement de la dette sociale. Elle finance la dette à long terme de la Sécurité sociale transformée en emprunts sur les marchés financiers. Elle est amortie notamment par la CRDS (voir infra)
CNAV : Caisse nationale d’assurance-vieillesse.
CSG/CRDS : la CSG est un impôt financé sur l’ensemble des revenus (salaires, pensions de retraite, placements financiers, revenus du patrimoine, affecté au financement de la Sécurité sociale et de l’assurance-chômage.
La CRDS : est très proche de la CSG, mais son taux est plus faible (0,5% contre 9,2% pour la CSG sur les salaires). Son assiette est aussi un peu plus large (ventes d’or et de bijoux notamment). Elle sert exclusivement à financer la dette portée par la CADES.
INSEE : institut national de la statistique et des études économiques. C’est l’institut public de conjoncture et de prévision économique
OFCE : observatoire français des conjonctures économiques. C’est l’institut de prévision dépendant de Sciences Po. C’est l’une des principales références en matière de prévision économique.
PLFR : Projet de loi de finances rectificatif. Modifie en cours d’année le budget de l’Etat (ou projet de loi de finances initiale) voté par le Parlement. On parle parfois de « collectif budgétaire ».
Stabilisateur automatique : En période de crise, les recettes diminuent, ce qui augmente le déficit. Si on maintient le niveau des dépenses, on distribue des richesses dans l’économie, ce qui permet de compenser cette baisse des ressources et d’amortir la récession (voir la lettre économique n° 36 où ce mécanisme est expliqué en détail).
TSCG : Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union européenne. On parle parfois de « pacte budgétaire »

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