Eva Doumbia : "Justice pour Nahel"
"Et le rouge monte en moi
J’ai rejoint le fleuve je deviens fille de Nandi, Mukaya, Yaa Asantewaa,
fille de Taytu Betul, Kaipkire
je suis petite fille de Pokou, Nana Triban et Llinga.
Je suis sœur d’Amal, Assa, Hawa.
En moi macère la rage cramée
Illimitée, ma rage dévore le mégaphone.
Je ne me tairai pas
En moi la violence rouge
Je ne me tairai pas
Ils caillassent brûlent, réduisent en poussière les enseignes détritus voitures, vitres, fenêtres les PMI Pole Emploi Sécu, Caf centres sociaux
Ils bombardent leurs propres habitations, les voitures renversées sont leur barricade, c’est la guérilla.
Le commissariat appelle chez mes parents
Intimidation judiciaires
Ils menacent ma mère
Je reçois une convocation : je n’irai pas.
Nos armes les sacs de gravats
La flicaille débarque
L’hélicoptère passe au dessus de nos maisons les condés sont armés
Et nos kalash parlent le langage de nos rages étouffées.
A présent explosées.
Et les jours de rage passent sans se consumer
Caillasses détérioration vandalisme destruction
La rage ne s’éteint pas.
Comparution immédiate
Condamnation six mois
comparution immédiate réponse immédiate caillassage immédiat
comparution immédiate destruction immédiate d’antenne de télévision
comparution immédiate incendies propagés du lotissement vers de zone rurbaine
puis la ligne rouge
Le ministre fait une déclaration ils construiront un théâtre une salle pour le rap.
Charbons ardents. Cendres dévorantes.
Cendres tièdes et froides.
Le feu partout se calme.
Cendres étalées, le quotidien s’abat sur nos larmes rescapées.
Au septième jour je me pose face au supermarché
Voici l’ombre sanglante de mon frère Drissa.
Il touche ma chevelure de sa main ensanglantée
Mes larmes écarlates sur la paume morte de sa main
Delta Charlie Delta décomposé
Mon afro hérissée
Et de ma main torche femelle, seule, isolée, je m’enflamme."