Les guerres au Moyen Orient et leurs répercussions sur les femmes Marie Nassif-Debs1

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

 

Alors que ce 25 novembre est la journée internationale contre les violences faites aux femmes, notre amie et camarade Libanaise Marie Nassif-Debs nous a transmis son intervention au Forum des femmes de la gauche européenne tenu le 7 novembre à Madrid.

 

1- Professeure émérite à l’Université Libanaise.
Présidente de l’Association Egalité-Wardah Boutros et membre du Centre régional arabe de la FDIF.
Ex Coordinatrice générale du Forum de la Gauche arabe.
Ex Secrétaire générale adjointe du Parti Communiste libanais.

 

Notre blog la publie avec son autorisation car elle est un apport à la connaissance des causes des divers conflits qui ont lieu au Moyen Orient, une contribution à la prise de conscience sur les situations vécues par les femmes dans une région où se déroulent des guerres et des conflits importants, aux mobilisations des femmes pour la paix et pour l'émancipation de toutes et tous et à la nécessité de se rassembler pour changer les rapports des forces face aux projets de l'impérialisme.

 

Un peu d’histoire

 

Le Moyen Orient est, depuis l’antiquité, la région qui connait le plus de guerres sanglantes et de bouleversements sur tous les plans. Sa situation
géographique et géopolitique mais, surtout, la découverte par le colonialisme britannique des gisements de gaz et de pétrole, tant dans le Golfe persique et arabique durant la première décennie du XXème siècle, que sous les eaux bleues de la Méditerranée orientale, il y a peu d’années, ont fait de cette région un lieu de convoitise, de guerres sanglantes et d’agressions incessantes.

 

Il nous faut préciser que tous les peuples arabes sans exception ont vécu, et vivent encore les horreurs dues aux richesses que recèle leur terre et aux projets élaborés par l’ancien colonialisme puis par l’impérialisme qui lui a succédé, et, ce, afin de faire main basse sur les sources d’énergie ainsi que sur le Canal de Suez, la voie de transport la plus courte pour acheminer ces matières premières et toutes sortes de marchandises entre l’Orient et l’Occident.

 

Et pour que le pétrole,le gaz et les voies maritimes soient sous contrôle, il
était nécessaire de créer une base militaire sûre et « durable », régie par une population venant de tous les coins du monde et redevable de son existence aux puissances capitalistes. C’est ainsi que sont nés, en pleine guerre mondiale, et à moins de deux ans d’intervalle, ce que l’on a appelé « l’Accord de Sykes-Picot » et « la déclaration de Balfour ».

 

L’accord de Sykes –Picot, signé le 16 mai 1916 entre le lieutenant- colonel Mark Sykes, pour la Grande-Bretagne, et le consul à Beyrouth, François Georges-Picot, pour la France, divisa le Moyen Orient entre les deux colonialismes sans tenir compte ni des conditions géographiques ou de la répartition ethnique, religieuse ou culturelle.

 

Quant à la « déclaration de Balfour », datée du 2 novembre 1917 et adressée à Lord Lionel Walter Rothschild, financier du mouvement sioniste, elle assure que le Royaume-Uni promet d’œuvrer en faveur de l'établissement en Palestine, au dépens de son peuple, d'« un foyer national pour le peuple juif » ! C’est ce qui arriva 30 ans plus tard : à la suite de plusieurs massacres perpétrés par les groupes paramilitaires sionistes, le peuple palestinien fut chassé d’une partie de son territoire national et l’entité israélienne, née de ce transfert, est reconnue par les Nations unies… Et, depuis lors, cette entité n’a de cesse de s’agrandir à travers les guerres, les massacres et les transferts de la population palestinienne.

 

La situation actuelle dans le Monde arabe

 

Ce résumé de l’Histoire du monde arabe durant plus de cent ans est nécessaire pour comprendre ce qui se passe actuellement dans nos pays, mais surtout pour mieux saisir la situation des femmes arabes soumises, d’une part, à des régimes politiques arriérés et dépendants qui usent et abusent des coutumes et des traditions pour les marginaliser, et, d’autre part, à des guerres meurtrières que leur livre l’impérialisme, quelquefois directement, depuis l’agression tripartite contre l’Egypte en 1956, mais souvent à travers l’entité sioniste considérée comme le bras « sur place » et auquel on prodigue armes et argent afin de préserver la mainmise des grandes puissances capitalistes, des Etats-Unis surtout, sur la région. Tout cela entrecoupé par des guerres dites « civiles » et des conflits régionaux armés sans fin.

 

Cependant, le projet le plus meurtrier est survenu après la chute de l’Union soviétique et la création de ce qu’on appelle le régime mondial guidé par les Etats-Unis.

 

Appelé, à ses débuts, « Le grand Moyen Orient », ce projet se transforma bientôt en «Moyen Orient Nouveau », avec pour but de diviser le Monde arabe en une multitude de mini- entités affaiblies basées sur les dissensions religieuses et confessionnelles entre les deux grandes sectes de l’Islam, le sunnisme et le chiisme, se faisant une guerre sans merci sous l’aile protectrice de Washington ; ce qui aboutirait à liquider la cause palestinienne tout en réalisant une nouvelle carte de la région avec l’entité israélienne pour guide régional.

 

Dès lors, les guerres fratricides et les divisions se sont multipliées depuis l’Irak et jusqu’au Soudan, en passant par la Syrie, le Liban, l’Egypte et le Yémen engendrant des dizaines de millions de déplacés et de réfugiés ainsi que quelques centaines de milliers de morts et de blessés, dont des femmes et des enfants en particulier.

 

Quant à la Cisjordanie palestinienne occupée, elle a subi des dizaines de fois les affres de la guerre, tandis que la bande de Gaza, encerclée, se transformait en une prison à ciel ouvert.

 

Et, tandis que les peuples de la terre cherchaient une issue à la crise économique aigüe qui éclata en 2008, la colonisation sioniste des terres palestiniennes, syriennes et libanaises s’élargissait, accompagnée par l’extension de la normalisation des relations diplomatiques et économiques avec l’entité israélienne à la majorité des régimes arabes du Golfe, ainsi qu’au Soudan et au Maroc…

 

La situation des femmes dans le Monde arabe

 

Toutes ces raisons conjuguées, mais surtout les conflits et les guerres, font que la situation des femmes dans le monde arabe n’évolue pas linéairement. Bien au contraire, les crises continues sur le plan économique et politique ont des répercussions négatives sur leurs droits tant acquis que revendiqués ; quand aux guerres internes et conflits régionaux, ils pèsent de tout leur poids sur une situation déjà précaire où la violence règne partout et sur tout.


● Violences domestiques, d’abord, dues aux coutumes et aux traditions, y compris religieuses, qui considèrent la femme comme un être de second ordre, tant sur le plan de la famille que sur celui de la société. Ainsi, durant les dix dernières années, et par suite des crises économiques et de la pandémie du Covid 19, ces violences se sont intensifiées : mariages précoces, harassement sexuel, violences verbales et physiques, viols, crimes sordides.

 

Un seul exemple, celui des mariages précoces forcés dans quelques pays
arabes peut nous montrer l’importance de la catastrophe, surtout que dans la plupart des pays, il n’y a pas d’âge minimum réel, même si la loi stipule le contraire. En effet, selon les statistiques officielles et les rapports des organismes de l’ONU (dont l’UNICEF) :

  • Les mariages précoces Au Yémen, touchent plus de 23% des adolescentes de moins de 16 ans et 54% des adolescentes de moins de 18 ans, et une petite fille sur dix est mariée avant d’avoir atteint 13 ans.
  • En Egypte, 117 000 cas de mariage d’adolescentes de moins de 18 ans ont été mariées sans papiers d’identité.
  • 15% des déplacées syriennes au Liban sont mariées avant l’âge de 16 ans contre 9% pour les Libanaises dans les régions pauvres et aux alentours des camps de réfugiés.
  • En Irak, ces mariages touchent 28% des adolescentes.
  • 30 000 mariages précoces au Maroc chaque année, dont 10% sont mariées sans contrat écrit.
  • Il en va de même au Soudan, en Jordanie ou dans la bande de Gaza… etc.


● Violences dans le monde du travail, ensuite, où peu de femmes s’élèvent vers le sommet de la pyramide et où les différences sur le plan des salaires ou des prestations sociales restent des faits accomplis… bien que les femmes ont démontré qu’elles étaient capables de jouer tous les rôles essentiels.

 

Dans ce domaine, il est important d’attirer l’attention sur une catégorie très marginalisée et n’ayant presque pas de droits : celles des travailleuses domestiques, surtout si elles sont d’origine étrangère.


● Violences dues aux guerres, surtout, dont les conflits internes et régionaux. Ainsi, l’agression israélienne contre la Bande de Gaza a, durant la période du 7 au 30 octobre, coûté la vie 8525 personnes, dont 2187 femmes et 3542 enfants (la moitié étant de sexe féminin). Durant cette même période, l’ONU a noté que presque mille femmes sont devenues veuves. Quant aux blessés, ils ont dépassé les 15000 personnes.

 

Il faut dire que le bilan des massacres atroces s’est alourdi depuis, tant sur le plan des vies humaines que sur celui des pertes matérielles. Les va-t-en-guerre israéliens, avec Netanyahu en premier plan, et sous l’égide de l’impérialisme étasunien, veulent opérer un nouveau transfert et vider la Bande de Gaza, afin de s’emparer du gaz et du pétrole qui se trouvent dans les eaux territoriales Gazaouis, mais aussi pour faciliter la réalisation du projet dit « le canal Ben Gourion » dont le tracé va du port d’Eilat, sur la mer rouge, à Gaza en Méditerranée.

 

Quant aux femmes soudanaises, elles continuent à subir les problèmes de la guerre entre les factions armées au pouvoir ; nombreuses d’entre elles ont subi la mort ainsi que l’horreur des viols et des enlèvements. Selon l’UNFPA, « les risques que courent les femmes et les filles, notamment en matière d’abus sexuels, sont en forte hausse, surtout lorsqu’elles se déplacent pour trouver un lieu plus sûr » ; d’ailleurs, 53 000 femmes et jeunes filles sont actuellement enceintes.

 

N’oublions pas que nombre de femmes et d’adolescentes yéménites, syriennes, irakiennes et libanaises avaient déjà eu leur part des violences durant les conflits intérieurs ou le agressions venant de l’extérieur.
 

Conclusion

 

Que dire 23 ans après l’adoption par l’Organisation des Nations Unies, le 25 octobre 2000, de la « Déclaration sur les femmes, la paix et la sécurité », qui visait, en principe, à améliorer la protection des femmes et des jeunes filles pendant les guerres ?

 

Si nous reprenons les propres termes de l’ONU, nous dirons qu’ « Aujourd'hui, plus de 600 millions de femmes et de filles vivent dans des pays touchés par des conflits. En 2022, les Nations Unies ont vérifié près de 2.500 cas de violence sexuelle, principalement à l'encontre de femmes, dans des zones de conflit, un chiffre qui ne représente qu’une partie de la réalité ».

 

Oui, la réalité est plus dure et plus violente, parce que les guerres et les conflits augmentent à vue d’œil et que les femmes constituent le maillon faible dans ces conflits et ces guerres sans merci que l’impérialisme international mène contre les peuples dans le but d’asseoir son autorité branlante. Il est même prêt à détruire la planète pour conserver sa suprématie.

 

Voilà pourquoi, il y a quelques mois déjà, j’avais posé la question suivante : « la troisième guerre mondiale aura-t-elle lieu ? » à laquelle j’ai répondu que cette guerre a déjà commencé, si nous prenons en considération le nombre de conflits et de problèmes majeurs que vit l’humanité, et particulièrement le Moyen Orient et la Palestine.

 

Oui, nous craignons pour la paix et, si nous voulons éradiquer la guerre, nous devrions, nous les femmes, sources de la vie, appeler à la formation d’une nouvelle internationale des peuples qui, à elle seule, peut garantir la paix et la prospérité.

 

Si nous réussissons à unifier toutes celles et tous ceux qui ont pris la rue, durant les trois semaines passées, contre les massacres des enfants et de la population civile de Gaza (et aussi de Cisjordanie), nous vaincrons les projets de l’impérialisme qui, en 1945, n’avait pas hésité à lancer des bombes nucléaires sur la population civile japonaise et qui menace, aujourd’hui de faire de même contre la population de Gaza.

 

Intervention présentée devant Le Forum des femmes de la gauche européenne
Le Comité de direction de la FDIF
Madrid, le 7 novembre 2023

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article