Des écolos disent pourquoi ils ne sont pas favorables au barrage sur le Rhône Rhônergia

Publié le par Les communistes de Pierre Bénite

 

La revue Reporterre a réalisé un article racontant l'action et les explications de ces écolos qui ne sont pas favorables à la construction du barrage Rhônergia. Nous portons à votre connaissance cet article.

 

Le 24 mars, curieux, élus et naturalistes ont descendu le Rhône en kayak. Une balade militante pour dénoncer Rhônergia, un projet de barrage hydroélectrique qui « bousillerait » le dernier tronçon préservé du fleuve.

 

Poussées par un léger courant, une douzaine d’embarcations colorées file sur l’eau claire, longeant des berges verdoyantes. Un léger bruissement à la surface des ondes surprend les kayakistes : « Oh, un castor ! » Pas le temps de distinguer l’animal – à peine son derrière poilu – mais les rives limoneuses sont truffées de ses terriers. Ce décor sauvage n’a pourtant rien d’exotique : nous sommes sur le Rhône, à quelques kilomètres en amont de Lyon.

 

Le 24 mars, une quinzaine de pagayeurs – certains novices, d’autres confirmés – ont enfilé combinaisons et gilets de sauvetage pour parcourir 30 km de ce fleuve géant. « La dernière partie encore authentique », selon Joël Allou, naturaliste au sein de la Ligue pour la protection des oiseaux, et membre de l’expédition militante. Cette descente dominicale vise en effet à dénoncer le projet de barrage à Saint-Romain-de-Jalionas, qui « pourrait bousiller un écosystème exceptionnel pour produire quelques mégawatts en plus », d’après Yves, kayakiste chevronné.

 

C’est au point kilométrique 39,9 — autrement dit à 39,9 km en amont de Lyon —, à la frontière entre l’Isère et l’Ain, que la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et l’État envisagent de construire un barrage hydroélectrique, baptisé Rhônergia.

 

Une chute de 6,8 m, pour une puissance de 37 mégawatts (MW), pouvant couvrir les besoins énergétiques, hors chauffage, de 60 000 habitants. Un petit projet par sa capacité – il serait le moins productif des vingt centrales rhodaniennes – mais « majeur par ses impacts », dénoncent les opposants.

 

Car il ne s’agit pas uniquement de construire un mur en travers du cours d’eau. « Ça va créer une retenue de 20 millions de mètres cubes, et donc faire remonter le niveau d’eau de plusieurs mètres, sur 20 km en amont, détaille Stéphane Gardien, membre de France Nature Environnement Ain. En aval, ils vont creuser le lit du fleuve sur plusieurs kilomètres. » Dans son dossier de présentation, la CNR indique aussi « un reprofilage et confortement des berges » à l’aide de roches et de blocs de béton, et « la création d’une digue de 4 km ». En clair, « ils vont complètement artificialiser le milieu », se désole l’écologiste.

 

Jumelles en bandoulière, Joël Allou et Stéphane Gardien peinent à synchroniser leurs coups de pagaie. Le nez en l’air, ils commentent la descente tels des journalistes sportifs devant un match de haut vol — sauf que les joueurs portent un maillot à plume. Chevalier cul-blanc, grand cormoran, héron cendré, pouillot véloce… Les oiseaux profitent des rayons de soleil matinaux pour saluer le printemps. Le milan noir, à peine rentré d’Afrique, tournoie dans le ciel parsemé de nuages. Plus loin, un martin-pêcheur fend l’air dans un éclair bleuté. « Toute cette biodiversité sera dégradée s’ils construisent le barrage », indiquent les ornithologues.

 

 

Le Rhône d’antan était « sauvage et dangereux »

 

Cette faune sauvage dépend de la forêt alluviale – saules blancs et peupliers vert tendre implantés sur les berges – et de la multitude d’espèces qui ont trouvé refuge dans ce Rhône encore vivant. D’un coup de pagaie expert, le kayakiste Yannick Vericel se glisse dans un rapide, avant de bifurquer dans un bras d’eau tranquille – une lône, dit-on par ici. « C’est un endroit où peuvent frayer les poissons, avance-t-il sous le regard approbateur des naturalistes présents. Cette diversité de milieux, avec des ruptures de pente, des gravières, mais aussi des zones plus calmes, ça signifie une grande diversité d’espèces. » Un panorama quasiment unique sur le bassin : « Le Rhône est devenu une succession de lacs, de piscines géantes. »

 

Sous-entendu, le bouillonnant cours d’eau n’a pas toujours été cette rivière canalisée et industrialisée que l’on connaît. À l’origine, il s’agissait d’un fleuve « tressé », avec un lit principal, et entre 250 et 300 bras secondaires. Un paysage d’îles, de forêts et de rus entremêlés. « Sauvage mais dangereux, surtout lors des crues », raconte Yannick Vericel. À la fin du XIXe siècle, sous la houlette de l’ingénieur Girardon, le Rhône fut resserré et « corseté » afin de faciliter la navigation. Puis courant XXe siècle, dix-neuf barrages hydroélectriques ont été érigés, achevant l’artificialisation. « Sauf ici », précise notre guide.

 

Accro aux eaux vives, le kayakiste navigue depuis des années sur le cours franco-suisse. « Un fleuve surprenant, par sa variété, mais aussi parce qu’il reste bien souvent caché et peu accessible », sourit-il. Un trésor « menacé ». C’est pourquoi il a créé avec d’autres le collectif Auper (association des usagers des plans d’eau et rivières) à l’automne dernier, « pour protéger et garantir l’accès de tous aux rivières ». « La plupart des associations et institutions du kayak ne prendront pas position sur Rhônergia, parce qu’elles touchent des subventions de la CNR, explique-t-il. Nous, nous sommes autonomes et libres dans notre parole. »

 

 

« Une retenue d’eau sans âme »

 

Lors du débat public sur le projet de barrage, qui s’est clôturé fin février, le collectif a donc déposé un avis défavorable : « Voilà maintenant plus de quarante ans que le Rhône a vu son lit défiguré au profit de la production hydroélectrique, commence-t-il. Les 30 derniers kilomètres du Haut-Rhône entre Sault-Brénaz et Loyettes sont menacés. Le lit naturel où il est encore possible de se laisser porter par le courant risque de disparaître au profit d’une retenue d’eau sans âme. »

 

Bonnet gris enfoncé sur la tête, Albane Colin pagaie vigoureusement pour éviter un arbre mort flottant dans le courant. « Plutôt que de détruire du vivant de manière irréversible, on pourrait rénover les dix-neuf autres centrales sur le Rhône, installer quelques éoliennes, liste l’écologiste, élue – « d’opposition ! » précise-t-elle en riant – au Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Surtout, il faudrait mettre le paquet sur la sobriété et l’efficacité énergétique ! »

 

Une zone Natura 2000 aux portes de Lyon

 

Curieux, deux majestueux cygnes suivent les esquifs multicolores d’un coup de palme nonchalant. Les kayaks longent à présent de multiples îlots qui retentissent de gazouillis sonores – « autant de zones refuges pour la faune qui pourraient disparaître avec la montée des eaux » selon Stéphane Gardien. Puis, au détour d’un méandre, l’imposante silhouette de la centrale nucléaire du Bugey se profile, deux de ses quatre réacteurs crachant leur panache blanc dans l’air frais. Sur les bateaux, on se tait. Bien malgré les opposants, c’est en effet l’atome qui pourrait faire capoter Rhônergia.

 

 

Car il n’est pas dit que le barrage soit compatible avec la construction d’une paire d’EPR2, annoncée en juillet dernier par Emmanuel Macron. Quid des incidences ? « Il n’y a a priori pas d’incompatibilité technique fondamentale, assurait à Reporterre Olivier Le Berre, directeur de programme à la CNR. Mais nous devons mener des études sérieuses sur ce sujet. » En attendant, l’incertitude plane comme une épée de Damoclès sur le projet.

 

Après une trentaine de kilomètres, la troupe flottante parvient à la confluence entre l’Ain et le Rhône, un petit paradis fluvial aux portes de la métropole lyonnaise. Classée Natura 2000, la zone pourrait également être affectée par le barrage : « Si le lit du fleuve est creusé juste en amont d’ici, ça pourrait provoquer un abaissement de la nappe souterraine, et dessécher la forêt alluviale présente », précise Raphaël Quesada, directeur de l’association environnementale Lo Parvi.

 

Arrivé à bon port, Jérôme Grausi s’extirpe de son embarcation, les bras endoloris mais le sourire jusqu’aux oreilles : « Jusqu’à présent, le Rhône, c’était très théorique, assure le maire de Saint-Romain-de-Jalionas, et fervent opposant à Rhônergia. Là, j’ai pu mettre des noms sur les oiseaux et les arbres… Voir toute cette biodiversité qui pourrait disparaître, ça ne fait que renforcer mon engagement. »

 

Casquette vissée sur la tête et chasuble « Stop barrage » sur le dos, Clément Pradier approuve : « Cette descente m’a pris aux tripes, glisse le natif de Saint-Romain. J’ai grandi sur les bords du fleuve, mais je ne me l’étais jamais vraiment approprié. » Pour le trentenaire, membre du collectif d’opposants, « on a un trésor à protéger, pour pouvoir le partager et le transmettre aux générations futures. »

 

Mis à jour le 29 mars 2024

 

https://reporterre.net/Tous-en-kayak-Ils-pagaient-pour-proteger-le-dernier-troncon-sauvage-du-Rhone

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