Intervention de Frédéric Boccara au CN du PCF du 22 mars sur la campagne des élections européennes
1- La situation du pays
La situation du pays et de l’Europe est anxiogène, en même temps qu’une grand colère est présente. Il y a une grande fragilité et vulnérabilité de l’Union européenne dans la géopolitique mondiale aussi bien que dans la conjoncture économique, avec la marche vers une récession dans une Europe et une France où le PIB ne progresse presque plus, le chômage officiel commence à remonter et les pertes de pouvoir d’achat comme le recul des services publics diffusent des effets délétères dans tout le corps social.
E. Macron et les dirigeants français semblent faire le pari fou : profiter de la guerre et d’une certaine faiblesse de l’Allemagne pour forcer un saut fédéraliste de l’UE et apparaître le « bon élève » de l’oncle Sam.
2- Notre campagne pour les Européennes
Léon est marquant dans ses passages télé sur la forme. C’est bien, mais il faut une ré-orientation. J’alerte. Lui-même a bougé : à France Inter, à la question « plus ou moins d’Europe » il répond « une autre Europe », alors qu’à l’émission à plusieurs sur Public Sénat il avait répondu « moins d’Europe ».
Mais il ne suffit pas que nous répondions « une autre Europe », il faut que nous ne le proposions pas « à blanc », mais avec du contenu et des exemples, en lien avec des luttes possibles et leur prolongement politique.
En ce sens il faut prendre à bras le corps la dramatisation en cours sur la question de « la dette », sous entendu la dette publique.
3- Dramatisation sur la dette publique et la guerre
E. Macron dramatise sur la guerre et nous devons être plus clairs sur l’OTAN et sur le processus de paix et un cessez-le-feu sans conditions, comme sur le processus génocidaire en cours en Palestine. Mais il faut aussi relever le défi de sa dramatisation sur la dette ! Il l’utilise pour bloquer, tétaniser les luttes, faire taire toute velléité revendicative.
Voilà une argumentation que nous pourrions reprendre et généraliser, en lien avec la bataille des européennes :
- Le tournant vers l’austérité a été déclenché par la BCE, lorsqu’elle a augmenté ses taux d’intérêts jusqu’au niveau historique de 4 %, alourdissant ainsi la charge de la dette de 18 Md€ en 2023 en prétendant lutter contre l’inflation ;
- Le problème posé par la dette, ce n’est pas tant son montant par rapport au PIB (il est plus élevé pour les Etats-Unis ou le Japon) , ce sont ses conditions : d’une part la masse d’intérêts prélevés par les marchés financiers sur le budget de l’État : plus de 50 Md€, autant qu’un second budget de l’enseignement scolaire, et cela va augmenter, d’autre part son émission pour les marchés financiers, donc à leurs conditions, enfin, l’utilisation de l’argent de cette dette : en priorité pour le capital et les armes, bien peu pour l’hôpital et le développement réel ;
- Ce qu’il faut, ce sont des dépenses de développement (services publics, nouvelle industrialisation, etc.). Elles vont permettre « d’avaler » la dette par une croissance saine. C’est toujours ainsi qu’on en est sorti, par exemple après 1944-45. C’est le contraire du « préalable de la dette », mis en avant par la macronie et toutes les forces de droite, de LR au RN ;
- Pour cela, se développer, il faut des « avances » (dette a une connotation trop morale), à 0 %, utilisées autrement. D’où l’importance des banques centrales
- C’est ensemble, dans l’UE, avec l’euro qu’il faut le faire, car ainsi nous avons la surface suffisante pour tenir face au dollar et aux marchés financiers
Mais
- La droite, le RN et Macron partagent l’idéologie du « préalable de la dette », au lieu de donner la priorité au développement. C’est pourtant celle qui a conduit l’Europe dans de terribles convulsions dans les années 1930. Ils font de la surenchère à la baisse des dépenses publiques. Et en plus la droite et le RN le font tout en dénonçant le recul des services publics. Ce sont des super-Tartuffes !
- Tous font le silence presque absolu sur la BCE !
- Macron explique qu’on ne peut pas faire autrement et plaide pour un emprunt européen sur les marchés financiers (fédéralisme + le pouvoir au capital) tout en cachant le rôle que joue la BCE
- R. Glucksman convient qu’il faut plus de dépenses… mais par emprunt fédéraliste sur les marchés financiers, à leurs conditions et à un coût élevé ! Il fait silence sur la BCE, alors qu’elle peut représenter une puissance de feu de 7.000 Md€, soit 40 fois plus (!) que le budget européen.
- LFI partage aussi l’idée de hausse des dépenses, mais fait aussi silence sur la BCE !
Nous devons pousser le débat sur l’utilisation de l’argent et provoquer des réponses, des positionnements sur notre proposition de Fonds européen pour les services publics.
4- Notre conception de l’Europe
Notre option politique c’est la réorientation de la construction européenne, sa réorientation radicale. Comme au moment du combat sur le traité constitutionnel européen, nous devons récuser la question binaire « plus ou moins d’Europe ». Nous c’est « autrement ».
Mais il ne faut pas le dire « à blanc », il faut des propositions précises. Sinon on prend le risque d’alimenter les replis souverainistes, de la fermeture nationaliste et anti-sociale. En ce sens notre proposition de Fonds européen est déterminante. Il faut vraiment la porter.
Nous ne devons pas mettre l’abandon des Traités européens comme un préalable à des changements. Il faut être clairs sur la perspective de rupture avec les traités existants, mais montrer aussi qu’on peut dès à présent immédiatement enclencher une autre logique. Les Traités, on commence par faire autre chose, ne pas les appliquer, pour en adopter d’autres, refondus, ensuite. C’est précisément le cas de notre proposition, radicale et immédiate, de Fonds européen pour les services publics.
Voyons aussi les sondages : 78 % des électeurs communistes, 80 % des électeurs de Mélenchon (et 73 % de l’ensemble des français) sont « favorables au projet européen » !
Mais 54 % ne sont pas d’accord avec celui-ci « tel qu’il se met en place ». Nous pouvons être à l’unisson de cette double opinion car c’est notre conception depuis longtemps. Ne tournons pas le dos à notre orientation fondamentale depuis longtemps, confirmée en outre par le dernier congrès.
Appuyons-nos aussi sur l’expérience du « quoiqu’il en coûte » que les gens ont vécu : les traités ont été contournés ! Bien que finalement cela fut surtout pour nourrir le capital.
Une Europe « autrement », mais pas à blanc cela veut dire
- faire ensemble et pour le social
- pour les services publics
- pour une nouvelle industrialisation, écologique et sociale
- pour l’émancipation
- pour une autre contribution au monde
en s’appuyant sur les luttes, en faisant le lien avec celles qui existent, en appelant à leur développement immédiatement et radicalement :
- En créant un Fonds européen pour les services publics et le développement écologique
- Intercalé entre la BCE et les Etats
- Alimenté par la création monétaire de la BCE
- A 0%
- Géré démocratiquement (parlementaires nationaux, européens et représentants syndicalistes)
- Pour financer les dépenses des Etats si elles développent les services publics et l’emploi. Par exemple pour financer massivement des pré-recrutements à l’hôpital ou dans l’éducation
C’est autorisé par les traités européens (article 123.2 du TFUE), même si cela va contre le logique profonde de la construction actuelle.
Nous devons provoquer les autres forces au débat, en disant : il y a urgence, qui est prêt ? Car c’est possible. Le préalable des traités de tient pas ! Notre philosophie, ce n’est pas d’accompagner la logique dominante des marchés financiers, avec au mieux de petits correctifs (Macron + Glucksman), ni d’annoncer qu’on va tout casser et renverser la table, pour finalement ne rien faire (LFI et Mélenchon).
C’est de mener une bataille européenne tenace de fond contre la logique de la construction actuelle, en mettant nos propositions politiques à l’appui des luttes et des grandes exigences populaires.
J’alerte sur l’urgence d’une réorientation de notre campagne, pour faire le lien entre le social et l’utilisation de l’argent avec nos propositions économiques. Car qu’on le veuille ou non, l’économie est le cœur de cette construction européenne, la BCE est le bunker qu’il faut désigner, c’est cette économie qui crée le type actuel d’Europe anti-sociale !